Depuis des années, Fariba Adelkhah travaille en Iran sur le fil du rasoir, suspecte, surveillée par les services de sécurité iraniens mais néanmoins tolérée. Agée de 60 ans, cette spécialiste du monde chiite au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, scrute en anthropologue, et donc sur la durée, les mutations de la société iranienne sous la République islamique. L’exercice est hautement périlleux, et désormais impossible pour un chercheur étranger. Les femmes, les classes défavorisées ou les trafics transfrontaliers sont en effet des thèmes très sensibles que le régime n’aime pas voir fouillés de trop près.
« Malgré l’opinion générale du moment, le chercheur n’est pas un agent des services de renseignements, pas plus qu’un James Bond ou un trafiquant. Le résultat de ses travaux diffère de celui des services secrets et il travaille à visage découvert. Il met ses résultats à la disposition de tous », écrivait, en 2009, la chercheuse franco-iranienne, dans une lettre ouverte après l’arrestation d’une jeune lectrice française à l’université d’Ispahan, Clotilde Reiss, accusée d’avoir participé à des manifestations contre le régime, qui fut retenue dix mois en Iran avant d’être envoyée en France après le paiement d’une amende de 230 000 euros.
Les recherches de Fariba Adelkhah font référence depuis plus de trente ans. Cela n’a pas empêché son arrestation le 5 juin 2019 le même jour que celle de son collègue et ami Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique orientale au CERI venu lui rendre visite dans la capitale iranienne. Le 24 décembre, elle a entamé une grève de la faim en même temps qu’une codétenue universitaire australienne, Kylie Moore-Gilbert.
Un signal positif
La principale charge pesant à son encontre, celle d’espionnage passible de la peine de mort, a été abandonnée le 6 janvier. Un signal positif. Elle reste néanmoins inculpée d’« atteinte à la sécurité nationale » et de « propagande contre la République islamique ». Elle peut désormais recevoir les visites de sa famille et de son avocat, mais les autorités ne reconnaissant pas sa double nationalité, elle n’a pu jusqu’ici bénéficier d’aucune assistance consulaire française, à la différence de Roland Marchal.
Travailler sur l’Iran n’est pas facile, et pas seulement à cause de la paranoïa du régime. Fariba Adelkhah a des convictions, mais elle n’est pas une militante. Jamais elle ne s’est revendiquée comme opposante. « J’ai toujours défendu l’indépendance de ma profession par rapport à la politique. Pour cela, j’ai été attaquée de toutes parts, en Iran comme à l’extérieur du pays, par des hommes de pouvoir et des intellectuels. Tout cela parce que mes écrits sont considérés comme peu islamiques par certains fondamentalistes ou pas assez laïcs par ceux qui se disent défenseurs de la démocratie », écrivait-elle dans sa lettre ouverte de 2009 annonçant renoncer à ses recherches en Iran. Elle ne les reprit qu’après l’élection à la présidence d’Hassan Rohani, en 2013.
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