Chercheurs français emprisonnés en Iran : leurs proches de plus en plus inquiets

La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah et le chercheur français Roland Marchal sont détenus à la prison d'Evin en Iran depuis le mois de juin 2019. - Thomas Arrivé / Grégory Cales / Sciences Po
La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah et le chercheur français Roland Marchal sont détenus à la prison d'Evin en Iran depuis le mois de juin 2019. - Thomas Arrivé / Grégory Cales / Sciences Po
La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah et le chercheur français Roland Marchal sont détenus à la prison d'Evin en Iran depuis le mois de juin 2019. - Thomas Arrivé / Grégory Cales / Sciences Po
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Les chercheurs français Roland Marchal et Fariba Adelkhah sont détenus depuis le mois de juin 2019 en Iran, dans une prison de Téhéran. L’Etat français reste discret sur leur cas et personne ne sait ce qui se passe en coulisses. Leurs conditions de détention sont préoccupantes.

Le 5 juin 2019, le sociologue Roland Marchal quitte Dubaï en avion. Il doit présider quelques jours après une conférence à Nairobi au Kenya. Il profite des vacances de l'Aïd el-Fitr pour faire une escale à Téhéran et passer quelques jours de congés avec sa compagne, l'anthropologue Fariba Adelkhah, qui travaille sur place. Mais leurs retrouvailles n'auront pas lieu. Arrêtés tous les deux, lui à l'aéroport, elle à son appartement, ils sont emprisonnés dans la prison d’Evin, située dans les faubourgs de la capitale iranienne. Aucun de leurs proches n'est alors mis au courant de leur arrestation.

Un étrange mail de Fariba Adelkhah

Quelques jours plus tard, l'ancien directeur du CERI, le Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, où travaillent Roland Marchal et Fariba Adelkhah, reçoit un étrange message. "Le 11 ou le 12 juin, je reçois un mail de Fariba, se souvient Jean-François Bayart. Elle m'explique qu'elle est dans le désert avec Roland et qu'elle n'a pas de connexion internet. J'aurais dû observer qu'il était curieusement rédigé. Il y a deux hypothèses : soit Fariba l'a écrit sous contrainte, ou bien il a été rédigé par un gardien de la révolution francophone qui aurait pris connaissance de nos précédents échanges."

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Il faut attendre la fin du mois de juin pour que les choses s’accélèrent. Les collègues français des deux chercheurs n'ont pas de nouvelles et commencent à s'inquiéter. Le 25 juin, ils préviennent le ministère des affaires étrangères. Le lendemain, Jean-François Bayart téléphone à l'ambassade de France en Iran pour signaler la disparition de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal. "L'ambassade me rappelle pour me dire que le gouvernement iranien a confirmé l'arrestation de Roland, raconte-t-il_. Les Iraniens ne parlent pas de Fariba à ce moment-là, car elle a la double nationalité, qui n'est pas reconnue par l'Iran. Mais en tout état de cause, le gouvernement iranien avait laissé entendre qu'elle avait été arrêtée._"

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Une pratique d’emprisonnement courante

Officiellement, au moment des arrestations, les autorités iraniennes accusent Fariba Adelkhah  d’espionnage et de propagande contre le régime. La chercheuse, qui a grandi à Téhéran avant de rejoindre la France dans les années 70, travaille, au moment de son arrestation à Téhéran, sur les réseaux religieux liant l'Afghanistan et l'Iran. 

Roland Marchal est quant à lui soupçonné de menace à la sureté nationale. Mais ce sociologue spécialiste de l'Afrique et des Émirats arabes unis, et fin connaisseur des élites politiques et économiques, semble plutôt être une victime collatérale dans cette affaire. "Il était au mauvais moment au mauvais endroit, affirme Béatrice Hibou, docteure en économie politique au CERI. Il y a les tensions énormes entre l'Iran et les Etats-Unis, avec une politique d'otages assez généralisée. Malheureusement, Roland est arrivé en Iran au moment de la crispation de ces relations."

Emprisonner des scientifiques en Iran serait en effet une pratique assez courante. "La France est loin d'être la seule à avoir des ressortissants détenus, affirme Jean-François Bayart. C'est le cas des Etats-Unis, du Canada, de l'Angleterre, de l'Australie et même de la Suisse. La prison d'Evin est finalement une véritable petite université, composée de scientifiques étrangers, mais également iraniens. Une sorte de petite Sorbonne."

  • VIDÉO - Des Français otages de calculs politiques en Iran :

Fariba Adelkhah en grève de la faim 

Les conditions de détention des deux chercheurs sont très rudimentaires. Fariba Adelkhah est avec les prisonniers de droit commun dans la section des femmes, ce qui lui permet de recevoir la visite de sa sœur, et de téléphoner à sa famille. En revanche, Roland Marchal est maintenu au secret, dans la section réservée aux prisonniers politiques, administrée par les Pasdarans, le corps des Gardiens de la révolution islamique – les hommes forts du régime –, en compagnie d'un prisonnier anglophone. Seul son avocat est autorisé à le voir, une ou deux fois par mois. "Il tourne en rond, il ne parle pas persan, témoigne Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS. C'est extrêmement dur pour lui. Il n'y a pas de maltraitance physique, mais il a des problèmes d'arthrose, etc. La visite du consul de France à Téhéran lui a permis d'avoir accès à des médicaments, et d'avoir le droit de se promener dans la prison.

