Les enjeux de l’élection au niveau local

Le 7 juin auront lieu des élections locales dans le district fédéral et seize Etats, où seront élus les gouvernements municipaux et les députés des Congrès locaux par majorité simple et représentation proportionnelle. Dans neuf de ces seize Etats, les électeurs choisiront aussi un nouveau gouverneur : Baja California Sur, Campeche, Colima, Guerrero, Michoacán, Nuevo León, Querétaro, San Luis Potosí et Sonora. La figure 1 montre l’emplacement des Etats avec des élections locales. 


Une simple liste des Etats avec des élections internes révèle déjà les différences importantes entre eux : il y aura un renouvellement des pouvoirs dans les quatre pôles économiques et politiques du pays (Nuevo León, Jalisco, Etat de Mexico et le District Fédéral), des Etats industriels avec une croissance considérable (San Luis Potosí, Guanajuato, Querétaro, Sonora), des Etats soumis à une violence sans trêve (surtout Michoacán et Guerrero, mais aussi Nuevo León, Morelos, Jalisco et Etat de Mexico), et des Etats avec des fortes revendications sociales (Morelos, Michoacán et Chiapas). De plus, les disparités en termes de population –et poids politique national–sont énormes, entre d’un côté l’Etat de Mexico (11 millions d’électeurs), le District Fédéral (7,4 millions) et Jalisco (5,5 millions), et de l’autre Colima et Baja California Sur (moins de 500 000). 

      En termes politiques, les Etats concernés témoignent d’une inégale instauration de la démocratie. Même si les analystes du processus de démocratisation mexicaine s’accordent à dire que la démocratie a commencé au niveau local dès le début des années 1980 avant de « remonter » au niveau national pendant la décennie suivante, la qualité de la démocratie locale est loin d’être homogène. A cette discussion s’ajoute aussi l’impact politique des épisodes de violence qui se succèdent depuis 2006 dans plusieurs Etats, en particulier à Guerrero et Michoacán, où des gouverneurs seront élus dans une situation politique atypique. 

Hégémonie et pluralisme à l'échelle locale

Les analyses se penchent vers deux interprétations possibles des élections à venir: soit le renforcement d’un système de partis plural, soit la possibilité d’une nouvelle hégémonie du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). La situation actuelle au niveau locale laisse voire qu’un équilibre entre les deux interprétations est nécessaire. 

      Des neufs Etats avec élections pour gouverneur, six sont gouvernés par le PRI (Campeche, Colima, Michoacán, Nuevo León, San Luis Potosí et Querétaro), deux sont gouvernés par le PAN (Baja California Sur et Sonora) et un par le PRD (Guerrero). Il y a de fortes possibilités d’une alternance au pouvoir dans plusieurs Etats, comme le montre le graphique ci-dessous, la différence de votes entre les principaux partis c’est réduite systématiquement dans les trois dernières élections. 

On peut observer que Sonora, Querétaro et même San Luis Potosí ont une forte tendance au bipartisme PRI-PAN, tandis que Michoacán montre un rapport de forces équilibré entre PRI, PAN et PRD. En termes d’alternance politique face au PRI, Campeche et Colima sont clairement des feux rouges de cette élection ; avec l’Etat de Mexico qui a aussi des élections locales, ils forment partie des neuf Etats n’ayant pas eu d’alternance politique depuis 1929. La figure 3 illustre cette situation. 

      Les enjeux politiques de l’élection ne se déroulent pas uniquement au niveau de gouverneur. Le 7 juin, 887 municipalités changeront de main, dont quelques unes des plus peuplées du pays : Iztapalapa (District Fédéral), Ecatepec (Etat de Mexico), Guadalajara (Jalisco), León (Guanajuato) et Monterrey (Nuevo León), entre autres. Dans ce domaine, la prééminence du PRI est claire, surtout après la récupération spectaculaire de ce parti lors des élections intermédiaires de 2009. Au total, le PRI gouverne plus de 50% des municipes dans 20 des 31 Etats de la République, et 64 des 100 municipes les plus peuplés. Cette tendance vers le contrôle du PRI des niveaux locaux d’intermédiation politique au long et large du pays pourrait se renforcer à l’issue de ces élections. Ceci répond à la stratégie traditionnelle du PRI, basée plus sur une expansion territoriale et des négociations locales que sur une ınfluence urbaine localisée, comme c’est le cas du PAN. 

