Grand Débat : le Président a-t-il compris les Français ? / Brexit : un système britannique à bout de souffle ?

Emmanuel Macron durant la dernière rencontre du Grand Débat en Corse, 4 avril 2019 / Parlement britannique ©AFP - Ludovic Marin / Niklas Halle'n
Emmanuel Macron durant la dernière rencontre du Grand Débat en Corse, 4 avril 2019 / Parlement britannique ©AFP - Ludovic Marin / Niklas Halle'n
Emmanuel Macron durant la dernière rencontre du Grand Débat en Corse, 4 avril 2019 / Parlement britannique ©AFP - Ludovic Marin / Niklas Halle'n
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Analyse politique et géopolitique de la semaine avec la journaliste Christine Ockrent, le professeur de relations internationales Bertrand Badie, l'économiste Daniel Cohen et l'essayiste Mathieu Laine.

Avec
  • Bertrand Badie Professeur des relations internationales
  • Daniel Cohen Économiste et directeur du département d'économie de l'École normale supérieure, Président de l'École d'économie de Paris
  • Christine Ockrent Journaliste et productrice de l'émission "Affaires étrangères" sur France Culture
  • Mathieu Laine Essayiste, directeur de la Société de conseil Altermind

Première partie : Grand Débat : le Président a-t-il compris les Français ?

Une quinzaine de débats, la plupart en régions, pas loin de 100 heures d’échanges avec les Français, plus de 2000 élus rencontrés, pour l’essentiel des maires, telles étaient ces statistiques que l’Elysée fournissait volontiers à qui voulait chiffrer l’implication personnelle du président de la République dans cette opération Grand Débat qu’il avait lancé le 10 décembre dernier au plus fort de la crise des Gilets Jaunes.

Un tour de France présidentiel en 80 jours débuté dans l’Eure, conclu en Corse jeudi, 80 jours au cours desquels Emmanuel Macron s’était montré apparemment inépuisable et volontairement au contact, à « portée de baffes » comme il le reconnaissait lui-même, travaillant ses dossiers pour être incollable même sur les questions les plus locales, premier arrivé, dernier parti, donnant le sentiment de vivre l’exercice comme une performance personnelle, tandis que ses détracteurs dénonçaient une succession de « one man show ».

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Le Président avait parait-il noirci des pages et des pages de carnets. Restait maintenant à savoir si cet exercice de consultations démocratiques totalement inédit avait permis de réparer un lien très dégradé entre les Français et le Président et au delà entre les Français et LA, LE Politique en général. Certains élus se voulaient positifs, à l’image du maire socialiste de Bourg en Bresse qui avait confié cette semaine au Huffington Post que ce grand débat aurait au moins eu la vertu de renouer le lien entre l’exécutif et les élus locaux, ajoutant : « j’ai eu plus de relations avec des ministres en 4 mois que lors des 18 premiers mois ».

Réparer le lien avec les maires. Première étape pour réparer le lien avec les Français : Re-Faire Nation après un Grand Débat qui avait permis de faire émerger une foultitude de revendications individuelles et catégorielles : attendu que l’issue de ce Grand Débat ne pourrait pas être « 66 millions de réponses », comme avait pris soin de le rappeler cette semaine le chef de l’état. Voilà qui posait la question de savoir s’il existait encore des mesures politiques, des réponses politiques susceptibles de satisfaire le plus grand nombre, dans cette France si bien décrite par Jérôme Fourquet dans son dernier livre, qui démontrait, cartes, tableaux et graphiques à l’appui, que la nation française une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun s’était morcelée ces dernières années en un archipel d’îles s’ignorant les unes les autres.

Dans cette France là, fragmentée, le grand débat avait certes fait baisser la température, avait permis au président de reprendre la main et à des centaines de milliers de Français de s’exprimer, l’impopularité présidentielle semblait endiguée. Mais la colère et parfois même la haine des gilets jaunes, le discours populiste anti-élites, les fractures françaises, ces maux là, eux étaient-ils au fond, guérissables ?

Deuxième partie : Brexit : un système britannique à bout de souffle ?

Imaginez l’impensable : une campagne des Européennes qui s’organiserait à la va vite en Grande Bretagne, des partis obligés de prévoir candidats affiches et slogans alors même qu’ils n’étaient plus censés se soucier de l’avenir des institutions européennes depuis le coup de tonnerre du 23 juin 2016 qui avait donné une majorité aux pro Brexit. Cette semaine en effet Theresa May avait dû s’engager à mener « les préparatifs responsables en vue d’organiser les élections européennes » pour obtenir de Bruxelles un nouveau report du Brexit.

On avait parlé du 29 mars, puis du 12 avril on entendait maintenant parler du 23 mai voire du 30 juin, voire d’une longue extension flexible jusqu’au printemps 2020.

En attendant, Theresa May tentait une énième tactique pour parvenir à ses fins, à savoir un Brexit doux ou divorce à l’amiable, c’est-à-dire un accord avec les Européens : elle avait enfin décidé d’engager le dialogue avec le leader de l’opposition Jeremy Corbyn, quitte à se mettre à dos une grande partie des conservateurs, surtout en cédant sur un point crucial : le maintien de la Grande Bretagne post Brexit dans une union douanière avec l’Union : 

Un casus belli pour les partisans d’un brexit dur, qui précisément voulaient se libérer des pesanteurs bruxelloises pour développer une politique commerciale autonome. Bref l’avenir britannique semblait toujours aussi incertain, ce qui apparaissait clairement en revanche c’était l’essoufflement d’un système : comme si le referendum de 2016 avait modifié en profondeur l’équilibre du modèle politique britannique basé sur la souveraineté parlementaire :

A regarder ce parlement sans cesse dans l’impasse, qui semblait dire non à tout, incapable de faire preuve de responsabilité, ces alliances qui se nouaient et se dénouaient, ces combines des uns et des autres à l’intérieur même des familles politiques, on se disait qu’il était loin où l’éminent historien français de la fin du 19e, Auguste Legel, écrivait dans La Revue des deux mondes : "il n’y a pas d’assemblée plus auguste que le parlement anglais ; les Anglais ont appris à l’Europe, à l’Amérique, à l’Australie, au monde entier, à connaitre, à envier un certain idéal de gouvernement, qui met la force au service de la raison, qui livre le pouvoir à l’intelligence, qui impose des réserves à toutes les impatiences et des freins à toutes les ambitions. La souveraineté du parlement britannique s’arrête toujours instinctivement devant tout ce qui semble menacer la patrie"

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