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Essai La science des surfaces

Dans ce beau livre, l’historien Romain Bertrand réhabilite l’entreprise naturaliste.  Le détail du monde  Romain Bertrand Seuil, 288 pages, 22 euros

À mi-chemin de la poésie de Goethe et des descriptions géographiques de Humboldt est né un savoir sensible du monde, une connaissance intime du détail naturel. Le lexique qui s’invente alors, c’est celui des surfaces moirées d’insectes vrombissants mais également celui des courbes végétales qui ourlent la campagne ou obombrent la jungle. Romain Bertrand reconstitue la généalogie de cette science singulière qui invite à connaître les êtres, les plantes, les choses par la caresse du regard et l’obstination de l’observateur. Toutefois, la passion entomologiste ne prémunit pas contre la tentation morbide de l’« entaille », cette manie sanglante de dépecer les animaux pour les épingler en trophée zoologique. Alfred Russel Wallace, co-inventeur de la théorie de l’évolution avec Charles Darwin, a traversé de grands espaces sauvages au XIX e siècle. Il s’est efforcé de restituer ce grain infime de la nature dans laquelle il s’immergeait, tout en menant des raids meurtriers contre les orangs-outans de Bornéo. Il en va de même du peintre Tynare, dont la science chromatique et picturale du bleu est mise au service d’Albert I er de Monaco, qui double son observation scientifique d’une obsession morbide pour la chasse.

Contre cette tradition d’une connaissance qui ne serait rendue possible que par la mort des entités observées, fraie la voie des surfaces, celle du poète Francis Ponge et celle du fondateur de la science écologie, Ernst Haeckel. Au XX e siècle, Tom Harrisson s’est efforcé de conjuguer le soin maniaque de l’observation ornithologique et la quête sociologique des conduites humaines. Fondateur d’une sociologie sauvage fondée sur la description méticuleuse des déplacements, des conversations, des gestes et des usages, Harrisson avait d’abord, dans sa jeunesse, contemplé les oiseaux, noté leurs vols, décrits leurs habitudes. Enveloppant le monde de leur seul regard, les adeptes de la surface ont proposé une pratique alternative de la constitution des savoirs. Le beau livre de Romain Bertrand évoque les vestiges de cette science qui se faisait un devoir de ne pas saccager ce qu’elle explorait. Il rappelle que les connaissances ainsi produites n’étaient pas moins robustes que celles qui, désormais, n’envisagent plus de savoir sans faire disparaître.

Jérôme Lamy Historien des sciences


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