Emprisonnée en Iran, la Française Fariba Adelkhah a cessé de s'alimenter

VIDÉO. La chercheuse est détenue depuis sept mois avec son collègue Roland Marchal. « Elle engage sa vie pour défendre sa liberté », confie au « Point » son ami Jean-François Bayart.

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Temps de lecture : 7 min

 Sept mois après son incarcération à la prison d'Evin, des nouvelles proviennent enfin de Fariba Adelkhah. Mais elles ne sont pas bonnes. Dans une lettre ouverte rédigée depuis le quartier pénitentiaire 2A, aux mains des Gardiens de la révolution (l'armée idéologique de la République islamique, NDLR), la chercheuse franco-iranienne du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, et sa collègue australienne Kylie Moore-Gilbert, retenue pour sa part depuis quinze mois, affirment avoir entamé mardi 24 décembre une grève de la faim. Elles protestent contre un emprisonnement « injuste basé sur de fausses accusations », survenu alors qu'elles effectuaient « simplement leur travail de chercheur » en Iran.

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« Nous avons été soumises à de la torture psychologique et de nombreuses violations de nos droits humains basiques », soulignent les deux universitaires, qui réclament leur « libération immédiate » dans la missive transmise au Centre pour les droits de l'homme en Iran, une ONG basée à New York. L'authenticité de la lettre a été confirmée par plusieurs sources, et a été accueillie avec une « très grande frayeur » par le chercheur Jean-François Bayart, collègue et ami de l'universitaire française. « Fariba a décidé de se mettre en grève de la faim et de la soif une première journée et a recommencé à boire de l'eau depuis, car une grève de la soif la condamnerait à mort en quelques jours », souligne ce proche au Point. « Elle a décidé d'engager sa vie pour défendre sa liberté et sa dignité. »

« Cris »

Anthropologue de renom et spécialiste du chiisme, Fariba Adelkhah, directrice de recherche âgée de 60 ans, a été arrêtée le 5 juin dernier à son domicile de Téhéran, le même jour que son collègue et ami Roland Marchal, appréhendé quant à lui à l'aéroport, et lui aussi détenu depuis dans la branche 2A de la prison d'Evin, mais dans la section réservée aux hommes. Bénéficiant de visites consulaires, le chercheur, spécialiste de la Corne de l'Afrique, souffre d'arthrose mais semble disposer d'un traitement médical. Contrairement à lui, Fariba Adelkhah ne peut voir de représentant français, les autorités iraniennes ne reconnaissant pas la double nationalité. Elle est considérée par Téhéran comme une citoyenne de la République islamique. Assistée d'un avocat indépendant, l'universitaire a toutefois reçu la visite de membres de sa famille.

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Si son état moral paraissait correct durant l'été, la santé psychologique de la chercheuse semble s'être dégradée. Fin novembre, des témoignages alarmants de prisonniers d'Evin au Centre pour les droits de l'homme en Iran faisaient état de « cris » de l'universitaire franco-iranienne, entendus au cours de ses interrogatoires. « Il s'agirait davantage de torture psychologique que physique », affirme Jean-François Bayart. « On sait que Fariba était très déprimée fin novembre et début décembre, elle pleurait beaucoup. »

« Décision gravissime »

Au terme de l'instruction, Fariba Adelkhah a été inculpée pour « espionnage », « désinformation » et « propagande » contre le régime iranien. « Cela permettrait à la justice iranienne de garder Fariba en prison si le chef d'inculpation principal – espionnage – s'avérait non-viable », explique le chercheur. Pourtant, début décembre, Fariba Adelkhah a un temps entrevu la fin de son calvaire après qu'un juge a accepté sa libération sous caution, ainsi que celle de Roland Marchal (accusé de son côté de « collusion contre la sécurité nationale », NDLR), selon leur avocat commun Saïd Dehghan, qui s'est exprimé à l'agence de presse Isna.

