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NEWSLETTER

20 mars 2015

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  En attendant l’intervention militaire en Libye, la guerre contre Boko Haram  
     
 

Par Roland Marchal

Enfin, diront certains. Après des années de relative indifférence, face à l’inaptitude des forces de sécurité nigérianes, les pays de la région se liguent pour porter un coup décisif à Boko Haram qui sévit non seulement dans le nord-est du Nigeria mais a pris ses aises au Cameroun et au Niger et menacerait à terme le Tchad. Tel est le discours entendu aujourd’hui pour justifier une intervention militaire dont le Tchad a pris l’initiative, fort de sa participation à l’opération Serval et de l’hospitalité qu’il fournit à l’état-major de l’opération Barkhane. En l’espace de quelques semaines, les forces tchadiennes associées à leurs homologues camerounaises et nigériennes ont ainsi amorcé un mouvement de prise en tenaille des combattants du mouvement radical nigérian et marqué plusieurs premières victoires.
Au-delà de ces pétitions de principe, on se doit de questionner l’évidence pour ne pas avoir à affronter les déconvenues provoquées ailleurs, au Mali notamment. Seront évoquées ici plusieurs aspects qui tiennent à la nature problématique d’une victoire militaire contre un groupe tel que Boko Haram, à une situation régionale plus différenciée qu’elle n’apparaît dans ce sursaut commun contre l’organisation islamiste et, enfin, aux conséquences de ce moment.
Boko Haram n’est pas un problème nouveau dans l’univers politique et religieux du Nigeria. On ne reviendra pas sur l’histoire ce groupe en détail si ce n’est pour rappeler deux points importants. Son développement a été possible grâce à une connivence avec certaines élites du nord-est du Nigeria qui manifestaient ainsi leur insatisfaction profonde face à leur marginalisation croissante, notamment sous les deux mandats du président Goodluck Jonathan. Cette croissance a été accélérée par la répression menée avec une rare inefficacité par les forces de police et l’armée nigérianes. Cette situation demeure inchangée malgré l’intervention armée de pays de la région. 
Le rôle éminent joué par le président tchadien Idriss Déby dans cette crise mérite de nombreux commentaires. Les caisses sont vides à Ndjamena à cause d’un prix du pétrole trop bas compte tenu des coûts de production, de la qualité de l’huile, du prix du transport jusqu’au port de Kribi et d’un prix international en dessous de 50 dollars par baril. Elles sont vides aussi à cause d’une gouvernance économique calamiteuse. La crise sociale menace et les incursions de Boko Haram au nord Cameroun, en affectant la sécurité du principal axe d’approvisionnement international du Tchad (et le pipeline), constituaient une véritable menace. Le président tchadien peut à juste titre estimer que son intervention sera dûment récompensée par la présidence à Abuja, quand bien même les généraux nigérians multiplient, eux, les gestes de défiance. Son action lui permet aussi, grâce à l’intermédiation française, de reprendre langue avec le FMI et d’escompter une aide des donateurs institutionnels que sa gestion des fonds publics interdisait jusqu’alors.
En construisant un consensus national au Tchad contre Boko Haram et en mobilisant Paris et Washington à ses côtés, Idriss Déby réussit aussi à pousser ses pions sur plusieurs questions importantes. La première passe inaperçue mais pourrait receler d’enjeux économiques conséquents : la démarcation de la frontière passant par le Lac Tchad. La seconde touche au financement d’un appareil militaire disproportionné eu égard aux fondamentaux du Tchad, qui lui garantit un appui dans les groupes sociaux qui pourraient le plus évidemment contester son pouvoir. Le troisième acquis est que cette guerre va durer suffisamment longtemps pour justifier son maintien au pouvoir, au-delà du terme de son mandat en 2016. Enfin, le président tchadien va marquer un dernier point sur la question de la Libye. De façon récurrente, y compris lors du Forum de Dakar en décembre 2014, Idriss Déby fait systématiquement référence aux dangers que la situation libyenne fait naître chez ses voisins du Sahel. L’attaque du musée Bardo à Tunis par des terroristes formés en Libye est la tragique illustration que cette menace concerne aussi le Maghreb. Des opérations menées par les forces spéciales occidentales (notamment françaises et américaines) ont déjà lieu dans le sud de la Libye mais il faudra plus pour sortir de l’impasse politico-militaire actuelle et le Tchad entend faire valoir ses intérêts.
