Serait-ce une étape vers la libération des chercheurs français en Iran ? La Cour de cassation a validé, mercredi 11 mars, l’extradition vers les États-Unis de Jalal Rohollahnejad. Cet ingénieur et hommes d’affaires iranien, arrêté en février 2019 à sa descente d’avion à l’aéroport de Nice en provenance de Moscou, détenu depuis, est réclamé à la fois par l’Iran et les États-Unis.

Washington l’accuse d’avoir tenté de faire entrer en Iran du matériel technologique et des pièces détachées susceptibles de servir à l’industrie de l’armement en violation de ses sanctions, et demande donc à la France son extradition pour pouvoir le juger sur son sol. De son côté, selon plusieurs signaux concordants, l’Iran ferait de sa libération la condition pour accorder celles de l’anthropologue Fariba Adelkhah et de son compagnon, le politologue Roland Marchal, tous deux détenus à la prison d’Evin, près de Téhéran, depuis juin 2019.

Écheveau d’intérêts contradictoires

Interrogée en février sur le sort des deux chercheurs français, une source diplomatique iranienne n’hésitait pas à faire le lien entre les deux dossiers. Elle comparaît la situation de Fariba Adelkhah et Roland Marchal « arrêtés sur la base d’accusations sécuritaires » à celle de Jalal Rouhollahnejad, « savant et universitaire de renom, emprisonné depuis plus d’un an dans le sud de la France sans y avoir commis le moindre délit ». « Ce serait magnifique si nous pouvions passer outre les doubles standards, et ne pas regarder les questions uniquement sur la base d’intérêts individuels », cinglait-elle.

Si la piste d’un échange est à peu près admise, reste à démêler un écheveau complexe d’intérêts divergents. La décision de la Cour de cassation est diversement appréciée par les proches des deux chercheurs français. À première vue, elle fait pencher la balance en faveur des États-Unis. Mais le délai extrêmement bref dans lequel elle a été rendue (deux semaines à peine après l’examen du pourvoi) est une bonne nouvelle. « Rien ne pouvait se faire tant que la justice ne s’était pas prononcée, note l’un d’eux. Et désormais, le sort de Jalal Rohollahnejad est entre les mains de l’exécutif. »

Ce changement pourrait simplifier les négociations déjà engagées. Il peut aussi « accroître la pression sur les Iraniens en leur faisant prendre conscience de l’urgence pour eux de faire un geste », ajoute Jean-François Bayart, professeur au Graduate Institute (Genève) et ami de Fariba Adelkhah.

Mauvais traitements et tortures

Mais rien n’est encore gagné. « Si le premier ministre français ne signe pas le décret d’extradition et exfiltre rapidement le détenu iranien, cela pourrait être interprété comme un camouflet à la justice », estime un proche du dossier. « Les États-Unis risquent de nous accuser d’avoir cédé au chantage. Mais j’espère que nous sommes capables de prendre ce risque », avance François Nicoullaud, ancien ambassadeur en Iran.

Autre obstacle, selon certains, les deux chercheurs français, eux, n’ont pas encore été jugés en Iran. Seule Fariba Adelkhah a été convoquée à une première audience devant le tribunal révolutionnaire de Téhéran, le 3 mars, mais celle-ci a été rapidement « renvoyée à une date non-précisée ». « Tout est une question de volonté politique, relativise toutefois François Nicoullaud. Si les Iraniens sont prêts à l’échange, ils sont capables de les juger en 48 heures, puis de convertir leur peine en expulsion. »

Or, il y a urgence. Victimes de mauvais traitement et même de « tortures qui ne sont plus seulement psychologiques » selon leur comité de soutien, Roland Marchal et plus encore Fariba Adelkhah en raison de sa longue grève de la faim entamée le 25 décembre, sont terriblement affaiblis. Craignant de nombreux morts dans les prisons en raison de l’épidémie de Covid-19, alors que le pays en compte déjà 429, les autorités ont annoncé la libération de 70 000 prisonniers de droit commun ou souffrant d’asthme ou de diabète.

Décidés à « tout tenter, même l’impossible », les proches des deux chercheurs ont saisi l’occasion pour publier, mercredi 11 mars dans la presse, une « adresse au Guide de la Révolution » lui-même, Ali Khamenei. « Pour des raisons humanitaires, urgentes et impératives, nous vous prions de les libérer au plus vite, avant que l’irréparable ne survienne », écrivent-ils en « implorant sa miséricorde ».