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Mais l'espoir a vite été douché par le parquet, qui a immédiatement fait appel, estimant que cette affaire devait être tranchée par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran. « C'est dans ce contexte que Fariba a pris la décision gravissime de se mettre en grève de la faim », explique Jean-François Bayart. « Connaissant Fariba, je sais qu'elle ne se voit pas vivre pendant des années, incarcérée dans l'incertitude absolue en étant l'objet d'un agenda opaque. »

Aux mains des « durs »

En étant détenue par les Gardiens de la révolution, Fariba Adelkhah est prisonnière des « durs » de la République islamique. Répondant directement aux ordres du Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, les Pasdarans ne dépendent ni du gouvernement ni même des services de renseignements. Ses chefs sont opposés à toute normalisation des relations avec l'Occident et cherchent à affaiblir le président « modéré » Hassan Rohani, qui avait tout misé sur une reprise des liens économiques avec les grandes puissances. En vain. « Le retrait unilatéral de Donald Trump de l'accord sur le nucléaire iranien, ainsi que ses menaces quotidiennes de renverser le pouvoir à Téhéran ont créé un sentiment de suspicion auprès des instances sécuritaires de l'Iran qui se montrent dès lors très tatillonnes », expliquait le mois dernier un diplomate moyen-oriental.

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Après l'espoir d'une résolution de l'affaire au cours de l'été, en parallèle de la médiation engagée par le président Emmanuel Macron entre l'Iran et les États-Unis, la fenêtre de tir semble s'être refermée en même temps que l'échec acté de l'initiative française. « Aujourd'hui, [elle est] un peu sur le retrait dans la mesure où nous avons des Français qui sont emprisonnés », a d'ailleurs déclaré le 27 novembre dernier le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devant les députés de l'Assemblée nationale. « À chaque fois dans l'Histoire que nous avons été en passe de réaliser un pas en avant avec les Européens, nous avons reçu des peaux de bananes sur notre chemin de la part d'éléments extrémistes en Iran, mais aussi en Israël et dans le monde arabe », peste le diplomate précité. « Tous ces acteurs préfèrent que l'Iran soit sous sanction et ne normalise pas ses relations avec le reste du monde. »

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Haussant ostensiblement le ton contre Téhéran, Emmanuel Macron a dénoncé le 10 décembre sur Twitter un emprisonnement « intolérable » et réclamé la libération « sans délai » des deux chercheurs, ce à quoi le porte-parole de la diplomatie iranienne, Abbas Moussavi, a répondu, sur le même réseau social, que la justice iranienne était indépendante et que toute « ingérence dans les Affaires intérieures de l'Iran [était] inacceptable ». Ce vendredi, le Quai d'Orsay a convoqué l'ambassadeur d'Iran en France, Bahram Ghassemi, pour lui signifier notamment son « extrême préoccupation sur la situation de madame Fariba Adelkhah qui a cessé de s'alimenter » et lui réitérer sa demande « d'accès consulaire, jusqu'ici refusée ».

« Si les autorités françaises sont mobilisées, nous faisons actuellement face à un grand silence de leur part et nous ignorons ce qui se passe », confie Jean-François Bayart. « Il faut maintenant placer l'Iran devant ses responsabilités. Le pays n'a qu'un seul chef d'État et c'est le guide suprême de la révolution. »

Marchandage

Il apparaît aujourd'hui que la République islamique, coutumière depuis quatre décennies des « marchandages d'otages », cherche aujourd'hui, à travers l'arrestation des deux chercheurs français, à obtenir la libération de deux citoyens iraniens incarcérés en Europe. Il s'agit d'Assadollah Assadi, un diplomate iranien actuellement emprisonné en Belgique, et soupçonné par la justice belge d'être un agent du renseignement lié à un projet d'attentat déjoué contre un rassemblement en juin 2018 de l'organisation des Moudjahidines du peuple, bête noire de Téhéran. L'autre détenu se nomme Jalal Rohollahnejad, ingénieur iranien arrêté le 2 février dernier à Nice. Accusé par les États-Unis d'avoir voulu exporter du matériel technologique (systèmes industriels à micro-ondes et de systèmes anti-drones, NDLR) en violation des sanctions américaines contre Téhéran, il a fait l'objet d'une demande d'extradition par la justice américaine, qui a été acceptée par le parquet général d'Aix-en-Provence. Mais il demeure toujours à l'heure actuelle sur le sol français.

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« Ces affaires n'ont strictement rien à voir entre elles », assure toutefois le diplomate moyen-oriental. « Monsieur Assadolahi est innocent. Quant à Jalal Rohollahnejad, l'ingénieur iranien retenu à Nice, il n'a rien commis de répréhensible en France, et se trouve dans une situation psychologique très difficile. »

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Commentaires (15)

  • opj52

    C’est la bonne vieille technique iranienne, la prise d’otage pour arriver à ses fins

  • Gdis

    Nous Français devons la soutenir. La discussion n’a rien a faire en l’état,
    Lorsqu’elle sera en sécurité on verra a parlementer...

  • baltazaroued

    Mais que cherchait elle là bas ?