Incertitudes italiennes   

Le résultat des élections italiennes du 4 mars dernier s'avère paradoxal. D'un côté, une certitude se dégage de ce scrutin qui a désigné trois perdants et trois vainqueurs. De l'autre, celui-ci a fait entrer l'Italie dans une phase d'extrême incertitude politique.

Les perdants sont d'abord les deux principaux partis politiques qui, depuis des années, s'efforçaient d'imposer leur hégémonie au sein de leurs pôles respectifs. Au centre gauche, le Parti démocrate (PD) avec 18,7% des suffrages à la Chambre des députés a essuyé un échec cinglant. Il a presque disparu dans le sud et il recule dans ses bastions du centre de l'Italie. Au pouvoir durant la dernière législature, il a été sanctionné pour sa politique, une sanction que les Italiens ont systématiquement appliquée depuis 1994 en "sortant les sortants". Le Parti démocrate paye également la personnalisation et la médiatisation à outrance de son dirigeant Matteo Renzi, lequel a d'ailleurs présenté sa démission aux lendemains de ce désastre. Enfin, la défaite du PD constitue un exemple de plus de la profonde crise de la gauche continentale européenne. Pour sa part, Forza Italia de Silvio Berlusconi avec 14% des voix a réalisé son plus faible résultat électoral depuis sa création en 1994. Il Cavaliere, à 81 ans, ne mobilise plus que le noyau dur de ses fidèles et n'arrive plus à agréger derrière lui un arc de forces plus ample, allant des confins de la droite extrême au centre. L'épuisement de son parti, qui n'existe quasi exclusivement que par et pour lui, atteste d'un phénomène plus ample, celui des difficultés d'une droite européenne repérable par exemple en France, en Allemagne, en Autriche ou en Espagne. En Italie comme ailleurs, les partis de gouvernement sont pénalisés. Enfin, le troisième perdant est la petite coalition de la gauche radicale, Libres et égaux, qui ambitionnait d'affaiblir le PD et de rassembler 6% des électeurs : elle n'a recueilli qu'un peu plus de 3% des voix.

Le premier vainqueur est le Mouvement 5 étoiles (M5S) (32,6% des voix à la Chambre des députés). Une formation inclassable dans le panorama des populismes européens. Elle propose un programme à la fois de gauche classique et de gauche post-moderne (comme avec le revenu de citoyenneté) mais aussi écologique et enfin de droite sur les questions de sécurité et d'immigration. Durant cette campagne, le M5S a opéré des changements notables par rapport à 2013, année où il était devenu le premier parti italien avec 25,6% des suffrages. Cette année, il était emmené par un jeune leader, Luigi Di Maio, 31 ans, qui, à l'opposé de Beppe Grillo, s'est présenté, y compris dans son hexis corporel et sa façon de s'exprimer, comme le dirigeant d'une formation crédible. Il a modéré ses critiques à l'égard de l'Union européenne, de l'euro et de ce qu'il appelait jusqu'alors "le business de l'immigration". Enfin, il a accepté le principe d'éventuelles alliances avec d'autres partis. Le M5S, présent un peu partout sur le territoire, a surtout conquis le sud de la péninsule plongé dans une situation de grande détresse sociale. La Ligue est le deuxième grand vainqueur (17,3% contre 4% il y a 5 ans). Son dirigeant, Matteo Salvini, a transformé la Ligue du Nord, formation régionaliste, hostile à Rome et aux méridionaux, en un parti inspiré du Front national français, délibérément situé à l'extrême droite avec ses critiques virulentes des immigrés, de l'insécurité et de l'Europe. La Ligue, solidement implantée au nord, a percé dans le centre et un peu progressé dans le sud. A ses côtés, le petit parti post-fasciste de Frères d'Italie, avec plus de 4% des voix, double ses voix par rapport à 2013. La coalition de centre droit qui regroupe ces deux partis plus Forza Italia et un minuscule regroupement centriste s'est donc fortement droitisée.

Autant l'analyse électorale est simple, autant les scenarii pour le futur sont flous car aucun parti ou aucune coalition n'est en mesure d'exercer le pouvoir seul, faute de disposer de la majorité des sièges à la Chambre des députés et au Sénat. La démocratie parlementaire et le président de la République Sergio Mattarella sont donc soumis à rude épreuve pour tenter de former un gouvernement. Toutes les combinaisons possibles seront explorées : une alliance centre droit-centre gauche, une coalition M5S-PD, une union M5S-centre droit, une alliance M5S-Ligue ou encore un gouvernement de "minorité" dirigé par une personnalité qui disposerait, pour un temps limité, d'une courte majorité parlementaire avec en cas d'échec, la possibilité de retourner rapidement devant les électeurs. Les Italiens sont donc dans l'attente, les Européens également. D'autant plus que ce scrutin a marqué une étape supplémentaire dans le grand mouvement, amorcé il y a un quart de siècle, de désenchantement, de morosité, voire de scepticisme à l'égard de l'Europe.

