Elections générales au Honduras : un vacillemnt démocratique

 

Depuis plusieurs années, l’Amérique centrale ne semble exister que sous le prisme de la violence, prisme déformant d’une réalité politique, sociale et économique bien plus riche et complexe. C’est dans ce brouillard qu’émergent à intervalles réguliers des fenêtres médiatiques grâces aux élections générales. Cette semaine, le Honduras était à l’honneur bien qu’étant tristement l’exemple le plus emblématique de l’explosion de la violence et du crime organisé. Dimanche 24 Novembre, 5,4 millions d’électeurs avaient l’occasion de faire entendre leur voix à travers l’élection du Président, des députés nationaux (128), des députés centraméricains (20) et des maires et conseillers municipaux (298). Ce sont donc 446 postes qui s’offraient à l’incertitude du scrutin.

La violence autour et dans l’élection

L’explication de la violence au Honduras a bien trop souvent été caricaturée et simplifiée. Nombreux sont ceux qui établissent un raccourci « commode » entre la violence et la position géographique du pays sur la route de la drogue reliant le sud du continent latino-américain et les Etats-Unis. La violence serait ainsi le produit de flux humains. Cette interprétation semble toutefois paradoxale compte tenu de la capacité de flux, par essence dynamiques,  à générer de la violence en un lieu fixe. Certes, la violence dans les pays frontaliers eux-aussi positionné sur cette route mais est-ce bien le seul facteur à prendre en considération, car comment comprendre l’explosion de la violence alors que les flux restent constants. Si corrélation il y a, à intensification des flux devraient suivre une intensification de la violence. La demande n’est cependant pas croissante, elle a même diminué entre 2007 et 2010 selon le rapport intitulé Le Problème des drogues dans les Amériques de l’Organisation des Etats Américains (OEA)[1]. Il faut donc regarder ailleurs pour expliquer la violence en Amérique centrale et au Honduras.

Sur le plan social, les classements internationaux marquent un profond retard de développement. En 2011, l’Indice de Développement Humain (IDH) classe le Honduras 121ème (sur 187). Le pays est prioritairement confronté à de dramatiques inégalités sociales avec une grande majorité de la population, 71%, vivant sous le seuil de pauvreté et à l’extrême opposé, de très grands entrepreneurs qui accumulent une grande partie de la richesse nationale. L’ampleur des inégalités existantes dans le pays est au fondement d’une frustration sociale qui pousse la jeunesse hondurienne vers l’économie informelle et les réseaux parallèles, entraînant ainsi déscolarisation et déstructuration du noyau familial. En matière d’éducation comme en matière de santé, le pays reste un des plus mauvais élève de la région. La participation de l’Etat aux dépenses sociales demeure limitée, les coopérants internationaux compensant très largement cette impuissance régulatrice.

Cette violence ne s’explique donc pas uniquement par de simples facteurs externes. On ne doit donc absolument pas s’étonner du fait que le thème de la violence ait envahi autant le discours que les actes durant toute campagne électorale. Juan Orlando Hernandez a axé sa campagne sur un sentiment de peur et sur une intervention armée pour contrôler l’essor de la violence. Il a construit son image pendant la campagne autour de l’idée qu’il était « l’homme qui voulait mettre des soldats dans les rues »[2]. A l’opposé, Xiomora Castro prônait plutôt – et de manière plus modérée - l’intervention de la police et a construit son offre programmatique autour du concept de « sécurité humaine ». Malgré cela, peu de propositions concrètes ont étayé le débat public pour promouvoir le développement social, réduire la pauvreté. Par conséquent, la volonté politique de réduire la violence ne s’est pas accompagnée de mesures concrètes destinées à s’attaquer aux causes véritables de celle-ci.

Comme nous venons de le voir, l’élection s’inscrivait dans un contexte social globalement marqué par l’insécurité. Par ailleurs, cette élection recouvrait de véritables enjeux concernant l’état de la démocratie du pays.

