Par Olivier Dabène
La signature d’un accord de cessez-le-feu définitif le 23 juin dernier entre le gouvernement et la principale organisation de guérilla, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), marque un tournant dans un conflit vieux de plus de cinquante ans. Elle devrait être suivie d’un accord général de paix, le 20 juillet. La Colombie connaîtra-t-elle enfin la paix ?
Les étoiles semblent bien alignées (1). Lancées à La Havane le 19 novembre 2012, les négociations de paix font suite à trente ans de tentatives malheureuses pour mettre un terme à une guerre meurtrière (2) et engager les réformes nécessaires à la construction d’une paix durable.
De cette longue chronique d’échecs, le président colombien Juan Manuel Santos tire deux enseignements. Le premier porte sur la méthode, le second sur l’agenda de discussion.
Exiger un cessez-le-feu préalable à l’ouverture des discussions est vain, et l’agenda doit aller au-delà de la pacification et inclure des réformes importantes. La négociation qui s’est ouverte en 2012 diffère donc sensiblement des expériences qui l’ont précédée. Santos bénéficie d’une fenêtre d’opportunité assez exceptionnelle.
Au plan national, son positionnement est idéal. Elu en 2010 sur la base d’un discours qui s’est démarqué de la rhétorique guerrière adoptée par son prédécesseur Armando Uribe, son initiative de paix est en phase avec une opinion publique lassée par la guerre et les dérapages auxquels elle a donné lieu. Le président est réélu en 2014, non sans peine, grâce aux voix de l’ensemble des Colombiens favorables à la poursuite du processus de paix.
Au plan international, Santos se rapproche rapidement du Venezuela de Chávez et s’assure de son soutien pour convaincre les FARC de revenir à la table des négociations. Il sollicite deux pays "garants", Cuba et la Norvège, et deux pays "accompagnateurs", le Venezuela et le Chili.
L’accord prévoit un agenda de négociation resserré autour de cinq grands thèmes, et une méthode consistant à les aborder un par un, successivement, avec la conclusion d’un accord partiel permettant de passer au thème suivant. Le principe est toutefois "qu’il n’y a d’accord sur rien, tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout". Les accords partiels ne sont que des étapes. Ils ne peuvent être mis en œuvre qu’une fois l’ensemble de la négociation conclue et leur contenu peut même être remis en cause à tout moment.
Trois thématiques font l’objet d’accords assez rapides, en 2013-2014.
- Le thème de la réforme agraire est à l’origine de l’apparition de groupes armés dans les années 1960. Il a donc une forte portée symbolique. Le gouvernement s’engage à constituer un "fond de réserve de terres pour la paix" qui permettra de distribuer gratuitement des terres aux paysans qui en sont dépourvus.
- La participation politique est également un enjeu important car une des exigences exprimées par les FARC a été de pouvoir s’intégrer à la vie politique dans des conditions de sécurité garanties. L’accord prévoit la création de "circonscriptions transitoires spéciales de paix" qui permettra aux anciens membres des FARC d’être présents à la Chambre des représentants, dans les zones dominées par les FARC.
- Le trafic de drogue, auquel se livrent de nombreux groupes de guérilleros constitue un enjeu tout aussi fondamental. L’objectif du gouvernement était d’éviter que les combattants démobilisés ne se livrent davantage encore à des activités illicites. L’accord prévoit des programmes de cultures de substitution, des politiques de prévention de la consommation, le démantèlement des organisations criminelles, et une lutte contre la commercialisation et les finances illicites.
- La réparation offerte aux victimes, quatrième thème, a occupé les négociateurs pendant 18 mois. L’enjeu était particulièrement délicat. Le gouvernement se devait de respecter le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, ratifié par la Colombie en 2002, qui interdit d’amnistier les auteurs de crimes contre l’humanité. Les FARC et les militaires étaient donc invités à reconnaître leurs exactions ayant conduit à des violations des droits de l’Homme. Durant cette longue période de négociations, des familles de victimes se sont rendues à Cuba pour contribuer aux discussions. Toutes les parties étaient d’accord sur le principe du droit à la vérité et d’une justice restaurative et non punitive.
L’accord rendu public le 15 décembre 2015 annonce la création d’une Commission de la vérité, d’une Unité spéciale de recherche des personnes disparues et d’un Tribunal spécial pour la paix qui jugera les crimes commis au cours du conflit. L’accord détaille les modalités de la "privation de liberté", d’une durée de 5 à 8 ans, pour les dirigeants des FARC ayant reconnu des crimes. Ceux qui refusent de reconnaître leur responsabilité seront condamnés à une peine de prison ferme, pour une durée maximale de 20 ans. Les FARC contribueront aussi aux réparations en faveur des victimes en réalisant, par exemple, des travaux d’intérêt public. Seront également jugés les militaires impliqués dans le scandale des "faux positifs" - des révélations datant de 2008 qui ont prouvé l’implication de membres de l’armée officielle colombienne dans l’assassinat d’innocents. Au total, cet accord privilégie la vérité et la réparation au détriment de la justice. L’objectif n’est pas de punir, mais de reconstruire une société pacifiée.
Les deux derniers points à l’agenda ont été conclus en 2016 : cessez-le-feu définitif et organisation d’un référendum, avec un plancher de participation assez bas (13%), mais pas d’élection d’une assemblée constituante comme le souhaitaient les FARC. De ce point de vue, la paix ne débouchera pas sur la refondation d’un ordre politique nouveau.
Enfin, l’appui de l’ONU et de l’UNASUR a été sollicité par les deux parties pour vérifier la mise en œuvre des dispositions contenues dans l’accord de paix.
Une fois la paix conclue, le pays entrera dans la délicate phase du "post-conflit". Il s’agira d’abord de mettre un terme au conflit avec les autres guérillas, notamment l’ELN (Armée de libération nationale) qui dispose encore d’environ 1500 hommes, même si elle est dans l’ensemble très affaiblie. À moyen terme, le pays devra aussi éliminer les activités illicites (extraction minière illégale, narcotrafic) qui nourrissent la violence et suscitent régulièrement la création de bandes armées criminelles.
La paix devrait rapporter au pays des dividendes importants, de nature à accélérer son développement économique. Les Colombiens espèrent que les fruits de la croissance seront équitablement répartis, ce qui permettrait de consolider la paix.
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(1) Frédéric Massé, "Colombie. Une année riche en rebondissements", LAPO 2015 (Etudes du CERI, n° 217-218)
(2) Le nombre de morts est évalué à 220 000, celui des disparus depuis 1985 à 46 000. La Colombie est par ailleurs le pays du monde avec le plus grand nombre de déplacés intérieurs (6,9 millions, soit 14% de la population totale).