Nuit Debout. CC BY 2.0. Thierry Ehrmann
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Centrale nucléaire du Bugey et champ de tournesol. CC BY-SA 2.0)
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Les médias font-ils les élections ?

Donald Trump amenaza Apple a cambiar su lugar de producción. Crédits : CC BY-SA 2.0. iphonedigital

Le Canard enchainé. Crédits : Esther Vargas. CC BY-SA 2.0
Le rôle des médias dans les comportement électoraux ne se limite pas aux déflagrations qu’engendrent leurs révélations sur tel ou tel candidat.  Ils jouent aussi un rôle “normal” dans des campagnes “normales”, ainsi que le montre Ruben Durante, chercheur au Département d’économie, qui a consacré plusieurs études à  ce sujet en se fondant sur des méthodes économétriques.

Publicité télévisuelle au Mexique : des convictions renforcées

Dans l’une de ses études,  Political Advertising and Voting Intention: Evidence from Exogenous Variation in Ads Viewership, Ruben Durante interroge l’impact des spots publicitaires politiques sur les intentions de vote lors de la campagne présidentielle mexicaine de 2012. Il démontre que si, en l’occurrence, l’impact des campagnes télévisées avait été significatif sur les intentions de vote, il était resté bref et décroissant à l’approche du scrutin. Par ailleurs, il montre que son effet avait été plus important sur les électeurs les plus diplômés et qu’il est surtout venu renforcer des convictions déjà acquises. Enfin, il souligne que ces publicités n’avaient pas apporté aux téléspectateurs une meilleure connaissance des projets politiques.

Forza Italia - Silvio Berlusconi - Elezioni Europee - Comizio di chiusura della campagna elettorale a Roma - 22-05-2014Télévision et internet en Italie : de l’abstention aux partis extrêmes ou alternatifs

Dans une deuxième étude – The Political Legacy of Entertainment TV– Ruben Durante s’est penché sur l’impact électoral des chaînes télévisées du groupe Berlusconi. En s’appuyant sur les données permettant de suivre pas à pas leur implantation à travers le pays, il montre que les communes les plus précocement exposées aux chaînes de divertissement de ce groupe ont voté plus favorablement pour son propriétaire que les communes qui le furent plus tard. Il  établit aussi une corrélation entre les fortes audiences pour les chaînes de Berlusconi et la progression de l’individualisme. Plus précisément, il montre que l’exposition à un jeune âge à ces chaînes de divertissement entraîne un moindre degré de conscience civique et aboutit à des capacités cognitives moins élaborées.

Beppe Grillo, ispiratore del movimento, nel 2012Approfondissant son examen de l’impact des médias sur la vie politique italienne, il démontre dans Politics 2.0: the Multifaceted Effect of Broadband Internet on Political Participation que l’accès à internet à haut-débit y a joué un vrai rôle. Ainsi, le taux de participation aux élections nationales des électeurs votant aux extrêmes et qui se sont servi d’internet comme déversoir de leurs critiques, a été plus faible dans un premier temps. Mais, au fur et à mesure, la prise de parole en ligne a fait éclore une nouvelle offre politique capable de remobiliser les électeurs; le meilleur exemple en étant le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, partisan de la cyberdémocratie et qui s’est construit en 2008/2009 à partir de plateformes en ligne.

De la fiabilité des sondages et leur usage par les médias

Donald Trump amenaza Apple a cambiar su lugar de producción. Crédits : CC BY-SA 2.0. iphonedigitalBrexit, élection de Donald Trump : deux moments majeurs de la vie politique que les sondages n’ont pas anticipés. A la question, légitime, de leur fiabilité Martial Foucault, directeur du CEVIPOF,  apporte des réponses. Ainsi, pour ce qui est de l’élection de Donald Trump, les sondeurs n’ont pas pris en compte le poids différentiel des États, ni surtout celui des électeurs n’étant pas sûrs d’aller voter, or le poids des indécis peut souvent être décisif.  Cependant, un des biais majeurs est que d’une manière générale, les médias ne font pas état des marges d’erreur qui, quelles que soient les méthodes employées, existent toujours. Il insiste sur le fait que le rôle des sondages n’est pas d’être prédictif mais de fournir des éléments de décryptage des comportements électoraux. Enfin, il attire l’attention  sur le fait que l’intérêt des sondages dépend de leur stabilité : il importe de poser la même question plusieurs fois dans le temps et sur une longue durée.  En savoir plus : Les sondages sont-ils victimes d’un excès de confiance ? (France Culture, 16 novembre 2016)

Cette appétence des médias pour les sondages a été aussi analysée par Olivier Pilmis, chercheur au CSO qui s’appuie sur le fonctionnement intrinsèque des médias, contraints à travailler dans l’urgence et soucieux d’anticiper. Il pose aussi la question de la manière de saisir l’opinion publique, question soulevée par  Pierre Bourdieu en 1972 dans son article “L’opinion publique n’existe pas”. Depuis, les sociologues ont mis en évidence la fiction d’une « opinion publique » construite en partie par les médias sur des questions que les électeurs ne se posent pas, ou qu’ils ne se posent pas dans les mêmes termes. Un biais qui peut s’expliquer par la proximité entre mondes politiques et journalistiques, issus des mêmes parcours scolaires et universitaires et qui se fréquentent régulièrement.

Réseaux sociaux, partis extrêmes et nouvelle offre

Extrait du compte twitt @JLMelenchon

Plusieurs points révélés par les travaux de Ruban Durante se retrouvent dans les résultats de la vague 10 (janvier 2017) de l’Enquête électorale française 2017 qui confirme que les partisans des formations traditionnelles sont en retrait sur les supports numériques. A contrario, on y voit que les sondés se réclamant du Front National, du Front de Gauche et d’en Marche ! sont les plus grands utilisateurs des réseaux sociaux, bien que leurs usages soient différents selon qu’il s’agisse de veille ou de partage. Mais comme le souligne Thierry Vedel, qui analyse depuis de longues années l’usage des médias dans la vie politique, le numérique n’aide pas les candidats à recruter de nouveaux électeurs mais sert à renforcer les opinions des déjà convaincus.

Thierry Vedel, chercheur CNRS au CEVIPOF, s'intéresse aux rapports entre politique et médias, anciens ou nouveaux, et en particulier aux transformations de la communication politique dans les sociétés modernes. Il revient ici sur les rapports qu’entretiennent le web et la politique.
Lire son interview "Internet et les réseaux sociaux dans la campagne présidentielle", 3 mars 2017

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Bibliographie