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Moyen-Orient

Iran : pourquoi Macron s'est aligné sur la politique de Trump

INTERVIEW - Pour Clément Therme, chercheur au CERI-Sciences Po et spécialiste de l'Iran, le président français s'est peu à peu aligné sur la politique conduite par Donald Trump envers Téhéran, reléguant ainsi la France au rôle de "figurant" et de "junior partner de Washington".

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MACRON, LA LIGNE SÉCURISÉE ET L'APPEL MANQUÉ ROHANI-TRUMP

Emmanuel Macron et Hassan Rohani lors de leur rencontre en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York, le 23 septembre 2019.

John Irish

Les tensions americano-iraniennes sont de nouveau au plus haut. Après l’assassinat vendredi du général iranien Ghassem Soleimani par les Etats-Unis, l'Iran a lancé dans la nuit de mardi à mercredi une attaque de missiles contre les troupes des Etats-Unis en Irak en représailles. Une escalade militaire sans précédent depuis l'élection de Donald Trump qui inquiète les capitales européennes, lesquelles redoutent une aggravation de "l’instabilité régionale" comme l'a souligné Emmanuel Macron. Le président français, qui s’est activé en 2019 pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien - dont les Etats-Unis se sont retirés en mai 2018, s'est toutefois montré pour le moins prudent ces derniers jours, se gardant de formuler la moindre critique à l'égard de l'administration américaine et concentrant ses mises en garde envers Téhéran.

Quel rôle la France peut-elle jouer dans ce dossier ? Emmanuel Macron s'inscrit-il dans les pas de Nicolas Sarkozy et François Hollande ? L'analyse de Clément Therme, chercheur post-doctorant au sein de l’équipe "Savoirs nucléaires" du CERI-Sciences Po, qui a dirigé l’ouvrage "L’Iran et ses rivaux" à paraître aux éditions Passés composés au mois de février 2020.

Challenges - La France, ainsi que l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont appelé dimanche à la "désescalade". Quel rôle peut réellement jouer Emmanuel Macron dans cette crise iranienne?

Clément Therme - Celui du figurant. Depuis l’année suivant son élection, le président français s’est progressivement aligné sur la position de l’administration Trump vis-à-vis de Téhéran. La France joue plus que jamais son rôle d’allié des États-Unis. Cela n’était toutefois pas évident puisqu’en 2017, Emmanuel Macron avait clairement dit qu’il allait tourner la page des quinquennats de Nicolas Sarkozy et François Hollande, c’est-à-dire rompre avec l’idée d’un "néoconservatisme à la française". N’oublions pas qu’en 2007, en pleine tension sur le dossier du nucléaire iranien, Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, avait estimé que la communauté internationale devait "se préparer au pire" y compris à "la guerre". Cette ligne dure envers Téhéran s’est prolongée avec l’élection de François Hollande et l’arrivée de Laurent Fabius au Quai d’Orsay. Les deux hommes se sont bien plus souvent alignés sur les positions émiriennes ou israéliennes qu’américaines pendant la période Obama (2009-2017). Cela a été mis en lumière en 2015, lorsque la France a tout fait pour compliquer la conclusion de l’accord de Vienne sur le nucléaire, obtenu par Obama, lequel se montrait plus souple lors des négociations, notamment sur la question du maintien d’une capacité d’enrichissement de l’uranium sur le territoire iranien.

Emmanuel Macron, lui, a tenu des discours apaisants envers Téhéran dans les premiers mois de son quinquennat s’inscrivant alors dans la tradition gaullo-mitterandienne de la diplomatie française. Ensuite, il ne s’est pas véritablement opposé à Donald Trump quand celui-ci a décidé de sortir de l’accord de Vienne malgré quelques initiatives sans lendemain comme lorsqu’il a invité Mohammad Javad Zarif, le chef de la diplomatie iranienne, lors du G7 de Biarritz. En réalité, le déficit de réaction de la France après l’opération menée contre le général iranien Ghassem Soleimani, vient lever le voile sur la position d’Emmanuel Macron concernant l’Iran. On assiste à une clarification : la France est désormais alignée sur la politique iranienne conduite par l’administration Trump. Elle n’a donc qu’un rôle de junior partner de Washington à jouer sur le dossier iranien.

Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian font face à Mohammad Javad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères, le 25 août 2019 en marge du G7 de Biarritz. (c) Compte Twitter Mohammad Javad Zarif.

Pourquoi Emmanuel Macron a t-il changé d’attitude envers l’Iran?

Quand il a été élu, la plupart de nos entreprises, sous l’impulsion du Medef et de certains groupes du CAC 40, tentaient de revenir en Iran. Les milieux économiques lorgnaient ce que l’on considérait alors comme l’eldorado iranien après la levée partielle des sanctions décidée en 2015 à Vienne. Puis Donald Trump a fait sortir les États-Unis de cet accord en 2018. Le climat n’était plus le même. Mais il faut aussi dire qu’Emmanuel Macron s’est heurté à ce que l’on peut appeler "l’État profond", c’est-à-dire à ces nombreux hauts-fonctionnaires du Quai d’Orsay, adeptes d’une ligne dure envers Téhéran. Ces "néoconservateurs à la française" ne veulent pas entendre parler d’une stratégie fondée sur le dialogue constructif avec l’Iran et sont d’accord avec la politique de Donald Trump sinon sur la méthode du moins sur les objectifs : lutte contre la nucléarisation de l’Iran, négociations sur la politique régionale de Téhéran, la question des droits de l’Homme et son  programme balistique. Ce sont eux qui ont questionné la pertinence de l’accord de 2015 voulu et construit à l’initiative de l’administration Obama. Ils sont encore influents aujourd’hui.

Alors que la France et l’Europe semblent inaudibles dans cette crise, quels rôles peuvent jouer la Russie et la Chine?

Ils peuvent faire en sorte que la situation s’apaise car ces deux pays ont de vraies relations avec l’Iran. Pékin importe encore du pétrole iranien ce qui permet à l’économie nationale de ne pas totalement sombrer. Quant à la Russie, elle vient de prêter cinq milliards de dollars à Téhéran. Les entreprises chinoises ou russes, qui ne sont pas aussi exposées aux sanctions américaines que leurs homologues européennes, notamment dans les secteurs militaire ou nucléaire, pourraient aussi avoir un rôle à jouer. A ce sujet, la fin en octobre 2020 de l’embargo international sur les ventes d’armes qui vise l’Iran, pourrait aussi renforcer les liens entre ces trois pays.

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