Dans un communiqué publié le 6 février, le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, a appelé le gouvernement d’Aung San Suu Kyi à supprimer une disposition constitutionnelle qui interdit à tous les religieux du pays, bouddhistes, musulmans ou chrétiens, de participer aux élections.

Cette interdiction provient de l’article 392 de la Constitution birmane qui date de 2008, à l’époque de la junte militaire (1988-2011). « Comme dans la plupart de pays bouddhistes, sauf au Sri Lanka, la Constitution interdit aux religieux de voter, considérant que, dès lors qu’on est membre de la Sangha (la communauté spirituelle de ceux qui pratiquent les enseignements du Bouddha, NDLR), on doit rester en dehors de la vie matérielle», explique David Camroux, spécialiste de l’Asie du Sud-Est, chercheur associé à Sciences-Po CERI (Centre de recherches internationales).

Dans la société multireligieuse de Birmanie, où les chrétiens et les musulmans représentent respectivement environ 7 % et 4 % de la population, cet article constitutionnel a été imposé à tous les moines et moniales, religieux, prêtres et religieuses.

« Cette interdiction apparaît d’autant plus absurde, explique encore David Camroux à La Croix,que le clergé bouddhiste est historiquement très politisé en Birmanie. » De fait, les moines birmans s’engagèrent contre le mandat britannique puis furent en première ligne lors des événements de 2007, précisément nommés « la révolution safran » à cause des nombreux bonzes qui soutenaient les manifestations pacifiques.

« Aujourd’hui, de nombreux moines bouddhistes, notamment ceux du mouvement nationaliste Ma Ba Tha, se sont rapprochés de l’armée pour s’opposer au gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi », poursuit le chercheur de Sciences-Po CERI qui estime que le cardinal Bo a « bien fait » de demander la suppression de cet article de la Constitution.

« En tant que cardinal, je peux faire des discours et encourager les citoyens à voter, mais moi-même, je ne peux pas participer aux élections, fait remarquer le communiqué du cardinal Bo, 72 ans, qui est également président de la Fédération des conférences épiscopales asiatiques (FABC). Dans un pays pétri d’une longue tradition religieuse et où les responsables religieux servent de guides sur le plan moral, c’est le devoir des responsables religieux d’encourager les citoyens à voter pour les candidats ou les partis qui correspondent à leurs valeurs. »

Neuf mois avant les élections

Cette demande intervient neuf mois avant les élections générales de novembre 2020 qui, selon les observateurs, devraient voir la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi gagner à nouveau la majorité des suffrages. Mais sans rééditer toutefois son triomphe de 2015 – la LND ayant obtenu à l’époque 255 des 330 sièges à la Chambre basse (Pyithu Hluttaw) et 135 des 168 sièges à la Chambre haute (Amyotha Hluttaw).

« Les partis ethniques, qui sont une quinzaine et représentent un tiers de la population, seront l’enjeu de ces élections de novembre, estime encore David Camroux. Depuis 2015, Aung San Suu Kyi a, en partie, perdu leur soutien. »

La Constitution birmane interdit également à un citoyen ayant épousé un étranger ou ayant des enfants étrangers de devenir président. Une clause spécialement créée pour empêcher les ambitions d’Aung San Suu Kyi, qui a été mariée à un Britannique (1).

« Il ne s’agit pas de voter pour tel parti ou candidat, mais plutôt pour que la Birmanie devienne un pays prospère et paisible », souligne le cardinal Bo qui espère que ces élections seront organisées de manière « calme, respectueuse, démocratique, libre et juste », afin de mener le pays « plus avant vers la paix et les droits de l’homme pour tous, sans distinction ethnique ou religieuse ».

(1) Après son élection en 2015, étant empêchée de facto chef d’être présidente, Aung San Suu Kyi a dû faire nommer un proche à la présidence.