In this picture taken on December 25, 2019, members of the Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) participate in a rally in support of India's new citizenship law on the outskirts of Hyderabad. - On December 25 several thousand baton-wielding volunteers from a Hindu hardline group -- of which Modi is a lifelong member -- held a rally in the southern city of Hyderabad, in a show of support for the government. Members of the Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), a militaristic group that has long espoused "Hindutva" or Hindu hegemony, marched through the streets beating drums and blowing horns. (Photo by STR / AFP) 3576 monde Modi

Membres de l'extrême-droite hindouiste, lors d'un défilé à l'occasion de la promulgation de la réforme du code de la nationalité, le 25 décembre 2019.

AFP

Quand un régime poursuit en justice des manifestants frappés par une bande de casseurs encagoulés, au lieu d'interpeller ces derniers, c'est mauvais signe. Le 5 janvier, de jeunes militants d'extrême droite liés au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation qui, depuis près d'un siècle, instille l'idée qu'il n'y a de véritables Indiens que les hindous, ont pris d'assaut le campus de l'université Jawaharlal-Nehru (JNU), à coups de matraques et de marteaux. Etudiants et professeurs se trouvaient rassemblés dans ce haut lieu de l'intelligentsia de gauche attaché à la défense des libertés individuelles, au coeur de la capitale New Delhi. Une quarantaine d'entre eux ont été blessés sans que la police ne daigne intervenir. Deux jours plus tard, les forces de l'ordre ont ouvert une enquête à l'encontre d'Aishe Ghosh, alors qu'elle sortait tout juste de l'hôpital avec des points de suture à la tête et un bras dans le plâtre. Motif : incitation à la violence. La principale dirigeante syndicale étudiante de la JNU avait eu le tort de défiler depuis deux mois contre la hausse des droits d'inscription à l'université...

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Désinformation

Insidieusement, les dirigeants de l'Inde installent l'idée d'une révolution à l'oeuvre pour justifier leur dérive autoritaire. Le ministre de l'Intérieur Amit Shah, qui, dans sa jeunesse, porta les culottes kaki du RSS et dirigea même son syndicat étudiant, fustige "l'anarchie" fomentée, d'après lui, par l'opposition, dont il critique le comportement "antinational". Quelques jours avant Noël, le ministère de l'Information, quant à lui, a intimé l'ordre aux télévisions de cesser de diffuser des images susceptibles "d'aller contre le maintien de l'ordre ou d'affecter l'intégrité de la nation".

Au royaume de la désinformation, les extrémistes sont rois. "Le gouvernement joue sur l'asymétrie entre le doute et la vérité, dénonce le politologue Pratap Bhanu Mehta. Il instrumentalise des informations étranges, sans contexte, pour étayer ses affirmations complotistes. Pendant ce temps, les vraies questions restent sans réponse."

Les "vraies questions", ce sont celles d'un pays en proie au grand écart entre miséreux et milliardaires, très en retard en termes d'infrastructures et victime d'un ralentissement économique historique marqué par un chômage record. Mardi 7 janvier, le gouvernement a reconnu que le rythme de la croissance ne dépasserait pas 5 % cette année, alors que Narendra Modi s'était fait élire une première fois, en 2014, sur la promesse du "développement" et d'une croissance supérieure à 10 %.

Termites

Depuis sa reconduction triomphale au pouvoir en mai 2019, le héros du Parti du Peuple Indien (BJP) n'a en réalité pris que des décisions choc pour ramener les musulmans, qu'Amit Shah compare régulièrement à des "termites", à des citoyens de second rang.