Une élection historique

La fin du bipartisme

Une des composantes centrales du pays s’inscrit dans la très forte polarisation. La structure des parties en est l’une des principales preuves. Depuis la fin de nombreuses années[3], deux partis politiques règnent sans partage sur le paysage politique hondurien : le Parti National du Honduras (PNH) et le Parti Libéral du Honduras. Le premier enjeu est donc bien celui de la fin du bipartisme. Pour la première fois, un troisième parti est en position de remporter les élections. Le parti « Libre », parti de la principale opposante, Xiomora Castro, épouse de l’ex-Président déchu – Manuel Zelaya -, se positionne en véritable challenger face au candidat de la continuité. On compte, par ailleurs, huit partis politiques engagés dans la compétition électorale, dont deux qui ont font une incursion notable dans le jeu politique : « Partido Libertad y Refundación » et le « Partido Anticorrupción ». Première élection par conséquent non menottée par les deux organisations partisanes historiques. Manuel Zelaya aurait-il contribué à l’éclatement du bipartisme hondurien ?

Source : Political Databaseof the Americas » de l’Université de Georgetown

 

La démocratie en question

Autre enjeu de cette élection : la polarisation. Si d’un point de vue politique, il ne fait aucun doute que le Honduras est un des pays les plus polarisé de la région, avec le Salvador, d’un point de vue social, le degré de polarisation est également très élevé. Le pays est divisé entre une majorité de population pauvre et très pauvre et une classe entrepreneuriale évoluant sur un terrain transnational et concentrant la quasi intégralité des ressources du pays. Parmi ces grands entrepreneurs, on pourra bien évidemment citer Nasser, Facussé, Maduro, Canahuati, Ferrari, etc. Un article intitulé « Who owns Honduras ? » (2009) fait état de cette concentration des ressources nationales entre un petit groupe d’entrepreneurs. Le Honduras serait-il détenu par une vingtaine de familles ? Par ailleurs, le Rapport Mondial sur l’extrême richesse 2012/2013, fait état de 215 millionnaires au Honduras. Le pays est classé à ce titre 11ème pays où la concentration de la richesse est la plus forte[1]. De fait, en sus des ressources capitalistiques, ce réseau d’entrepreneur cultivent d’étroites relations avec les élites politiques jusqu’à parfois se mêler absolument, citons l’ex-Président Ricardo Maduro, Roberto Micheletti, Président ad intérim suivant le coup d’Etat de juillet 2009, ou encore Mario Canahuati, ancien Ministre des Relations extérieures du pays. Au-delà des soutiens financiers permettant d’alimenter les campagnes électorales, les élections sont bien souvent un simulacre travestissant des relations clientélaires et corporatistes extrêmement solides.

Tableau : Capitalisme patrimonial hondurien

Secteur

Nombre de familles

Familles

Presse

3

Canahuati, Flores Facussé, Wong Arévalo

TV, Internet, Téléphonie

7

Ferrari, Wong Arévalo, Faraj, Atala, Tavel Otero, Nunez, Irias Navas 

Radios

3

Ferrari, Andonie Fernandez, Irias Navas

Restauration

4

Ferrari, Facussé Barjum, Kafie, Canahuati

Banques, corporations et manufactures

10

Faraj, Atala, Nasser, Andonie Fernandez, Maduro, Ferrari, Facussé Barjum, Kafie, Canahuati, Irias Navas, Adolfo Facussé, Toledo

Energie et pétrole

5

Nasser, Kafie, Ferrari, Corales, Facussé Barjum

Supermarchés

5

Faraj, Maduro, Canahuati, Andonie Fernandez, Facussé Barjum

Médecine et pharmacies

2

Canahuati, Andonie Fernandez

Textiles

2

Canahuati, Adolfo Facussé

Hôtellerie

1

Maduro

Transports terrestres et aériens

2

Nasser, Micheletti

Source : « Who owns Honduras ? », 2009.

