L'Europe face au duel US/Iran

Un manifestant dresse une pancarte "Je peux démarrer une guerre si je le veux" avec le visage grimé de Donald Trump, devant le Capitole, à Washington, le 9 janvier 2020. ©AFP - Jim Watson
Un manifestant dresse une pancarte "Je peux démarrer une guerre si je le veux" avec le visage grimé de Donald Trump, devant le Capitole, à Washington, le 9 janvier 2020. ©AFP - Jim Watson
Un manifestant dresse une pancarte "Je peux démarrer une guerre si je le veux" avec le visage grimé de Donald Trump, devant le Capitole, à Washington, le 9 janvier 2020. ©AFP - Jim Watson
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Assassinat de Ghassam Soleimani, frappes iraniennes, déclarations mesurées sur Twitter, accord sur le nucléaire : face à la si complexe situation entre Washington et Téhéran, comment peut réagir l'Europe ?

Avec
  • Pierre Grosser Historien, spécialiste des relations internationales, membre du Centre d’histoire de Sciences Po
  • Bruno Tertrais Directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique et conseiller géopolitique à l'Institut Montaigne
  • Lauric Henneton Maître de conférences en civilisation des pays anglophones à l’Université de Versailles Saint-Quentin et chroniqueur au magazine Rolling Stone
  • Clément Therme Chargé de cours à l’université Paul-Valery de Montpellier
  • Amélie Myriam Chelly Sociologue, spécialiste de l’Iran et des islams politiques, chercheuse associée au CADIS (EHESS-CNRS).

Rares ont été les débuts d'année aussi tendus que celui de 2020. Le jeudi 2 janvier, Donald Trump décide d'assassiner le chef des forces spéciales des gardiens de la révolution iranienne, Ghassem Soleimani. Brûlé par les frappes aériennes, près de l'aéroport de Badgad, en Irak, il était un des hommes les plus puissants du Moyen-Orient, selon le journal Le Monde

Cette opération est confirmée par le Pentagone via un communiqué, peu après l'envoi d'un drapeau américain sur le réseau social Twitter par le président américain. Dans la nuit du 7 au 8 janvier, l'Iran réplique à son tour par le moyen de plusieurs missiles - une douzaine selon le Pentagone, vingt-deux selon le commandement militaire irakien, et une trentaine selon plusieurs sources iraniennes - ciblant les bases américaines d'Al-Assad et d'Erbil en Irak. Mis à part des dommages matériels, aucune victime n'est à déplorer. Ce bilan aurait pu être bien pire, selon Clément Therme, chercheur post-doctorant pour l’équipe « Savoirs nucléaires » du Ceri de Sciences-Po, directeur d'un ouvrage collectif à paraître en février, « L’Iran et ses rivaux » ( Passés composés), et auteur d'un article d'analyse sur The Conversation

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On oublie la part d’imprévisible : la réplique iranienne sur les bases américaines aurait pu générer des coûts humains importants. Il faut rester prudent sur la manière dont, a posteriori, on relie les événements pour vérifier nos hypothèses. Car il y a une vraie situation de risque. Et l’économie régionale vit avec ce risque politique : les bourses Ryiad et de Téhéran ont d’ailleurs baissé.

Le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif indique quelques heures plus tard, lui aussi sur Twitter, que les représailles iraniennes sont "terminées" et qu'elles furent "proportionnées", tout en affirmant que l'Iran ne cherchait pas "la guerre" : 

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Aux Etats-Unis, cette attaque arrive dans un contexte de campagne électorale. C'est ce que rappelle Lauric Henneton, maître de conférence à l'Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines et auteur d’un « Atlas historique des États-Unis » ( Autrement, 2019) : 

Donald Trump veut être un nouveau Donald Reagan quand Barack Obama était un nouveau Jimmy Carter. L’obsession de Trump, c’est d’être l’anti-Obama : en politique étrangère, il veut toujours s’inscrire contre ce qui peut être considéré comme une faiblesse. L’ambiguïté étant qu’actuellement, Trump se situe plutôt dans le désengagement. Et il a été élu pour ce programme, donc on peut croire que cette mobilisation de troupes contreviendrait à ses promesses. Or, quand on regarde les sondages d’opinion sur son électorat, ce dernier ne semble pas gêné de ces frappes. 

S'il semble qu'aucun des deux pays n'ait intérêt à mener une guerre, l'assassinat de Ghassem Soleimani a permis à une grande partie de la nation iranienne de se fédérer une fois de plus contre "l'impérialisme américain", selon l'expression fréquemment utilisée dans les communiqués officiels de Téhéran. Un patriotisme, souvent régénéré à l'extérieur du pays, a pu s'imposer à nouveau y compris chez la frange de la population plus critique du régime, comme l'indique Amélie Myriam Chelly, sociologue, spécialiste de l’Iran et des islams politiques, chercheure associée au CADIS (EHESS), autrice de « Iran, autopsie du chiisme politique » ( Editions du Cerf, 2017) et « En attendant le paradis » ( Editions du Cerf, mars 2019) : 

La population qui n’était pas acquise à la cause du régime reconnaît chez Ghassam Soleimani celui qui a pu sanctuariser le pays et combattre Daesh. Sa figure, très respectée à l'extérieur des frontières iraniennes, s'est imposée à nouveau à l'intérieur. 

