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Interview

Européennes : «En personnalisant le débat, Macron s’est tendu un piège lui-même»

Européennes 2019dossier
Pour le politologue Marc Lazar, la contestation de la politique du chef de l’Etat et la dramatisation de l’enjeu européen ont poussé les Français à voter.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 26 mai 2019 à 22h56

Spécialiste des gauches et de la vie politique italienne, Marc Lazar est directeur du Centre d'histoire de Sciences-Po. Il vient de publier Peuplecratie, la métamorphose de nos démocraties (éd. Gallimard).

Quel est le fait marquant de ces résultats ?

La participation, beaucoup plus importante que ce que l’on pensait ! Les questions politiques intéressent finalement les Français. Les enjeux nationaux, la crise des gilets jaunes et les sujets européens ont pesé. La dramatisation sur le devenir de l’Europe, décrite comme en danger côté Macron et dangereuse côté Le Pen, a rendu cette élection cruciale. Les Français ont adhéré à l’idée que nous sommes à un tournant. Evidemment, la contestation de la politique de Macron joue sur cette participation. La colère est un sentiment répandu dans le pays. Elle pousse à une sanction du Président. La lutte contre la liste Renaissance de LREM et du Modem proposée par ses adversaires a créé une forme de politisation.

Le clivage «progressistes» contre «nationalistes», que la majorité a voulu instaurer, trouve-t-il une illustration ?

Oui et non. Oui car il y a une polarisation. Environ 45 % des votants ont choisi LREM ou le RN. C’est important. Les formations que je qualifierais de populistes font plus de 30 % de façon cumulée, tandis que les pro-européens sont au-delà de 40 %. Le clivage existe donc. Mais dans le même temps il est perturbé par la percée des écologistes, qui est confirmée dans d’autres pays. Elle montre l’importance du thème de l’environnement dans le débat, à côté de sujets plus classiques comme le pouvoir d’achat, l’économie ou l’immigration. Yannick Jadot fait un très beau résultat, qu’il faut tempérer au regard de celui de Daniel Cohn-Bendit en 2009.

Quelle est l’ampleur de la défaite de Macron ?

Il s’est tendu un piège lui-même. Il a voulu intervenir dans le débat directement, il l’a personnalisé. Si l’on reprend ses déclarations instaurant un débat avec le RN, on peut dire qu’il a perdu et qu’il apparaît comme défait. Car c’est lui qui avait mis en avant ce défi. Cependant, il est difficile d’établir une comparaison avec 2014 puisque LREM n’existait pas à l’époque. Mais au vu de l’impopularité du chef de l’Etat et de la crise des gilets jaunes, ce n’est pas une déroute. C’est une défaite relative. Il n’est pas distancé par le RN. Ce dernier conforte sa position. Marine Le Pen efface un peu son échec de la présidentielle, elle se relance.

Quid du score de LR ?

C’est une défaite énorme, une gifle terrible, un effondrement du grand parti de la droite. On sent déjà dans les déclarations des dirigeants qu’il y a un problème immense en son sein. LR n’est pas crédible, n’est plus crédible. Ils n’arrivent pas à repartir en avant. La ligne Wauquiez-Bellamy a échoué. La droite se retrouve confrontée à un problème de survie. Cela va tanguer considérablement dans les mois qui viennent.

Et à gauche ?

La situation est très difficile. Glucksmann évite le désastre. Toutefois, avec son score, il démontre que le PS ne constitue pas plus que LR une alternative à Macron et Le Pen. Au-delà des écologistes, la soirée se caractérise par le très mauvais résultat de LFI, un échec considérable. Mélenchon voulait apparaître comme la force dominante de gauche tout en refusant de s’inscrire dans le clivage droite-gauche. C’est raté. Surtout il s’est lancé à corps perdu dans le soutien aux gilets jaunes ces six derniers mois, leur tendant la main et faisant l’éloge d’Eric Drouet. Il a cru y voir l’expression de tout ce qu’il défend depuis des années. Tout ça pour ça. La question du rassemblement des forces de gauche va se poser dès demain et ce débat risque même de traverser La France insoumise. L’enjeu est clair : si la gauche reste divisée, ne va-t-elle pas continuer à sombrer et finalement disparaître ?

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