En effet, l'Italie, pays fondateur de la Communauté européenne et traditionnellement très europhile, a changé d'orientation. Une première fois, au milieu des années 1990, quand les critères de Maastricht ont empêché les gouvernements de continuer à creuser le déficit et la dette publique, qui permettaient d'assurer une forme de paix sociale. Une deuxième fois à partir de 2007-2008, avec la crise financière et économique qui a violemment affecté la péninsule et entraîné austérité, rigueur, récession, chômage, creusement des inégalités et accroissement de la pauvreté. Enfin, à partir de 2013 et au cours des années suivantes, plus de 660 000 migrants sont arrivés dans des conditions dramatiques sur les côtes du pays et les Italiens se sont sentis, à juste raison, abandonnés par les autres Etats membres de l'Union européenne pour gérer cette situation.

Il s'agit désormais de savoir quelle orientation prendra le nouvel exécutif, si un nouvel exécutif peut être formé à l'issue du scrutin parlementaire, sachant qu'un Italien sur deux a voté pour des partis qui, sur le fond, se méfient et critiquent l'Union européenne quand bien même ils ont atténué leurs charges contre celle-ci au cours de la campagne électorale. L'Italie restera-t-elle ce grand pays protagoniste de la construction européenne et de son hypothétique relance ou préférera-t-elle s'en tenir à l'écart ? Telle est la grande question qui se pose aux lendemains d'élections sans doute historiques.

Coup d'oeil 

Les nouveaux projets ANR (2)

Le second projet du CERI retenu par l'ANR l'an dernier et dont les travaux viennent de commencer est consacré au thème : "Hybridations électriques : formes émergentes de la transition énergétique dans les villes du Sud (HYBRIDELEC)".

L'équipe, dirigée par Eric Verdeil au CERI avec l'appui de Sylvy Jaglin (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, LATTS), se compose de treize chercheurs juniors et seniors et recrutera un doctorant, un post-doctorant et plusieurs étudiants en master, pour étudier sept terrains en Afrique et en Asie.

Les villes des pays émergents et en développement connaissent de lourds problèmes de fourniture en électricité que les réponses conventionnelles - par exemple, l'extension du réseau - ne parviennent pas à résoudre. C'est pourquoi on assiste au développement de solutions alternatives, individuelles ou collectives, tels que des réseaux décentralisés et hybrides. Appliquant le concept d'hybridation aux études sociotechniques, ce projet propose d'étudier ces nouvelles configurations, qui restent mal connues, et leurs impacts sur le futur du système électrique. D'une durée de quatre ans, la recherche étudiera empiriquement ces objets (par enquête auprès des acteurs du marché et analyse des pratiques de régulation) et examinera leur impact sur les conceptions usuelles de la transition énergétique.

L'évolution du projet et ses résultats peuvent être suivis par l'intermédiaire d'un carnet de recherche en ligne.

Brèves 

Chaire CERI-CERIUM en études internationales

Gilles Favarel-Garrigues et Samuel Tanner, professeur adjoint à l'Ecole de criminologie de l'Université de Montréal, sont les premiers titulaires de la Chaire CERI-CERIUM en études internationales. Ils développeront en tandem un programme de recherche et de formation axé sur les transformations contemporaines du policing, c'est-à-dire de l'ensemble des pratiques visant à maintenir l'ordre et à lutter contre la déviance. Dans le souci de transmettre des savoirs fondamentaux sur les questions de policing, de constituer un lieu d'échange autour d'enquêtes empiriques en cours et de créer un réseau transnational de jeunes spécialistes, trois thématiques seront développées : la coproduction du policing, les pratiques de vigilantisme et d'auto-justice, et l'usage des nouvelles technologies dans les missions de police. Cliquez ici pour en savoir plus.

Premier prix de thèse de l'IHEDN pour Samuel Faure

Déjà lauréat du prix Jean-Louis Quermonne, Samuel Faure a été une seconde fois recompensé, par le premier prix de thèse de l'IHEDN, pour son travail "Variétés de la décision : le dilemme de la politique d'armement en Europe. Le cas de la France de 1945 à nos jours" soutenu en 2016 sous la direction de Christian Lequesne.

EVENEMENTS
Séminaire de recherche

Quelle histoire des catégories raciales? Seulement contemporaine ou bien plus ancienne?

  14/03/2018
  15:00   17:00

 

Séminaire de recherche

S'allier dans les négociations climatiques : une condition de participation équitable pour les petits Etats insulaires ?

  14/03/2018
  16:00   19:00

 

Débat

Le Comité contre la Torture des Nations Unies

  14/03/2018
  17:00   19:00

 

Séminaire de recherche

Multilateralism and global health governance

  15/03/2018
  17:00   19:00

 

Débat

The Poor's Struggle for Political Incorporation

  20/03/2018
  12:00   14:00

 

Débat

What future for Egypt under military rule?

  21/03/2018
  17:00   19:00

 

Débat

The conflict in and around Ukraine: the role of the OSCE Special Monitoring Mission

  22/03/2018
  17:15   19:15

 

Lancement d'ouvrage

Max Weber dans la guerre de 1914-1918. La tentation nationaliste

  05/04/2018
  17:00   19:00

 
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