► Quel est l’objectif de la chaire Louis Massignon ?

« Développer la recherche » et « soutenir les enseignements en sciences sociales » autour du fait religieux. La chaire Louis Massignon, qui démarre ses activités jeudi 22 octobre avec cette double mission, marque une étape pour Sciences-Po. « Nous avons toujours compté des collègues plus ou moins sensibles au fait religieux, notamment parmi ceux qui travaillent sur le Moyen-Orient. Nous avons aujourd’hui la volonté d’accroître et d’approfondir cette expertise », souligne Alain Dieckhoff, directeur du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po et codirecteur – avec Stéphane Lacroix – de la nouvelle chaire.

Leur volonté a fortuitement rencontré celle de Jean-Baptiste Massignon, désireux de rendre « hommage aux travaux et à la vie » du grand islamologue et orientaliste Louis Massignon (1883-1962), professeur au Collège de France et à l’École libre des sciences politiques. Le don qu’il a effectué financera l’organisation de conférences ouvertes au grand public – à la fois « vitrine » de la chaire et moyen de « contribuer au débat dans la société » –, l’accueil de professeurs invités étrangers, mais aussi des travaux de recherche.

Si la pandémie de Covid-19 a obligé à reporter d’un an le lancement officiel, les activités, elles, démarrent en cette rentrée. La conférence inaugurale fera intervenir le politologue Olivier Roy et l’islamologue et religieux dominicain Adrien Candiard sur un thème plus qu’actuel : « Foi et identité : le religieux dans les guerres culturelles. »

► Pourquoi un tel projet à Sciences-Po ?

Certes, Sciences-Po ne part pas de rien dans ce domaine. Mais l’Observatoire international du fait religieux, créé en 2016 en partenariat avec le Groupe société, religions, laïcités (GSRL) pour « redonner à l’analyse de la dynamique religieuse sa juste valeur », vient de mettre un terme à ses activités. Et les autres réseaux auxquels sont associés ses chercheurs – Contextualizing Radicalization, financé par le CNRS, ou Preventing Violent Extremism par l’Union européenne – abordent, comme leur nom l’indique, « le religieux par le prisme de la radicalisation ». « Nous n’éluderons pas cette dimension mais nous aborderons le sujet de manière large, comme objet de sciences sociales », promet Stéphane Lacroix.

Les activités croiseront les approches politiques, anthropologiques, sociologiques, historiques« Nous privilégierons aussi autant que possible la démarche comparatiste, pour prendre de la hauteur », poursuit le chercheur. « L’objectif est de penser le religieux, pas seulement l’islam ou le protestantisme. »

► Où en sont les sciences religieuses en France ?

C’est un grand historien suisse émigré au Canada, Michel Despland, qui a le mieux décrit le paradoxe français : « Les sciences religieuses en France (sont) des sciences que l’on pratique mais que l’on n’enseigne pas ». Ni la sociologie, ni l’histoire, ni l’anthropologie des religions n’existent en tant que telles à l’université française, et elles ne sont enseignées que dans la section des sciences religieuses de l’École pratique de hautes études.

Pour autant, Stéphane Lacroix n’est pas de ceux qui dressent un « tableau noir » de la situation. « Il se fait beaucoup de choses intéressantes, en France et à l’étranger, mais de manière trop dispersée et sans grande visibilité », regrette-t-il. « Ceux que l’on entend ne sont pas forcément ceux qui travaillent un sujet depuis vingt-cinq ans ». La chaire Massignon pourrait servir à « fédérer » leurs travaux, à servir de « relais aux débats qui se tiennent ailleurs qu’en France », ajoute Alain Dieckhoff.

Dans un monde académique encore largement méfiant, les deux directeurs affirment leur désir de « prendre le religieux au sérieux ». « Il existe toute une approche qui ne veut voir le religieux que comme le cache-nez d’un malaise social ou politique. C’est souvent vrai, mais parfois il produit des effets », insiste Stéphane Lacroix, convaincu que « beaucoup de nos contemporains ne comprennent plus l’acte de croire ».

Alors que la France connaît une nouvelle poussée de fièvre autour de l’islam, le projet de « sortir des dualités faciles » et d’« injecter de la nuance » relève de l’urgence.