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Mort de Soleimani : « La riposte de Téhéran sera spectaculaire »
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Propos recueillis par Samuel Ribot / ALP
Bertrand Badie, enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste des relations internationales, évoque les conséquences que peut avoir l’exécution du général Soleimani par les États-Unis.
Pouvait-on s’attendre à un acte de cette nature après les tensions de ces derniers mois ?
L’effet de surprise tient aux ambiguïtés de la politique étrangère de Trump, qui a été élu sur une sensibilité nationaliste mais pas isolationniste. Être nationaliste, c’est défendre ses intérêts et abandonner cette vieille tradition de gendarme du monde que portèrent longtemps les Américains. Mais refuser l’isolationnisme, c’est choisir d’afficher sa puissance, sa capacité à agir quand il le faut et où il le faut. Ces deux idées peuvent se contredire, et c’est pourquoi ce raid meurtrier a surpris. Or, il était presque prévisible depuis que s’accumulaient les attaques contre les intérêts américains dans la région.
Qu’est-ce que cela dit de la politique américaine ?
Trump a fait un choix dangereux : l’option choisie risque d’entraîner son pays dans une guerre dont ne veut pas son électorat. Et le moment est très particulier, puisqu’on est à la fois au début de la campagne présidentielle et du procès pour impeachment. Or, on sait que des événements internationaux tonitruants sont particulièrement bienvenus pour occulter voire neutraliser les polémiques intérieures.
Est-ce un point de bascule pour la situation régionale, voire au-delà ?
C’est la conclusion provisoire d’un mouvement en trois temps. L’Iran a d’abord cherché à s’affirmer comme une puissance régionale, et a toujours trouvé sur sa route les États-Unis. Le pouvoir iranien a tout de même réussi à imposer son influence au Liban, en Syrie, en Irak voire au Yémen. Puis des mouvements sociaux se sont fait jour, au Liban et en Irak, contre cette influence iranienne, réussissant à faire ce dont les États-Unis étaient incapables : déstabiliser l’Iran. Avec l’exécution de Soleimani, et c’est là le troisième temps de ce mouvement, les solidarités se reconstituent autour de l’Iran. Même la contestation iranienne de novembre risque d’être asphyxiée par l’expression nationaliste qui se reforme autour de ce général martyr.
Les effets de l’exécution de Soleimani pourraient donc bénéficier à l’Iran ?
Dans les nouvelles relations internationales, l’action dite « de puissance » a tendance à se retourner contre celui qui l’accomplit. Parce que cela suscite des réactions de nationalisme, d’indignation, de colère, qui l’emportent sur les effets de puissance. De ce point de vue, je ne crois pas que le calcul « trumpien » soit d’une grande habileté stratégique.
Que peuvent faire l’Europe, la Chine, la Russie, les Nations Unies ?
Tous ces acteurs sont arrivés à un point de rupture par rapport à la situation au Moyen-Orient. Il y a d’ailleurs un signe qui ne trompe pas : lorsque d’autres États appellent à la retenue, c’est la preuve qu’ils ne savent ni quoi dire ni quoi faire. Dans cette nouvelle séquence du jeu moyen-oriental, personne n’a les réserves politiques ou diplomatiques capables d’influer sur le cours des événements. C’est évident pour l’Europe, qui s’est mise hors du jeu dans cette région depuis un bon moment. C’est différent pour la Russie, qui a noué des partenariats avec les deux puissances régionales principales que sont la Turquie et l’Iran, ce qui oblige aujourd’hui le Kremlin à ne pas lâcher Téhéran. Et en même temps, Poutine craint sans doute une escalade, qui rendrait ce soutien aussi dangereux que coûteux. La Chine, elle, cherchera juste à maintenir des relations minimales avec les pays producteurs de pétrole de la région. Quant aux Nations Unies, il ne faut rien en attendre. Le Conseil de sécurité a été impuissant face au conflit israélo-palestinien, à la crise syrienne, à la situation en Irak… Ce n’est pas la faute de l’Onu, mais celle des membres permanents du Conseil de sécurité et de leur usage abusif du droit de véto.
Vers quoi nous dirigeons-nous ? Une guerre, des actes terroristes, des assassinats ciblés ?
Paradoxalement, les attentes américaines et iraniennes se ressemblent : chacun a plus besoin d’une action symbolique que d’une action stratégique. Trump a montré les muscles en menant une action qui restera symbolique, parce qu’elle ne peut strictement rien donner de positif du point de vue stratégique. L’Iran, de la même manière, a besoin de montrer qu’elle est capable de tenir tête aux États-Unis : la riposte choisie par Téhéran se fera dans cette perspective. Il faudra que ce soit spectaculaire, mais il faudra éviter deux pièges : celui d’une étape vers la confrontation directe, que personne ne veut réellement, et la mise en danger de ses alliés régionaux. On peut donc imaginer une attaque sur une ambassade ou une action envers l’Arabie saoudite, où se court d’ailleurs actuellement le Dakar…
À lire : Bertrand Badie, « L’Hégémonie contestée. Les nouvelles formes de domination internationale », Éditions Odile Jacob, 238 pages, 22,90 €
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