Ce lien étroit existant entre l’élite entrepreneuriale et les élites politiques est à l’origine du sentiment de corruption très fortement enracinée au sein de la population. Selon un rapport sur la Culture politique de la démocratie au Honduras de la Vanderbuilt University (2012), le pays apparaît parmi les 10 pays possédant le degré le plus élevé de perception de la corruption (76,7)[2]. En 2012, ce sentiment de corruption est croissant en comparaison de 2010 (70,4) Non seulement, se diffuse un sentiment de très faible transparence mais bien plus gravement que les décisions sont prises en d’autres lieux dépossédant ainsi les citoyens d’une prise sur les affaires du pays et la gestion gouvernementale. A ce titre, si en 2004 le principal enjeu national est économique selon les données du LAPOP, en 2012 le problème majeur est plus directement lié à l’ordre politique[3]. La crise qui a éclaté au milieu du mandat de Manuel Zelaya est un problème de gouvernabilité démocratique. Pour s’être éloigné des entrepreneurs, qui détiennent les principales ressources de légitimation des élites politiques au pouvoir, et pour avoir mené une politique manifestement plus à gauche, Manuel Zelaya a été destitué en juillet 2009 par un coup d’Etat. Ces évènements ont eu le mérite de mettre en lumière l’intensité de la polarisation du pays et la difficulté de gouverner le pays. Les élections qui suivirent en 2010 et la présidence de Porfirio Lobo (2010-2014) furent des années de normalisation et de statu quo.

Cette élection de novembre est en fin de compte la première échéance électorale véritable que connaît le Honduras depuis le coup d’Etat. L’épouse de l’ancien Président étant candidate, et l’une des principales challenger, le spectre de la polarisation refait surface. S’inscrivant dans la lignée de Manuel Zelaya elle entend défendre un « socialisme hondurien ». Au-delà de la problématique continuité/changement, la vraie question est de savoir si le Honduras est prêt à supporter le risque d’une nouvelle polarisation et en cela celle de savoir si le pays est enfin prêt à véritablement jouer le jeu de la démocratie.

Tels étaient les enjeux à la veille de l’élection.

Les honduriens se sont exprimés – et, ce, sans fraude électorale majeure selon les communiqués de l’Organisation des Etats Américains. Juan Orlando Hernandez arrive en tête des suffrages (pour le moment partiellement comptés). Avec 58% des suffrages comptabilisés, Hernandez remporterait 34,19% des voix contre 28,83% pour Xiomora Castro. En dépit des résultats du Tribunal Suprême électoral, Castro conteste sa défaite. Refuser les résultats du combat électoral constitue l’un des premiers signaux du manque de confiance existant dans le système politique et sa capacité à se réguler. Aussi, au-delà de marquer à nouveau la polarisation entre groupes sociaux, c’est la faiblesse de la démocratie hondurienne qui rejaillit de cette situation post-électorale.

Quel que soit le score, il était intéressant d’observer la réaction des entrepreneurs pour comprendre l’issue du scrutin. Malgré la contestation de Xiomora Castro sur l’issue du scrutin, on constate que les entrepreneurs ont pris massivement l’initiative d’appeler « les » candidats - lire Xiomora Castro – à respecter les résultats de l’élection. Aussi, le soutien de la classe entrepreneuriale s’inscrit bien dans la continuité de la présidence de Porfirio Lobo. Toutefois, les traces de la polarisation sont bien là et c’est la solidité de la démocratie hondurienne qui en pâtit.

Si cette élection permettait à l’observateur de juger de la santé politique et démocratique du Honduras, c’est l’image d’une démocratie vacillante qui nous est apparue. De fait, en 2012, les niveaux d’appui au système politique (41,4) et la tolérance politique (36,6) sont plus bas d’Amérique latine et font du Honduras la démocratie la plus instable du continent.




[1] Voir dans un premier temps un article d’El Pais : http://internacional.elpais.com/internacional/2013/09/29/actualidad/1380410455_472407.html. Egalement, le rapport

[2] LAPOP, Cultura política de la democracia en Honduras y en las Américas, 2012 : Hacia la igualdad de oportunidades, 2012.

[3] LAPOP, Cultura política de la democracia en Honduras y en las Américas, 2012 : Hacia la igualdad de oportunidades, 2012, p.138.





[1] OEA, El Problema de las Drogas en las Americas, Washington, 2013, p.48.

[2] La Nación, « Juan Orlando Hernández, el hombre de soldados en la calle », 7 novembre 2013, http://www.nacion.com/mundo/centroamerica/Juan-Orlando-Hernandez-hombre-soldados_0_1376862360.html

[3]El País, « Honduras rompe cien anos de bipartidismo », 8 octobre, 2013, http://internacional.elpais.com/internacional/2013/10/08/actualidad/1381190914_138907.html

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