Le sultanat d’Oman pourra-t-il rester ce havre de paix et de stabilité dans une région à feu et à sang ? Tout juste désigné, le nouveau sultan, Haitham ben Tarek, a promis de « suivre la voie tracée par le sultan défunt », son cousin, Qabous al Saïd, décédé le 11 janvier à 79 ans après un demi-siècle de règne sans partage et presque sans heurts.

Le monde entier – des États-Unis à l’Iran, de l’Arabie saoudite à la Grande-Bretagne – est venu se recueillir la semaine passée sur le cercueil du défunt sultan Qabous qui incarnait à merveille la figure du despote éclairé. Et désormais, chacun s’interroge sur la capacité de son successeur, ancien ministre des affaires étrangères puis de la culture, à poursuivre la « politique étrangère basée sur la coexistence pacifique entre les nations » qui a fait la réussite d’Oman.

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Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir de son père, en 1970, le sultan Qabous a, grâce à l’argent du pétrole et du gaz, engagé le développement de son pays, longtemps le plus pauvre de la péninsule arabique, sur le plan de l’éducation comme de l’économie.

Au contraire de ses voisins, notamment le Yémen déchiré par la guerre civile, ce pays de 4,5 millions d’habitants – dont 2 millions d’étrangers – a réussi le tour de force de faire cohabiter les trois grands courants de l’islam : sunnisme, chiisme et ibadisme. Oman est le seul pays où ce dernier – issu du kharidjisme, une secte violente et rigoriste née au début de l’islam, ultra-minoritaire dans le monde musulman – est pratiqué par la moitié de la population.

Modération dans la pratique de la religion

« Les ibadites sont conservateurs sur le plan des mœurs, mais adeptes d’une certaine modération dans la pratique de leur religion », raconte un diplomate qui y a été en poste. Le discours religieux tenu dans les mosquées comme les instituts de formation ne cesse d’inviter à la coexistence et la tolérance. « L’islam mis en avant n’est pas explicitement ibadite, c’est plutôt un islam “pour tout le monde” », témoigne la chercheuse Laurence Louër.

Preuve de son ouverture, le sultan Qabous a offert aux Églises chrétiennes un terrain sur lequel chacune s’est fait édifier un lieu de culte : mélomane, éduqué dans un pensionnat britannique, il a même fait cadeau d’un orgue à chacune.

« Le fait d’être ultra-minoritaires en Tunisie ou en Algérie rend les ibadites plus ouverts à la différence, estime le diplomate. Ce qu’ils veulent, c’est entretenir de bonnes relations avec tout le monde. » De fait, ce pays discret est parfois considéré comme « la Suisse du Golfe » : c’est par son entremise que l’accord sur le nucléaire iranien a été négocié, puis signé, en 2015.

Absence totale de liberté d’expression

Il faudra bien du tact au nouveau sultan pour préserver cet acquis et continuer à entretenir de bonnes relations avec ses puissants et encombrants voisins, Arabie saoudite, Émirats arabes unis comme Iran. D’autant que les problèmes l’attendent aussi en interne. « Les manifestations de 2011, lors de la vague des printemps arabes, y ont provoqué un choc, rappelle Laurence Louër. Le sultan a voulu très vite calmer le jeu par une loi sur le travail qui a accordé des jours de congé, un salaire minimum et des hausses de salaires. »

Pourtant, les jeunes Omanais, éduqués et friands d’Internet, ne se satisfont plus de l’absence totale de liberté d’expression et d’un conservatisme parfois étouffant. Désormais présentes à tous les échelons de la société, les femmes expriment elles aussi « une vision critique et un véritable désir de changement », comme l’a montré un récent colloque au Sénat (1). « Les Omanais le feront à leur rythme, qui est assez lent, assure le diplomate. Haytham Ben Tarek, un homme sérieux, extrêmement pondéré, en a tout à fait les capacités. »

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« On peut imaginer que le sultan Qabous, malade depuis longtemps, avait préparé la transition, ajoute Laurence Louër. Mais il ne sera pas simple de succéder à une personnalité comme la sienne : son charisme faisait certainement partie de l’équation. »

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Une ancienne puissance maritime

Ancienne puissance maritime et commerciale, Oman connaît son âge d’or au XVIIIe siècle : son influence s’étend sur l’océan Indien occidental, jusqu’à Madagascar. Depuis son déclin, il bénéficie d’une forme de protection de la Grande-Bretagne dont la famille royale était proche du sultan Qabous.

Oman, dont l’économie reste très dépendante du pétrole, se classe autour du 25e rang mondial selon le PIB par habitant.

Le pays ne publie pas de chiffres mais les musulmans ibadites représenteraient 50 % de la population, les sunnites 40 % et les chiites 10 %. Les chrétiens et hindous sont surtout des étrangers.

Le nouveau sultan, Haitham ben Tarek, 65 ans, réputé passionné de sport, préside depuis fin 2013 le Comité suprême en charge de la nouvelle stratégie du pays, « Vision Oman 2040 ».

(1) La Femme omanaise sur le chemin de la parité, coordonné par Georges Sassine. (L’Harmattan, 2019)