Soumis à la censure, l'accès à la lecture lui est restreint. Roland Marchal a commencé à apprendre le farsi (persan) pour communiquer avec ses gardiens, mais il s'est vu confisquer le dictionnaire qu’il avait demandé. "On a pu lui envoyer quelques livres, relate Richard Banegas, un de ses amis, professeur à Sciences Po Paris_. Mais peu lui sont parvenus malheureusement._" 

Fariba Adelkhah, elle, est en grève de la faim depuis le 24 décembre 2019. Elle proteste contre le fait qu’on lui interdise de voir Roland Marchal, sous prétexte qu’ils ne sont pas mariés. Désormais nourrie par perfusion, elle exige également la libération des autres prisonniers scientifiques. Téhéran a levé les accusations d’espionnage qui la visaient. Elle n’est donc plus menacée de la peine de mort, mais elle risque tout de même cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. 

Une cellule de femmes dans la prison d'Evin, au nord de Téhéran (Iran), en juin 2006.
Une cellule de femmes dans la prison d'Evin, au nord de Téhéran (Iran), en juin 2006.
© AFP - ATTA KENARE

Echange éventuel de prisonniers avec la France 

Quant à leur libération éventuelle, l’hypothèse d'un troc de l’un ou des deux chercheurs, contre un ou des iraniens qui seraient détenus en Europe est privilégiée par les experts. "Les Iraniens sont capables de déployer un effort extraordinaire pour libérer les personnes qui leur sont chères, estime Ardavan Amir-Aslani, avocat d’affaires à Paris_. L'arrestation de ces deux chercheurs français peut être analysée comme étant la volonté de l'Etat iranien de disposer de monnaie d'échange pour obtenir la libération d'un de leurs propres ressortissants, proche du pouvoir._"  

Un Iranien, Jalal Rohollanejad est actuellement incarcéré en France. Technicien dans le domaine spatial, il est soupçonné d’avoir voulu importer du matériel sensible en Iran en violation de l'embargo. Il pourrait intéresser Téhéran. Son extradition vers les États-Unis a été autorisée, mais il pourrait servir à libérer les deux français. Rien ne le prouve. "Je suis absolument convaincu qu'il y a nécessairement une transaction cachée derrière, ou un objectif de transaction, estime Rony Brauman, président émérite de Médecins sans frontière. Les Iraniens cherchent quelque chose.

Un contexte de tension diplomatique 

L’État français reste très discret sur ce dossier. "La stratégie utilisée par le gouvernement et le président Macron est tout à fait différente de ce qui s'est passé il y a dix ans avec Clotilde Reiss, une affaire politisée par le président Sarkozy, analyse le chercheur Bernard Hourcade. Aujourd'hui, au contraire, c'est discrétion et efficacité, notamment depuis l'arrivée d'Emmanuel Bonne comme conseiller diplomatique du président. Il connaît très bien la région, et sait que pour discuter et négocier avec les Iraniens, il faut prendre son temps et anticiper les susceptibilités et les difficultés de communication." Preuve de cette discrétion, le ministère des affaires étrangères n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet, même si le ministre Jean-Yves Le Drian, interpelé par un sénateur en juillet 2019, déclarait "suivre de très près" la situation des deux chercheurs français.

Faut-il lier la détention prolongée de Fariba Adelkhah et Roland Marchal au contexte géopolitique en Iran, sérieusement dégradé depuis le retrait des États-Unis de l’accord international sur le nucléaire ? "Trump, qui se représente en novembre 2020, a besoin de cette polarisation et de la création d'images d'ennemis pour montrer qu'il est dur et fort, analyse Fabienne Hara, chercheuse à Sciences Po. En Iran, la contestation et les manifestations, ainsi que les dissensions entre les différentes lignes politiques font que la situation est tendue, et on ne sait pas dans quel sens cela peut influer sur le cas des prisonniers scientifiques."

Des manifestants pacifistes portent des masques du Guide de la Révolution d'Iran Ali Khamenei, et de Donald Trump, à Berlin, le 11 janvier 2020.
Des manifestants pacifistes portent des masques du Guide de la Révolution d'Iran Ali Khamenei, et de Donald Trump, à Berlin, le 11 janvier 2020.
© AFP - John MACDOUGALL

Mais d'autres pensent qu’il faut dissocier le sort des deux français de ces tensions qui se sont accrues entre Téhéran et Washington. "Ces dossiers-là sont gérés de manière compartimentée, ce n'est pas lié à l'actualité politique ou diplomatique", tempère Georges Malbrunot, journaliste au Figaro. "En dépit de l'apparence de radicalité et de dureté qu'a prise le régime iranien, le pragmatisme et le sens du compromis domine encore, complète Rony Brauman. Les Iraniens savent jusqu'où ne pas aller."

Les deux chercheurs français pourraient-ils être libérés prochainement, peut-être le 11 février 2020, à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution iranienne, qui s’accompagne toujours de mesures de clémence ? Rien ne le dit. Un comité de soutien a été initié par de nombreux chercheurs internationaux, des actions régulières ainsi qu' une pétition sont mises en place pour demander leur libération.

Une enquête de Philippe Reltien, cellule investigation de Radio France.

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