      Les Congrès jouent un rôle de premier rang dans le débat sur la démocratie. C’est dans l’espace législatif que ce montre la pluralité du système de partis et la construction d’une opposition active. Les gouverneurs au Mexique sont de plus en plus attachés à des Congrès divisés, sans une claire majorité. C’est le cas des seize Etats en question: seulement quatre ont des Congrès avec des majorités simples (le PRI à Campeche, l’Etat de Mexico et Yucatán, et le PRD à Tabasco). Au District Fédéral, les divisions de la gauche pourraient rompre avec le contrôle du Congrès par le PRD, en place depuis 1997. Les élections du 7 juin pourraient renforcer ces enclaves de pluralisme dans les législations locales, ou au contraire augmenter le pouvoir du PRI en lui attribuant plus de municipes et en réduisant les espaces d’opposition dans les Congrès. Dans ce cas, les perspectives d’une nouvelle étape d’hégémonie du PRI sembleraient s’accomplir. 

 La violence: un determinant électoral

Le 1er mai, à un mois des élections, le candidat du PRI au gouvernement municipal de Chilapa, Guerrero, a été assassiné. Une candidate du PRD à un autre municipe de Guerrero a connu le même sort en mars. Les partis ont suspendu diverses activités de campagne, et les acteurs politiques doutent que les élections puissent avoir lieu dans un Etat à se point ronger par la violence. A cette crise s’ajoute le meurtre de plus de 70 fonctionnaires locaux en deux ans à Jalisco. 

      Ces attaques posent un double défi aux partis dans les Etats touchés par la violence: d’une part, la vérification de leurs candidats pour s’assurer qu’ils n’ont pas des liens avec des groupes criminels (le cas du maire d’Iguala, du PRD, est exemplaire) et, de l’autre, garantir la sécurité des candidats et de leurs équipes de campagne. Dans un communiqué de février 2015, le PAN a demandé au gouvernement fédéral de garantir “des conditions satisfaisantes de sécurité” dans des Etats comme Guerrero, Tamaulipas et Michoacán. Le PRD, le PAN et Morena ont demandé au bureau du Procureur Général de la République de réviser la trajectoire de leurs candidats, dans un geste plus médiatique que concret. La question reste sur quelles sont les compétences et les moyens des autorités fédérales pour réviser la trajectoire des centaines de candidats locaux qui concourent à chaque élection. A quelques jours près du scrutin, le bilan sur la sécurité des acteurs politiques dans des zones de conflit et du contrôle des partis sur leurs candidats reste négatif, et sera certainement un thème de débat électoral dans le futur. 

      Finalement, les émeutes à Guerrero sont la manifestation extrême d’un malaise social d’ampleur nationale envers les actions du gouvernement contre la violence, la corruption et l’insécurité. L’assassinat de 43 étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa, à Guerrero, fut un moment de rupture pour l’administration d’Enrique Peña Nieto. L’image de changement et modernité, que le gouvernement avait construit pendant deux années, fut remplacée dans le débat publique par une mise en doute des capacités de l’Etat face à la violence locale, l’existence d’une corruption et une inaptitude généralisée entre les fonctionnaires à tous les niveaux de la fonction publique, et les violations aux droits de l’homme. Il reste à voir si ce malaise se traduira effectivement dans des votes contre les partis au pouvoir. A nouveau, Guerrero et Michoacán, deux Etats avec des gouverneurs intérims à cause de scandales politiques liés à la violence, révèleront si les électeurs se tournent vers l’opposition. 

      Les élections locales sont en même temps miroir de la réalité nationale et prévision du terrain politique des trois années suivantes ; elles révèlent, souvent de façon dramatique, l’élément quotidien des débats abstraits sur la qualité et le niveau d’instauration de la démocratie au Mexique. La nouvelle configuration politique qui surgira des élections pour gouverneurs, députés locaux et municipaux en 2015 sera essentielle pour comprendre les défis à venir. 

María Fernanda López Portillo


 

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