L’Iran face à la crise du COVID-19 (Clément THERME)

UnknownClément Therme est chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Nuclear Knowledges » du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris. Cette recherche a reçu le soutien financier du projet « De la vulnérabilité politique à l’âge nucléaire (VULPAN) » de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Il a notamment dirigé l’ouvrage L’Iran et ses rivaux. Entre nation et révolution à paraître chez Passés composés en février 2020.

Peut-on avoir une photographie claire et sincère de la situation sanitaire en Iran?

Clément Therme: cette question est pertinente car, au-delà du problème de la fiabilité des statistiques en République islamique, se pose la question de la guerre des récits sur la question du Covid 19 entre l’Iran et les Etats-Unis. On a donc un double problème de fiabilité : fiabilité des chiffres d’abord qui seraient selon des sources médicales en Iran trois plus élevés que les chiffres officiels ; fiabilité de la présentation des événements en raison de l’inscription de la politique de santé dans le cadre de la propagande de la République islamique : référence aux martyrs de la guerre Iran-Irak (1980-1988), accusation d’un « complot » de l’Administration Trump qui utiliserait le virus pour affaiblir la République islamique…

Le problème est que ce climat de confrontation médiatique a des effets sur la capacité de l’Iran à bénéficier de la coopération internationale pour combattre la pandémie. En effet, du fait de ces théories complotistes, la République islamique refuse toute aide américaine en principe et a même créer des complications pour le déploiement d’une équipe de l’ONG Médecins sans frontières en Iran. D’un côté, on a le gouvernement de Rohani qui appelle à la coopération pour relever le défi sanitaire : demande d’un prêt au FMI, demande de l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Union européenne, acceptation de l’aide de MSF, demande d’une levée des sanctions américaines. De l’autre le guide suprême et les gardiens de la Révolution dénoncent les influences étrangères et le risque d’infiltration si l’Iran s’ouvre à l’aide internationale… Par contre sur le sujet du confinement et de la mise en quarantaine des villes iraniennes, le débat a été inversé puisque pour des raisons économiques et de « faisabilité » le gouvernement de Rohani s’y est d’abord opposé alors que les gardiens de la Révolution étaient prêts à se déployer dans le pays.

Quel est l’impact de la crise médicale sur la société et sur la vie politique iranienne à ce jour?

Clément Therme: on retrouve les clivages entre « modérés » et plus radicaux sur la question du recours ou non à l’aide internationale. On retrouve aussi cette même division sur la relation entre science et superstition et religion. Le gouvernement aurait voulu donner la priorité aux questions sanitaires sur les principes religieux mais dans un régime théocratique il a fallu attendre de nombreuses semaines pour parvenir à l’annulation des prières du vendredi et à la fermeture des principaux lieux de pèlerinage et finalement à la mise en quarantaine des villes du pays. C’est pourquoi un mouvement émerge de la société civile pour que les priorités politiques de l’Iran soient déterminées sur des fondements scientifiques et non sur une idéologie politico-religieuse.

L’Iran suscite-t-elle la méfiance sanitaire dans la région et cela peut-il affaiblir sa position géopolitique?

Clément Therme: oui c’est aussi une crise de crédibilité régionale pour l’Iran qui est perçu comme l’un des principaux foyers de diffusion du virus par les pays voisins. On note que l’Arabie Saoudite et le Royaume du Bahreïn ont désigné la République islamique comme responsable de la propagation du virus dans leur pays. A l’inverse, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et le Sultanat d’Oman privilégient la voie de la coopération avec l’Iran sur cette question. Le risque le plus important est pour les sociétés irakienne et afghane en raison des liens multiples qui unissent leurs populations avec l’Iran. Ce défi sanitaire régional est aussi un rappel : les liens entre les sociétés de la région ne se réduisent pas aux fractures géopolitiques régionales.

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