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Iran : au-delà du cas Fariba Adelkhah, les chercheurs sous le joug des autorités
Une pancarte avec un portrait de la universitaire franco-iranienne Fariba Adelkhah, emprisonnée en Iran, placée devant la mairie, à Paris, le 5 juin 2020.

Iran : au-delà du cas Fariba Adelkhah, les chercheurs sous le joug des autorités

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La condamnation en appel ce 30 juin de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah à 5 ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale n’est pas un cas isolé - une dizaine d’étrangers ou binationaux sont actuellement détenus en Iran. Elle témoigne d’une impasse : l’impossible coopération scientifique avec la République islamique.

Fariba Adelkhah l’avait prédit en été 2009 dans une lettre ouverte au Président iranien Mahmoud Ahmadinejad : “En voyant les accusations dont est victime Clotilde Reiss [jeune chercheuse française, inculpée d'espionnage dans un procès stalinien, ndlr] je tremble de tout mon être à l’idée que, si j’étais en Iran, moi aussi j’aurais connu le même sort.” Le constat est amer : ces procès au caractère politique créent “un climat de répression et de violence qui oppose un barrage fatal au débat et à la recherche scientifique.” L'anthropologue qui dit avoir “essayé de jeter un pont entre [s]on pays d’origine et [s]on pays d’accueil,” en tant qu’“intermédiaire culturel”, annonce alors sa démission en signe de protestation.

Dix ans plus tard, de retour à Téhéran, elle est arrêtée et incarcérée dans le quartier des femmes de la prison d’Evin. Menacée par le Covid-19, livrée aux “tortures psychologiques et physiques”, la chercheuse refuse la proposition d’une libération conditionnelle à la condition de renoncer à la reprise de ses travaux, et entame une grève de la faim “au nom de la liberté académique”. La communauté scientifique s’en émeut, le quai d'Orsay multiplie les appels à sa libération, mais rien n’y fait. Ce 30 juin, la justice iranienne a condamné en appel Fariba Adelkhah à cinq ans de prison ferme pour “collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale”.

Une victime collatérale

En quoi ses activités de recherche auraient pu mettre en danger la sécurité de l’Iran ? Fariba Adelkhah, spécialiste du chiisme au Centre de recherches internationales (CERI) est l’auteure de nombreux ouvrages et d'articles, notamment au sujet du clergé chiite et de l’islam politique en Iran, où elle se rend régulièrement. Défenseuse d’une position académique qui se veut apolitique, elle a plus souvent été critiquée par des intellectuels, plutôt politisés, de la diaspora iranienne, que par les théoriciens fondamentalistes du régime.

Il est donc très probable qu’elle ait été prise dans le tourbillon de la crise diplomatique qui oppose Téhéran à la communauté internationale (l’affaire nucléaire et la politique expansionniste de la République islamique au Moyen-Orient notamment). Ainsi Fariba Adelkhah, comme tant d’autres, est la victime collatérale d’enjeux qui la dépassent. Un otage qui servirait de monnaie d'échange à des fins politiques. Si c’est le cas, alors une question se pose : faut-il maintenir les relations académiques avec l’Iran au risque de voir l’histoire se répéter ?

Comment protéger les chercheurs ?

Dans les milieux de la recherche en France, certains universitaires réclament une plus grande fermeté vis-à-vis de l’Iran et exigent une suspension de la coopération scientifique engagée par la France. “Le mot même de coopération suppose un minimum de partenariat, de réciprocité et de confiance entre les parties, écrit Jean-François Bayart, ancien directeur du CERI-Sciences Po dans son blog, la suspension de la coopération scientifique institutionnelle serait une simple mesure de bon sens et de décence qui aurait en outre ses avantages politiques en infligeant à l’Iran un coût réel – celui-ci a besoin scientifiquement et diplomatiquement de la coopération universitaire.” Sans parler du fait que la coopération internationale n’a pas protégé les chercheurs iraniens de la répression étatique, puisque souvent accusés d'être en lien avec “les agents de l'ennemi”.

Cependant, cette option ne fait pas l’unanimité, ni parmi les universitaires ni au sein des politiques. Car la France, en attendant le jour où les sanctions contre l’Iran seront levées, souhaite préserver ses parts de marché. Notamment des chantiers de fouille archéologique, et surtout des projets de recherche en sciences exactes (chimie, pharmaceutique et médecine).

Roland Marchal, collègue et ami de Fariba Adelkhah qui avait également été détenu à Téhéran en juin 2019, pour être finalement échangé contre un ingénieur iranien, emprisonné en France, a plaidé dans les colonnes du Monde pour une protection du statut de chercheur : “L’idéal serait de définir à l’échelle internationale des droits et des tolérances spécifiques pour les universitaires comme il en existe, même s’ils ne sont pas strictement codifiés, pour les journalistes.” Un voeu pieux, lorsque l’on sait que l’Iran est aujourd'hui l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. En attendant une décision de la France, qui nécessite du courage politique, Fariba Adelkhah, qui voyait “une modernité au sens foucaldien” dans l’avènement de la République islamique, vit son aboutissement orwellien.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne