Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a refusé ces derniers mois les offres de dialogue de Washington au sujet de ce plan. « Il n’y aura pas de discussion avec les Américains tant qu’ils ne reconnaîtront pas la solution à deux États », a répété, lundi 27 janvier, un haut responsable palestinien.

► « La position américaine prend acte de la réalité du terrain »

Xavier Guignard,enseignant à Sciences-Po Paris et spécialiste de la question palestinienne à l’Institut Noria

Avant même de se concrétiser sous la forme de grandes décisions, le « plan de paix » américain a déjà commencé à produire ses effets, que ce soit à travers la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la suspension des versements à l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) ou le discours sur la légalité au regard du droit international des colonies israéliennes. Le premier effet de ces annonces est l’anesthésie de l’Union européenne sur le sujet, et plus généralement l’absence de toute initiative multilatérale depuis cinq ans.

Le Conseil de Sécurité ne tente plus rien, pas plus que les grands pays de la région, et même les puissances émergentes se sont retirées du dossier. Les États-Unis ont réussi à le confisquer, et personne n’a envie de leur disputer ce leadership. Tout le monde voit bien que, sans la pression américaine sur Israël, rien ne bougera. Du coup, le président Trump se sent les coudées franches et est bien décidé à agir seul. Les circonstances de l’annonce de son plan sont d’ailleurs révélatrices : il a prévu de le dévoiler aux responsables israéliens en visite à Washington, mais n’a pas même invité un représentant palestinien.

Position en phase avec la réalité

Sur le fond, la force de la position américaine prend acte de la réalité du terrain : le pouvoir israélien est à Jérusalem, et les Israéliens ont accaparé quasiment toute la ville du fait de la colonisation. Les Européens s’entêtent, eux, à défendre une solution à deux États, mais ils sont très gênés pour le faire concrètement. Les Américains prennent tout le monde de court parce qu’ils affrontent de manière beaucoup plus directe les conclusions de leurs observations sur place. Il n’y a pas d’État palestinien et plus de place pour en créer un, par conséquent la question fondamentale aujourd’hui est : quid des Palestiniens ?

L’initiative de Donald Trump a l’avantage de prendre cette question au sérieux, même si elle a l’inconvénient d’y répondre dans un sens qui n’est pas celui de la protection des droits des Palestiniens. Le problème est qu’il n’y a pas eu de vraies négociations politiques entre Israéliens et Palestiniens depuis 2007 : la Conférence de Paris, organisée par François Hollande en 2017, n’a abouti à rien, et les négociations américaines menées en 2013 ne portaient presque exclusivement que sur le volet sécuritaire. Le président américain répond donc à un vide politique sur le sujet depuis au moins une dizaine d’années, y compris du fait de la direction palestinienne dont les menaces de « rendre les clés » de l’Autorité à Israël ne sont prises au sérieux par personne.

► « Chacun sait qu’aucun responsable palestinien ne peut l’accepter »

Bertrand Badie,professeur émérite à Sciences-Po Paris et enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales

Aucun des protagonistes ne se fait d’illusion sur la possibilité de réaliser la paix sur la base de ce plan, préparé de longue date par les Américains. Cette annonce relève donc davantage, à mes yeux, de la diplomatie déclaratoire et électorale. Donald Trump éprouve une fois de plus le besoin de se distinguer de ses prédécesseurs, d’exprimer l’alignement américain sur Israël pour flatter son électorat évangélique, de donner un petit coup de pouce au premier ministre, Benyamin Netanyahou, avant les élections législatives du 2 mars prochain. Sans doute aussi veut-il continuer à créer des axes anti-iraniens et pro-israéliens au Moyen-Orient, et accentuer le clivage entre l’Iran - l’un des derniers gouvernements à soutenir encore les Palestiniens - et le reste du monde.

Ces effets d’annonce sont en réalité plus importants que le succès éventuel de ce plan de paix, dont on ne connaît pas exactement le contenu mais dont on sait déjà qu’il devrait reconnaître Jérusalem comme seule capitale d’Israël et valider l’annexion de fait de parties importantes de la Cisjordanie : la Vallée du Jourdain et les colonies dont le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a déjà reconnu la légalité, en novembre 2019. Cela, chacun sait qu’aucun responsable palestinien ne peut l’accepter.

Brandir l’arme atomique

Lorsque le secrétaire général de l’OLP Mahmoud Abbas évoque la possibilité d’un retrait de l’accord intérimaire d’Oslo de septembre 1995, il brandit une sorte de menace atomique. L’Autorité palestinienne scierait la branche sur laquelle elle est assise et sur laquelle tout le monde est assis ! Quand on sait que la seule rémunération de ses fonctionnaires permet à un million de Palestiniens de survivre, on comprend qu’il s’agit surtout, pour Mahmoud Abbas, de prévenir qu’il serait incapable de maintenir l’Autorité palestinienne si ce plan était réalisé.

De leur côté, Donald Trump et Benyamin Netanyahou présentent, dans un bel ensemble, ce « plan de paix » comme « une occasion historique à saisir » : ce qui revient à faire porter aux Palestiniens la responsabilité de son échec. Là encore, on reste dans une logique déclaratoire, car personne ne se fait d’illusion. Finalement, le manque de soutien de l’Arabie saoudite et de la Jordanie à l’égard de ce plan américain est peut-être la principale raison de sa faiblesse : si ces deux pays avaient suivi, ils auraient contribué à isoler ceux qui le refusent. Je ne suis pas sûr que la Maison-Blanche s’attendait à cette désaffection de leur part : il est possible qu’elle ait surestimé son influence sur ses alliés arabes.