En août dernier, l'Etat himalayen du Jammu-et-Cachemire a été "mis sous cloche". La seule région à majorité musulmane du pays s'est vu retirer l'autonomie que lui conférait la Constitution depuis 1954 et a été placée sous la tutelle directe de New Delhi. En novembre, la Cour suprême a autorisé la construction d'un temple hindouiste à Ayodhya, petite ville de la plaine du Gange, sur les restes d'une mosquée remontant à l'ère moghole que des extrémistes hindous avaient rasée en 1992. La Cour suprême avait tranché l'affaire en novembre dernier, mais Amit Shah a porté sa décision à l'actif du gouvernement le 7 janvier, signifiant ainsi que la justice était aux ordres du pouvoir. En décembre, enfin, la réforme du code de la nationalité a été promulguée, habillée de la pieuse intention d'accueillir les minorités hindoues persécutées dans les pays voisins. Résultat, les immigrés musulmans en provenance du Pakistan, du Bangladesh et de l'Afghanistan sont privés de tout espoir d'être naturalisés indiens.

Etre indien, c'est être hindou

Le contexte politique se prête à la ségrégation. Jamais les nationalistes hindous n'ont joui d'une majorité aussi forte à l'échelle nationale. Au Parlement, le BJP et ses alliés comptent 338 députés sur 545. Comme l'observe le constitutionnaliste Valerian Rodriguez, ancien professeur à l'université JNU, "le parti au pouvoir réduit désormais la démocratie à la simple tenue d'élections périodiques, au lieu d'y voir l'expression de citoyens autonomes".

Ces derniers mois, pourtant, les scrutins régionaux ont rappelé au pouvoir fédéral que rien n'était jamais acquis. La vague Modi reflue. Début 2018, le safran, couleur fétiche des nationalistes hindous, couvrait 70 % du territoire de l'Inde. Aujourd'hui, tout juste la moitié. D'où, sans doute, l'empressement du premier ministre à instaurer l'hindu rashtra. Théorisée au début du XXe siècle par Vinayak Savarkar, un nationaliste soupçonné d'avoir participé à l'assassinat du Mahatma Gandhi en 1948, cette doctrine préconise que l'Inde devienne un Etat hindou.

Selon Christophe Jaffrelot, expert de l'Asie du Sud à Sciences-po, l'obsession antimusulmane actuelle trouve ses racines dans le "complexe d'infériorité majoritaire" qui caractérise les hindous, lesquels constituent 80 % de la population (in L'Inde de Modi, national populisme et démocratie ethnique, Fayard, 2019). Complexe nourri par l'occupation de l'Inde, pendant plus de quatre siècles, par les Moghols, puis par les Britanniques - et par la revanche à prendre sur la Partition de 1947, qui a donné naissance à un Pakistan islamique, tandis que l'Inde se définissait comme un pays multiculturel et laïc.

Camps de rétention pour musulmans

Quelle sera la prochaine étape ? L'an dernier, dans l'Assam, le gouvernement Modi a effectué un recensement et écarté de la citoyenneté indienne 1,9 million d'habitants, majoritairement musulmans, au motif que ceux-ci n'étaient pas en mesure de prouver leur entrée en Inde avant 1971, date à laquelle le Bangladesh voisin est devenu indépendant. Dans son programme électoral, le BJP s'est engagé à faire de même dans le reste du pays, menaçant des millions de gens de devenir apatrides. Le Premier ministre Modi dément l'existence d'un tel projet, alors même que des camps de rétention sont en cours d'aménagement dans l'Assam, où des travaux ont démarré en septembre dans le district de Goalpara, mais aussi au Karnataka, où une résidence étudiante convertie en prison est opérationnelle depuis décembre à Nelamangala, près de Bangalore, ou encore au Maharashtra, où un bâtiment désaffecté a été repéré à Nerul, dans la banlieue de Bombay.

New Delhi a même donné des instructions précises dans un "manuel", publié l'an dernier. Selon ce document, les camps doivent idéalement s'étendre sur 2,5 hectares pour pouvoir accueillir 3 000 individus et être entourés de murailles de trois mètres de haut, surmontées de barbelés et de miradors. Le ministre de l'Intérieur Amit Shah l'a juré, il veut traquer "les immigrants illégaux sur chaque pouce de terrain" afin de les expulser. "Conformément au droit international", cela va de soi.

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