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Faut-il aider la République barbaresque d’Iran?

OPINION. Alors que pour la première fois la République islamique d’Iran fait appel au FMI, le professeur à l’IHEID Jean-François Bayart questionne cette aide, qui devrait être conditionnée à la libération de tous les otages encore détenus dans les geôles du régime

Bazar de Tajrish. Téhéran, 12 mars 2020. — © AFP
Bazar de Tajrish. Téhéran, 12 mars 2020. — © AFP

Le 20 mars, la libération de Roland Marchal, «prisonnier scientifique» en Iran depuis le 5 juin 2019, a confirmé le cynisme de la République islamique, ou tout au moins celui des acteurs qui en ont pris le contrôle au-delà de leurs prérogatives constitutionnelles. Comme le laissaient entendre les diplomates iraniens à mots de moins en moins couverts, sa détention était bien une prise de gage pour obtenir le renvoi en Iran de l’ingénieur Ruhollahnejad, arrêté en France sur mandat international émis par les Etats-Unis. Et comme la France n’avait sans doute plus de monnaie d’échange sous la main, Fariba Adelkhah, anthropologue de Sciences Po arrêtée en même temps que Roland Marchal (et à laquelle l’Université de Genève vient de décerner un doctorat honoris causa), reste en prison sine die. Avec une dizaine d’universitaires occidentaux dont la valeur d’échange est encore inconnue.

Dans le même temps, l’Iran demande l’aide du FMI pour faire face à l’épidémie de coronavirus qui le frappe durement, qu’il a dans un premier temps dissimulée pour ne pas compromettre les élections législatives et la fréquentation lucrative des grands lieux de pèlerinage, et à laquelle il a répondu avec un retard criminel. Face à la tragédie qui l’endeuille, la solidarité internationale s’impose. Et ce d’autant plus que l’Iran est victime des sanctions de l’administration Trump bien qu’il respectât l’accord de Vienne de 2015, au dire de l’AIEA.

Libérer les otages d’abord

Il serait néanmoins curieux que les pays occidentaux, et notamment la France, appuient cette demande légitime de l’Iran au FMI si son gouvernement ne libère pas immédiatement le stock d’otages qu’il s’est constitué. Certains objectent que cette conditionnalité serait immorale car elle prendrait à son tour en otage la population iranienne. Généreux, l’argument a ses limites. N’inversons pas le problème! L’immoralité est du côté des geôliers de Fariba Adelkhah et de ses compagnes et compagnons d’infortune qui sont détenus arbitrairement et ne disposent d’aucune garantie juridique, à commencer par celle d’une défense digne de ce nom. Roland Marchal a ainsi appris à son retour en France, par la télévision iranienne, qu’il avait été condamné à cinq ans de prison sans jamais avoir été déféré devant un tribunal. Quant au peuple iranien, s’il est pris en otage, c’est par les Gardiens de la révolution. Ceux-ci lui imposent leur diktat et leur incurie, et ont saboté le déploiement à Ispahan d’un hôpital de campagne de MSF qu’avait pourtant autorisé le gouvernement. Soumettre l’aide du FMI à la libération des prisonniers scientifiques reviendrait à créer un rapport de force plus favorable, notamment en donnant des arguments aux autorités iraniennes constitutionnelles pour ramener à la raison internationale les Gardiens de la révolution.

Quant au peuple iranien, s’il est pris en otage, c’est par les Gardiens de la révolution

D’autres font valoir qu’une telle conditionnalité reviendrait à s’aligner sur la politique de pression maximale de l’administration Trump en vue de renverser le régime iranien. Que non pas! Le refus d’un prêt, si l’on estime que les conditions n’en sont pas remplies, n’est pas une sanction. Votre banquier ne vous sanctionne pas quand il vous refuse l’argent que vous lui réclamez s’il n’estime pas réunies les conditions rendant possible ce prêt. Exiger de la République barbaresque d’Iran qu’elle libère ses captifs avant qu’une aide ne lui soit consentie ne signifie en rien qu’on ne reconnaît pas ses intérêts légitimes d’Etat, pour peu qu’elle se comporte en Etat, respectueux du droit international et de la Charte des Nations unies dont il est membre.

L’arroseur arrosé

Enfin certains redoutent qu’une telle conditionnalité ne soude derrière les dirigeants de la République islamique un peuple iranien dont le nationalisme n’est plus à démontrer. L’objection a sa pertinence qu’il ne faut pourtant pas exagérer, au risque de manquer de respect pour ledit peuple. Lequel est descendu dans la rue en 2009 pour protester contre le vol de son suffrage aux élections présidentielles, ou en novembre 2019 pour contester l’augmentation brutale du prix de l’essence. En février la destruction par les Gardiens de la révolution d’un avion de ligne ukrainien dont la majorité des passagers étaient Iraniens a encore accru la défiance populaire à leur encontre. Rien ne permet de penser que l’opinion iranienne serait choquée de voir les pays occidentaux défendre la dignité et la liberté de leurs ressortissants injustement détenus. En tout cas, l’opinion européenne jugerait à juste titre inadmissible que l’on vienne au secours des ravisseurs.

Lire aussi (2016): Les Etats-Unis ont versé 400 millions de dollars à l’Iran, après la libération d’otages

En se livrant à cette politique de prise de gages l’Iran a pris un risque, celui de l’arroseur arrosé. Selon les règles du jeu qu’il a lui-même choisi, il doit maintenant passer à la caisse pour obtenir satisfaction, que nous lui donnerons bien volontiers. Une fois de retour nos otages.