Les fusils d’assaut interdits en Nouvelle-Zélande : pourquoi ça a été aussi vite ?

Une semaine après l’attentat islamophobe ayant coûté la vie à 50 fidèles à Christchurch, le monde politique comme la population civile soutient la mesure de la Première ministre.

 La réglementation sur les fusils d’assaut n’avait plus évolué depuis 1992.
La réglementation sur les fusils d’assaut n’avait plus évolué depuis 1992. DOMINICK REUTER/AFP

    Une rapidité à en faire pâlir Bernie Sanders. Une semaine tout juste après la tragédie de Christchurch, ayant coûté la vie à 50 fidèles musulmans, la Nouvelle-Zélande a déjà limité drastiquement l'utilisation des armes à feu sur son sol. Interdiction des fusils d'assaut et des armes semi-automatiques, programme de rachat des armes en circulation…

    « C'est à ça que ressemblent de vraies mesures pour arrêter la violence due aux armes », a salué sur Twitter le candidat socialiste à la présidentielle américaine. Alors que, chez l'oncle Sam, la fréquence élevée des tueries ne fait pas plier le tout puissant lobby de la NRA, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a elle réussi son pari à une vitesse éclair.

    Une « prouesse », selon David Camroux, chercheur associé à Science-Po CERI (Centre de recherches internationales). Ce spécialiste de l'Asie du Sud-Est et de l'Océanie invoque l'héritage culturel du pays mais aussi des facteurs plus politiques pour expliquer la célérité de cette mesure.

    « Elle a cette capacité à incarner son pays »

    L'adhésion du pays à cette réforme, c'est tout d'abord celle à sa Première ministre, en place depuis 18 mois. Dès le lendemain du drame, la trentenaire a suscité le respect et l'admiration en se rendant, coiffée d'un foulard noir, à la rencontre des rescapés et des familles des victimes. Ces différents messages d'apaisement et d'ouverture ont été très bien accueillis par la population locale et à l'étranger.

    La communauté musulmane a ainsi bénéficié d'une grande bienveillance, comme le prouvent les milliers de fleurs de gerbes déposées devant les mosquées du pays. La responsable d'une école privée anglicane de la ville d'Auckland a eu beau appeler ces derniers jours les élèves musulmanes à retirer leur hijab et de respecter le simple port de l'uniforme, celle-ci a été instantanément condamnée.

    La Première ministre Jacinda Ardern aux côtés de représentants de la communauté musulmane/ Handout via REUTERSREUTERS
    La Première ministre Jacinda Ardern aux côtés de représentants de la communauté musulmane/ Handout via REUTERSREUTERS DOMINICK REUTER/AFP

    « C'est un sans-faute depuis une semaine. Elle a cette capacité à incarner son pays, avec une empathie et une sympathie qui paraissent sincères. Et elle a prouvé son respect profond pour le multiculturalisme et la diversité, les deux fondements de la société néo-zélandaise », poursuit David Camroux.

    Depuis le départ, cette mère de famille - elle a accouché à l'été 2018 - séduit par son progressisme. Un style souvent comparé à celui du canadien Justin Trudeau, du moins à ses débuts. Lors des funérailles à Christchurch, la dirigeante a rappelé son attachement à la tradition d'accueil des réfugiés de son pays. « C'est un crève-coeur de savoir qu'une famille est venue ici pour être en sécurité, pour trouver refuge », s'est-elle ainsi émue au sujet d'un père et son fils, assassinés moins d'un an après avoir fui l'horreur du conflit syrien.

    « L'attentat a forcément joué un rôle d'accélérateur »

    La dirigeante milite d'ailleurs depuis des années pour une réforme des armes à feu. Seulement, son allié au gouvernement, le parti nationaliste et anti-immigration « Nouvelle-Zélande d'abord », s'y opposait fermement… jusqu'à la tuerie du suprémaciste Brenton Tarrant. « La réalité c'est qu'après 13 heures vendredi, notre monde a changé à jamais et nos lois feront de même », s'est justifié depuis son leader Winston Peters, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. L'opposition, de droite, a elle aussi donné son aval immédiatement.

    « L'attentat a forcément joué un rôle d'accélérateur. Mais tout n'était pas forcément gagné d'avance, nuance David Camroux. En France, après le Bataclan, François Hollande n'a pas surfé très longtemps sur un climat d'unité nationale. Les querelles politiques ont vite repris le dessus ». En témoignent, en effet, les crispations autour du projet de loi sur la déchéance de nationalité; finalement abandonné.

    Ce consensus autour de l'interdiction des fusils d'assaut s'explique aussi culturellement. Contrairement aux Etats-Unis, attachée au deuxième amendement, on est loin du conflit idéologique. « C'est bête mais ils n'y avaient pas songé sérieusement avant car il n'y avait jamais eu de problèmes et de meurtres de masse comme celui-ci », atteste le chercheur d'origine australienne. La Nouvelle-Zélande est en effet un pays les moins violents de la planète. En 2017, on dénombrait moins de cinquante meurtres dans ce pays de cinq millions de personnes.

    Les fermiers premiers concernés

    Traditionnellement, la société néo-zélandaise conçoit surtout les armes à feu comme des outils indispensables pour les fermiers du pays face à l'introduction, au fil des siècles, de bêtes prédatrices venues d'Australie ou d'Europe. L'« opposum », ce marsupial qui détruit les nids des kiwis, fait par exemple l'objet d'une haine nationale, comme le rapportait déjà en 2009 Le Monde.

    Malgré cela, fermiers et chasseurs se sont également rangés derrière la Première ministre. Au prix certes de quelques dérogations. « La remise ou la destruction des armes à feu qui ne se plieront pas aux nouvelles normes vont en décevoir beaucoup, fermiers ou non […] Mais la répression est la voie à suivre pour que nous ne soyons plus jamais témoins de ce genre de tragédie sur nos côtes », a affirmé le porte-parole de la Fédération nationale des fermiers.

    Certains citoyens néo-zélandais n'ont en tout cas attendu l'adoption définitive du Parlement en avril pour se séparer de leur fusil. Sur Twitter, John Hart, un fermer de 49 ans, a publié lundi une photo du bordereau demandant aux autorités de détruire son semi-automatique. «Jusqu'à aujourd'hui, j'étais l'un des Néo-Zélandais qui possédait un fusil semi-automatique. À la ferme, ils peuvent être un bon outil dans certaines circonstances, mais ma commodité ne l'emporte pas sur le risque d'une mauvaise utilisation», a-t-il commenté