► Que s’est-il passé ?

« Pendant que nous sommes en lutte contre le coronavirus, les illuminés de Boko Haram ont attaqué nos forces armées dans le lac Tchad », a tweeté mardi 24 mars le président tchadien, Idriss Deby Itno, au lendemain d’une attaque menée par le mouvement insurrectionnel djihadiste à Boma, dans la province du lac Tchad, causant la mort de 92 militaires tchadiens.

Cette zone, à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, est devenue ces derniers mois le théâtre d’un conflit qui s’éternise entre les groupes djihadistes et les militaires de la Force multinationale mixte (FMM), une coalition régionale mise en place en 2012. Elle regroupe des forces armées du Bénin, Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad.

Avec cette attaque extrêmement meurtrière, Boko Haram entend asseoir son autorité dans la région, après un affaiblissement ces dernières années. « C’est une attaque spectaculaire, ils n’avaient jamais fait autant de victimes, notamment contre l’armée tchadienne qui est la plus puissante de la région », analyse Emmanuel Grégoire, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Les affrontements ont commencé lundi 23 mars avant la levée du jour et ont duré près de sept heures, selon des sources militaires. Les renforts envoyés par l’armée tchadienne ont été embourbés et pris pour cibles. « Pour l’armée tchadienne, c’est très dur d’attaquer Boko Haram dans cette zone car elle est très marécageuse. Les militaires tchadiens ne la connaissent pas forcément très bien, contrairement au groupe terroriste », poursuit Emmanuel Grégoire. De nombreux îlots sont en effet devenus le repère des djihadistes.

► Dans quel contexte s’inscrit cette attaque ?

Boko Haram est né au nord-est du Nigeria en 2009 et multiplie depuis les actions terroristes, dans la zone du lac Tchad, mais aussi au Nigeria, Cameroun, Niger... Il a prêté allégeance à Daech en 2015. « Cette attaque traduit une montée en puissance de Daech dans la région. Il a réussi à y consolider ces dernières années sa présence en mettant en place des dispositifs pour contrôler les populations, leur apporter des protections, et établir une influence à long terme sur le lac Tchad », explique Corentin Cohen, chercheur post-doctorant à l’université d’Oxford.

Le même jour, lundi 23 mars, plus de 70 soldats nigérians ont également été tués par le groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) dans une attaque contre leur convoi dans le nord-est du Nigeria.

Selon l’ONU, le conflit a causé, depuis 2009, environ 35 000 morts et près de 2 millions de déplacés dans le nord-est du Nigeria. Les violences se sont aussi multipliées ces derniers mois au Cameroun où 275 personnes ont été tuées par des attaques djihadistes en 2019, selon Amnesty International. Au Niger également, le nombre de soldats tués dans des attaques en janvier et décembre dernier est monté à 174.

« Il faut toutefois nuancer », précise Emmanuel Grégoire. Le 20 mars, le ministère de la défense du Niger a en effet annoncé avoir tué Ibrahim Fakoura, une « figure de proue » de Boko Haram lors d’une opération dans les îles du lac Tchad, ainsi que plusieurs de ses compagnons. L’opération s’inscrivait dans le cadre des opérations de la FMM. Quelques jours avant, le Niger avait aussi annoncé avoir neutralisé 50 combattants du groupe djihadiste.

► Quel avenir pour ce conflit ?

Mardi soir, le président Idriss Deby Itno a décidé de rester sur place pour préparer une « réplique foudroyante » contre Boko Haram. « Je réitère notre total engagement à vaincre le péril terroriste » a-t-il d’ailleurs affirmé sur Twitter.

Cohen nuance cette possibilité : « Le problème, c’est que la stratégie de l’armée tchadienne a été de se concentrer sur quelques points stratégiques sur lesquels elle patrouille. Le contrôle des territoires ruraux, particulièrement autour du lac Tchad, lui échappe. Tant qu’il n’y aura pas d’autre stratégie militaire, le groupe aura toujours des espaces de repli sur le lac et ses alentours. Il pourrait y avoir des répliques militaires mais ça ne veut pas dire que ça aura un véritable impact sur le groupe. »