Les élections en Amérique latine

Les défis de la gouvernabilité, fonctionnement et qualité de la démocratie

Les élections fédérales et locales sont importantes dans le processus de démocratisation que connaît le Mexique et le reste d’Amérique latine. Après la transition démocratique, le défi des régimes politiques est le fonctionnement et la qualité de la démocratie : éléments qui viennent à être testés quand les problèmes liés à la gouvernance et à la stabilité du système politique doivent être gérés.

Dans les systèmes présidentiels d’Amérique latine, la relation complexe entre le président et le Congrès qui peut se traduire par une fragmentation des pouvoirs, a un impact dans la gouvernabilité d’un pays limitant l’action présidentielle. Le pouvoir exécutif doit être en mesure de pouvoir prendre des décisions bien que ces dernières doivent être contrôlées et modérées par le Congrès. Les membres du Congrès ont, en effet, pour mission de débattre et d’évaluer les initiatives sans pour autant entraver la performance du gouvernement.

Au Brésil, durant les élections générales de 2014, Dilma Rousseff du Partido dos Trabalhadores (PT) a été réélue pour un second mandat de président. Cependant, il est possible que l’Exécutif rencontre des difficultés pour faire approuver ses propositions notamment au sein de la Chambre des députés fédéraux qui, avec 28 partis politiques représentés, devient la plus fragmentée de l’histoire du Brésil (le PT conserve le groupe parlementaire le plus important avec 70 sièges).

Au Mexique, la négociation des membres des partis politiques auprès du Congrès est une dynamique électorale qui commença en 1997 quand le PRI perdu pour la première fois la majorité absolue à la Chambre des députés. À partir de cette date, aucun président n’a gouverné avec la majorité absolue au Congrès. Ce point, de plus en plus courant dans les systèmes présidentiels d’Amérique latine, se traduit par des conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ce qui peut impacter la performance institutionnelle et complexifier la gouvernabilité des pays.

La qualité de la démocratie peut s’obtenir en premier lieu via un processus de gestion de l’intégrité électorale et en fonction du niveau d’institutionnalisation du système des partis politiques.

L’intégrité électorale

Sur la base des élections présidentielles ayant eu lieu au niveau mondial entre 2012 et 2014, le Costa Rica et l’Uruguay se classent parmi les pays présentant le meilleur indicateur d’intégrité électorale selon The Electoral Integrity Project 2014. Cependant, la région présente des défis particuliers qui sont le processus de vote et le financement des campagnes. Tous deux sont liés à la conduite éthique des acteurs, à la qualité du fonctionnement des organes électoraux et aux protections institutionnelles (système de poids et contre-poids) lesquelles assurent l’intégrité électorale.

Dans le cas du Mexique, une étude dévoile les irrégularités qui ont été les plus fréquentes durant les élections au poste de gouverneur sur la période 2001-2012 à savoir, l’achat de votes et la coercition des électeurs. Par ces moyens, les partis politiques cherchent à faire pencher la balance électorale en leur faveur pour atteindre la majorité des voix. Les candidats représentant les partis ont également un intérêt personnel dans cette quête puisqu’elle leur permettra, sur le plan personnel, de gravir plus facilement les échelons dans leur carrière. À cet égard, les partis peuvent utiliser les biens publics à des fins privées laissant de côté leur objectif principal qu’est la représentation des citoyens. Bien que ces pratiques ne garantissent pas le succès électoral, elles peuvent être utilisées afin de conserver un électorat de base.

Cette forme du clientélisme est toujours d’actualité et est d’ailleurs courante dans les pays qui sont passés par des processus de décentralisation (Brésil, Mexique et Argentine). Elle est également pratiquée dans les zones à faible densité de population et est utilisée dès que les ressources des parties le permettent. Du fait qu’il s’agisse d’une pratique illégale, il est particulièrement difficile de quantifier les votes conditionnés à ces pratiques ce qui renforce le risque dans la tenue d’élections libres et qui affecte, par conséquent, la consolidation de la démocratie.

L’institutionnalisation du système des partis politiques

Contrairement aux systèmes de partis avec une faible institutionnalisation démocratique, le classement de l’Uruguay et du Chili sur les évaluations du développement humain  et du développement démocratique montre des systèmes de partis traditionnellement stables. Le haut niveau d’institutionnalisation des forces politiques dans ces deux pays ainsi qu’au Brésil a permis la construction de coalitions plutôt stables (Nueva Mayoria, Frente Amplio ou PT). Les indicateurs permettant de mesurer ce niveau d’institutionnalisation des systèmes de partis sont la compétitivité électorale, la légitimité des partis et le degré de personnalisation des liens partisans. 

Dans les systèmes de partis avec une faible institutionnalisation, l’Exécutif peut concentrer le pouvoir politique ce qui affecte le principe de division des pouvoirs et qui entrave la libre compétitivité du système de partis. En ce sens, durant les élections de 2009 en Bolivie, Evo Morales du parti Movimiento al Socialismo (MAS) a été réélu avec 63% des votes et a obtenu un contrôle des deux tiers du Congrès national (majorités absolues au sein des Chambres des députés et des sénateurs). Ces résultats ont permis au Président de renforcer son autorité : en 2010, la loi du système électoral a été approuvée uniquement par  le vote du MAS. Aussi, durant les élections locales de 2015, le Tribunal Suprême électoral a invalidé la participation de la principale force d’opposition de la région de Beni pour avoir diffusé des sondages électoraux avant la tenue des élections, cette pratique étant interdite selon la loi électorale. Dans ce cas, la concentration du pouvoir a permis l’approbation de cette initiative restrictive qui limite la concurrence politique et le libre accès à l’information. La concentration du pouvoir a donc un impact négatif dans la construction d’une démocratie électorale.

Les systèmes démocratiques en Amérique latine sont confrontés à deux situations communes : le défi pour résoudre les difficultés économiques et la gouvernabilité. Ces difficultés sont perçues par les citoyens étant donné qu’ils considèrent la criminalité, l'économie et la corruption comme les problèmes les plus significatifs. Les experts s’accordent à dire que la performance économique et la stabilité politique ont un impact significatif dans le fonctionnement de la démocratie dans la région. 

Dans les gouvernements d'Amérique latine qui se basent sur la démocratie, la multiplication des protestations sociales met en lumière l’existence d’une prise de conscience des citoyens sur leurs droits et leurs intérêts à exiger une solution à leurs revendications. En effet, ces mobilisations signalent l’insatisfaction des citoyens dans le fonctionnement de la démocratie: le sondage Latinobarometro 2013 montre que ces derniers préfèrent toujours la démocratie comme système de gouvernement bien que leur soutien ait diminué.

Les protestations sociales peuvent représenter une opportunité pour la démocratisation d’un pays. Selon une étude de FLACSO Mexico, il existe une relation positive entre le niveau de démocratie et la mobilisation sociale. Cependant, la démocratisation requiert une capacité de réponse du gouvernement qui dépend à la fois de leurs structures mais aussi de leurs institutions politiques. Cela explique que les mobilisations sociales récurrentes dans certains pays ne se traduisent pas par des meilleurs niveaux de développement démocratique.

La transition démocratique en Amérique latine a ouvert la possibilité d’une alternance politique et d’un partage du pouvoir entre les partis. Au Mexique, ce processus a commencé avec notamment l’ouverture du système au pluralisme politique et à la compétitivité du système de partis. Cependant, en Amérique latine, le défi reste la gestion de la situation complexe de gouvernabilité des pays en transition qui va de pair avec la demande croissante de qualité démocratique.

Ingrid Muro

 

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