Le 6 janvier, soit vingt-quatre heures avant la réplique iranienne, le cercueil du chef de la force Al Qods passait dans les rues de Téhéran lors de funérailles massivement suivies, comme le montrent les images d'Euronews

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Le conflit économique entre l'Iran et les Etats-Unis va-t-il muer en conflit ouvert ? Le mouvement contre la corruption en Irak, violemment réprimé par le gouvernement, peut-il encore survivre face à cette escalade de tensions ? Face à cette situation, comment peut réagir l'Europe ? Sans surprise, les communiqués officiels appellent à la désescalade, tout comme, d'ailleurs, une partie non négligeable de l'opinion publique américaine, comme l'ont souligné les multiples manifestations "no-war" aux Etats-Unis. Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, a affirmé que "l'usage des armes doit cesser pour laisser place au dialogue", tandis que l'Allemagne, par la voie de son ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, a rappelé son rôle de médiateur : "Nous sommes en contact depuis des jours avec toutes les parties". Et la réaction russe ? C'est justement le thème de la chronique d'Hamdam Mostafavi, rédactrice en chef du Courrier International

La chronique du Courrier International 

"Pour la presse russe, et notamment pour le quotidien Vzgliad, un journal  proche des positions du Kremlin, les événements des derniers jours  confortent Vladimir Poutine dans un rôle de pacificateur du  Moyen-Orient, par opposition à Donald Trump, qui selon le journal, ne  déclenche des crises que pour détourner l’attention de la procédure  d’impeachment lancée contre lui. “Les intérêts de la Russie dans la  région sont liés à la pacification et non à la déstabilisation”, écrit le  journal russe. Poutine est le seul dirigeant apte à discuter avec tous les  acteurs de la région, la Turquie, l’iran, la Syrie, ou encore l’Egypte et  Israël, note le journal, et après les efforts investis en Syrie, où selon le  journal, la Russie a permis de rétablir la paix, Poutine est là pour  empêcher le chaos et faire en sorte que le monde ne bascule pas dans  la troisième guerre mondiale. 

Pour Vzgliad, Trump ne veut pas la guerre,  l’Iran ne veut pas la guerre et la Russie de Vladimir Poutine est là pour  qu’on n’en arrive pas là.  Et donc Poutine sort renforcé de cette crise    “S’il est difficile de savoir qui de Washington ou Téhéran sortira vainqueur de cette séquence, Poutine a lui toutes les raisons d’être satisfait, car cela conforte son discours, qui consiste à dire que c’est l’Amérique le pouvoir arrogant du monde” commente The Moscow Times, quotidien anglophone et indépendant de Moscou. Le quotidien officiel russe Rossiskaïa Gazeta estime de son côté que même si les Américains ne sont pas encore totalement partis, ils ont “géopolitiquement abandonné le Moyen-Orient”. La Russie a fait son grand retour dans la région ces dernières années,  et la Syrie, l’Iran et l’Irak sont dans la sphère d’influence directe de Moscou, et dans une proximité même géographique, écrit le journal. D’ailleurs, l’Iran est candidat, avec le soutien de Moscou, pour rentrer dans le Groupe de Shanghaï, une organisation intergouvernementale asiatique dominée par la Russie et la Chine. 

Là où les Etats-Unis excluent et ne peuvent plus dialoguer, Poutine choisit lui la voie du dialogue et de la négociation, et c’est par lui que les choses peuvent se débloquer, notamment sur l’accord nucléaire iranien, dit Rossikaya Gazeta. Le journal Izvestia appelle d’ailleurs à tout faire pour sauver l’accord sur le nucléaire, et insiste notamment sur le rôle des Européens dans ce domaine. Interrogé par le journal, un analyste de l'Institut d'Etat des relations internationales estime qu'il est trop tôt pour décréter la mort de l'accord. Selon lui, le  volet essentiel du traité qui porte sur la coopération de l'Iran avec l'Agence mondiale de l'énergie atomique (AIEA) est toujours valide. La république islamique continue de laisser entrer les experts de l'AIEA sur tous ses sites, ce qui signifie qu'elle n'a pas l'intention de se doter de l'arme nucléaire dans l'immédiat, croit savoir le quotidien russe."

Avec Clément Therme, chercheur post-doctorant pour l’équipe « Savoirs nucléaires » du Ceri de SciencesPo, a dirigé un ouvrage collectif à paraître en février, « L’Iran et ses rivaux » ( Passés composés) et est l'auteur d'un article d'analyse sur The Conversation, Amélie Myriam Chelly, sociologue, spécialiste de l’Iran et des islams politiques, chercheure associée au CADIS (EHESSCNRS), autrice de « Iran, autopsie du chiisme politique » ( Editions du Cerf, 2017) et « En attendant le paradis » ( Editions du Cerf, mars 2019), Lauric Henneton, maître de conférences à l'Université de Versailles Saint Quentin-en-Yvelines, auteur d’un « Atlas historique des États-Unis » ( Autrement, 2019), Pierre Grosser, historien et spécialiste des relations internationales et professeur à Sciences-Po Paris, auteur de "1989 : l'année où le monde a basculé", chez Perrin, et par téléphone, Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation Recherche Stratégique

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