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Jacinda Ardern, l’intrépide femme politique au parcours «sans fausse note»

La première ministre est une personnalité politique méconnue. Mise en lumière depuis l’attentat commis dans les mosquées de Christchurch, Jacinda Ardern a connu une ascension fulgurante. Retour sur son parcours et analyse de sa réaction avec le politologue René Knüsel, professeur à l’UNIL, et David Camroux, chercheur australien associé à Science-Po CERI

La première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a rencontré le 20 mars 2019 l’une des premières intervenantes sur les lieux de la fusillade dans la mosquée de Christchurch. — © Edgar Su/REUTERS
La première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a rencontré le 20 mars 2019 l’une des premières intervenantes sur les lieux de la fusillade dans la mosquée de Christchurch. — © Edgar Su/REUTERS

La réactivité et les mesures proposées par Jacinda Ardern, la première ministre de Nouvelle-Zélande, renvoient une image de femme intrépide. Suite à l’attentat perpétré dans la ville de Christchurch, son empathie et sa détermination sont soulignées par les médias locaux et étrangers.

Le 15 mars dernier, un Australien de 28 ans a ouvert le feu dans deux mosquées de cette ville de l’île du sud. Le terroriste, présenté comme «un violent extrémiste de droite» par le premier ministre australien, a tué 50 personnes et fait autant de blessés. L’auteur était équipé d’une caméra portative, l’attentat a été retransmis en direct sur son compte Facebook.

«Son objectif était de montrer que même cette petite ville tranquille du bout du monde était «envahie» par les musulmans», affirme l’Australien David Camroux, chercheur associé à Sciences-Po CERI – Centre de recherches internationales. Lors de son premier discours après les attentats, Jacinda Ardern a insisté sur le fait qu’il ne fallait plus nommer l’auteur de ces actes. «Elle refuse ainsi d’inscrire son nom dans les pages de l’histoire, ce que recherchent malheureusement des gens qui se sentent insignifiants», observe René Knüsel, politologue et professeur à l’UNIL.

«Que la paix soit avec vous»

Suite aux attentats, la première ministre a demandé à s’entretenir avec les dirigeants de Facebook pour qu’ils révisent leur outil de diffusion en direct. Le réseau social n’avait en effet interrompu le live de l’assaillant qu’au bout de dix-sept minutes. En vingt-quatre heures, plus d’un million de vidéos de cet attentat ont été supprimées. «Elle est allée jusqu’au bout de sa démarche, car les réseaux sociaux sont une caisse de résonance», constate le politologue.

Le lendemain, Jacinda Ardern est allée à la rencontre des proches des victimes. Avec des membres de la communauté musulmane, elle leur a rendu hommage au Wellington’s islamic center, la tête recouverte d’un foulard noir. «Avec ce geste extrêmement important de respect, elle a transmis une grande compassion. Elle ne leur serrait pas la main, mais les prenait dans ses bras», analyse René Knüsel.

Le 19 mars, pour ouvrir la session parlementaire, Jacinda Ardern a adressé un message de paix aux musulmans, qu’elle a commencé avec un «As-salaam alaikum» – «Que la paix soit avec vous». Elle a également confirmé sa volonté de durcir les lois sur le port d’arme. Des mesures annoncées «avec une folle détermination», commente le politologue. «Il y aura bien évidemment des oppositions, car elle entre dans une démarche contradictoire avec la culture de ce pays.»

«Une ascension fulgurante»

Pour René Knüsel, cette réaction a un côté «inhabituel, d’une certaine tranquillité. Elle a partagé son émotion, mais on ne sentait pas que la situation la dépassait.» La phrase de la première ministre au sujet des victimes, «They are us», a pour lui une portée philosophique: «Cela veut dire qu’on reconnaît la différence, mais que malgré elle, ils sont nous. Elle reconnaît l’être humain.»

Même si la cheffe du gouvernement néo-zélandais «donne l’impression d’avoir une grande expérience en politique, il ne faut pas oublier qu’elle n’est élue [au parlement, ndlr] que depuis 2008», rappelle le chercheur australien. Suite à la démission d’Andrew Little, Jacinda Ardern a été nommée à la tête du Parti travailliste en août 2017, «soit sept semaines avant d’être élue Première ministre. C’est une ascension fulgurante!», s’exclame David Camroux.

Mais avant cela, Jacinda Ardern était déjà active en politique. Membre du parti depuis ses 17 ans, elle a notamment travaillé pour le ministre des Affaires étrangères Phill Goff et a été la conseillère d’Helen Clark, l’ancienne première ministre. Selon David Camroux, cette dernière «a été sans aucun doute son mentor».

Elue au parlement à 28 ans

En 2006, Jacinda Ardern est partie six mois à New York pour travailler comme volontaire dans une soupe populaire et pour une association qui défend le droit des travailleurs. Après quoi elle s’est installée à Londres, où elle a été la conseillère de Tony Blair, alors premier ministre britannique. «En tout, elle cumule plus de sept ans d’expérience au sein de cabinets ministériels», constate David Camroux.

En 2007, Jacinda Ardern est élue présidente de l’Union internationale de la jeunesse socialiste (IUSY). Un poste qui la conduit à voyager en Algérie, en Chine, en Inde, en Israël, en Jordanie et au Liban. C’est cette même année qu’elle décide de rentrer en Nouvelle-Zélande et qu’elle obtient son siège au parlement. Agée de 28 ans, elle est présentée comme la plus jeune membre du parlement néo-zélandais.

Fille d’un ancien policier, mormone reconvertie en agnostique pour protester contre les positions homophobes de ses anciens coreligionnaires, au bénéfice d’une licence en communication et DJ dans des soirées et festivals, Jacinda Ardern n’aime pas les raccourcis. «Aux Etats-Unis et en Angleterre, elle répétait sans cesse qu’elle n’aimait pas le surnom «Cindy» et qu’elle s’appelait Jacinda», raconte David Camroux.

Une question inacceptable

Lors des élections, sa première interview télévisée a marqué les esprits. Un journaliste l’a interrogée sur son futur choix possible entre une carrière politique ou être mère. Ce à quoi elle a répondu, en pointant du doigt: «C’est inacceptable que ce genre de question soit encore posée en 2017!» Une réponse qui a propulsé la candidate sur le devant de la scène médiatique.

Elle est alors devenue une figure de proue du féminisme «et le visage de cette élection à l’internationale. Ce qui a certainement joué en sa faveur. Les médias néo-zélandais ont baptisé cette effervescence de «Jacinda-mania», complète le politologue René Knüsel. Comme un pied de nez, sur les marches du parlement, elle choisit de poser pour les photos officielles avec son compagnon et ses deux nièces. Après avoir accouché, en juin 2018, elle défraye la chronique en allant à l’ONU avec son enfant.

Diversité, ouverture, unité

A 37 ans, Jacinda Ardern est la troisième femme à être élue première ministre du pays et la plus jeune depuis 1856. «Elle casse beaucoup de représentations sociales attendues des dirigeants. Elle est surprenante, mais je pense qu’elle est intègre dans sa démarche», affirme René Knüsel. «Cette mise à profit de la différence est exceptionnelle. Elle porte des valeurs qui sont moins défendues en Océanie.»

Pour David Camroux, Jacinda Ardern est le reflet de «l’image que les Néo-Zélandais ont d’eux-mêmes: la diversité, l’ouverture et l’unité. Elle a inventé un travaillisme moderne en prenant en compte les revendications écologiques et porte aujourd’hui la gauche vers le XXIe siècle.» Tous deux s’accordent à dire que le parcours de Jacinda Ardern est pour le moment «sans fausse note».