Livre. Disons-le d’emblée : il y a trois bonnes raisons de lire l’ouvrage collectif dirigé par Guillaume Devin et Michel Hastings, deux professeurs de science politique, le premier à Paris, le second à Lille. La première est qu’en cette période d’incertitudes mondiales recourir aux sciences sociales pour mieux comprendre les mutations du système international met un coup de vieux à celles et ceux qui les expliquent exclusivement par le prisme institutionnel. Non, la compréhension des affaires du monde est loin de relever des seules logiques de rapports de force géopolitiques et autres jeux des Etats. Les relations internationales relèvent avant tout du fait social. Et après avoir publié, en 2015, Dix concepts sociologiques en relations internationales (CNRS Editions), Guillaume Devin récidive avec, cette fois-ci, Michel Hastings comme coauteur et l’anthropologie comme science maîtresse. Et le résultat est plus que convaincant.
Car – et c’est la deuxième raison – la méthode suivie par les deux auteurs est celle de la mise en relation des sciences sociales. Une approche de mixité contre toutes les digues et cloisons intellectuelles et contre toutes les démonstrations étanches, qui empêchent de bien saisir ce décentrement qui gagne l’ensemble du monde et toutes les disciplines qu’il renferme. Cette « valorisation d’une pensée de l’hybridation » renverse les schémas classiques de la science politique, propose d’autres regards sur la complexité du monde et suscite de nouvelles questions, qui, sans cette interaction, n’apparaîtraient pas à l’œil nu.
Redécouvrir des penseurs
En accomplissant ce « voyage » en anthropologie, comme l’écrivent les auteurs – le principe est simple : un concept, un auteur-clé, comme « le pouvoir » avec Pierre Clastres ou « l’échange » avec Claude Lévi-Strauss –, le lecteur (re)découvre la pertinence d’auteurs un peu oubliés ou marginalisés en France. On pense notamment à René Girard, plus connu outre-Atlantique que dans l’Hexagone, mais dont les travaux sur la violence résonnent encore plus fort depuis l’irruption des nouvelles formes de conflictualité.
Et c’est là la troisième raison : dans ce monde interdépendant mais incertain, l’anthropologie connaît un regain d’intérêt salutaire et éclairant. A l’heure où les conflits infraétatiques se révèlent de plus en plus nombreux et suscitent de vives inquiétudes parmi des opinions publiques désorientées, s’emparer de « l’institution », du « rite », de la « structure », avec Mary Douglas, Arnold Van Gennep et Edmund Leach, permet de mieux cerner les pathologies sociales des Etats et d’envisager des solutions durables pour en sortir. Et peut-être aussi qu’en s’inspirant des réflexions anthropologiques de ces différents penseurs parviendrons-nous à redonner au « politique » le contenu qu’il mérite et sa place centrale dans l’organisation des sociétés et l’architecture du pouvoir. C’est du moins ce que l’on espère en accompagnant Guillaume Devin et Michel Hastings dans leur odyssée pleine de rebondissements intellectuels.
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