L’implication des forces tchadiennes aux côtés des forces spéciales camerounaises vise à éradiquer une influence de Boko Haram qui s’est construite dans les deux dernières années sans réaction majeure de Yaoundé. Elle n’a pas réduit la méfiance entre les deux pays. La presse camerounaise, en effet, n’hésite pas à faire du Tchad le bras armé de la France et à voir dans Boko Haram un mouvement piloté par Paris (rien de moins) pour permettre un retour d’influence de la France sur Yaoundé. Un ministre tchadien a apporté sa contribution à cette vision pour le moins paranoïaque en déclarant que près de 40% des armes saisies sur des combattants de Boko Haram étaient d’origine française. On attend encore le démenti promis par Ndjamena. Mais peut-être est-ce une tentative de réconciliation sur le dos de l’ancien colonisateur ?
Le problème dans cette région n’est pas dissimilaire de celui rencontré au nord-est du Nigeria, même si son intensité est moindre. Le gouvernement camerounais vient dans l’urgence, comme cela se fit au Mali en 2011 avec les conséquences que l’on sait, de définir un plan d’urgence richement doté pour restaurer une présence de l’Etat dans cette zone délaissée du pays. Mais on peut craindre que le versant militaire de ce programme ne l’emporte sur toutes les autres composantes avec des effets contre-productifs sans surprise (sans même évoquer les retards que des plans similaires ont connu dans d’autres régions du pays).
Le maillon faible est le Niger pour des raisons qui tiennent à l’intensité des flux transnationaux, aux liens ethniques et à l’extrême pauvreté de la zone concernée par les agissements du mouvement nigérian. La situation au Niger éclaire, plus encore qu’au Cameroun et au Tchad, l’inadéquation de l’aide internationale, notamment européenne. Encore une fois, dopée par la coopération militaire française et américaine, l’armée nigérienne mène ses batailles mais est impuissante à gérer ses victoires faute de moyens, faute aussi d’une administration civile qui accompagnerait la campagne militaire et restaurerait un sentiment de normalité.
De cette courte analyse découlent plusieurs points de réflexion.
Le premier est que l’optimisme des communiqués de victoire ne doit pas nous faire oublier qu’il n’y a souvent pas de vérification indépendante, que les centaines de combattants de Boko Haram mis hors d’état de nuire risquent d’être assez souvent des civils et que les villes libérées restent fondamentalement des ruines inaptes à accueillir leurs anciens habitants. Si les affirmations les plus sensationnalistes se succèdent sur les liens entre Boko Haram, AQMI, ISIS, on sait peu de choses – hormis sa propagande et la contre-propagande – sur le fonctionnement interne de ce mouvement, la logique de ses recrutements, ses débats entre une aile moins militariste et les commandants qui sont aujourd’hui en pointe. Penser à une victoire militaire (même sanglante) comme ce fut le cas en 2002 vis-à-vis du mouvement Maitatsine est en tout cas une illusion.
Un second point est que l’intervention régionale pourrait avoir des effets paradoxaux. D’abord, on assiste depuis déjà plusieurs années à la concrétisation d’une prophétie auto-réalisatrice : Boko Haram est devenue plus terroriste, plus violente et a tenté de tisser des liens avec d’autres mouvements armés sur des bases plus opportunistes qu’idéologiques. Ensuite, si toutes les analyses ont pendant longtemps souligné le caractère fondamentalement nigérian de ce mouvement, l’intervention internationale le place dans une dynamique de régionalisation qui ne sera pas défaite par les seules batailles menées actuellement. Enfin, comme cela a été le cas avec le MUJAO malien et Shabaab somalien, la récurrence de défaites militaires peut inciter ce mouvement à se réinventer sous une forme beaucoup plus difficile à combattre militairement. D’où l’importance d’une approche qui ne se limite pas à la dimension guerrière.
Le troisième point est que la région est maintenant sur le pied de guerre, plus qu’elle ne l’avait jamais été et qu’il faut en mesurer les conséquences. D’une part, on doit s’interroger sur ce que cela signifie en termes d’économie politique d’Etats très pauvres qui sont déjà dépendants d’une assistance internationale. Il convient donc d’analyser les termes de l’intervention en fonction des paradigmes existants mais aussi les effets induits sur le fonctionnement des appareils d’Etat de la région avec des armées qui ont une histoire spécifique dans les vies politiques nationales. De l’autre, ce qui est en jeu c’est l’émergence de puissances militaires, certes adossées sur des financements internationaux, mais dotées d’une autonomie et d’ambitions propres. Le Tchad, par exemple, entend bien obtenir le commandement de la force régionale discutée en janvier 2014 à Addis-Abeba et, demain, saura construire les alliances dans la région pour intervenir dans d’autres crises (Libye).
Le dernier point qui est tout à fait lié à ce qui précède est que la définition de la région qui focalise les intérêts et reflète la menace est en train de changer. Il y a encore quelques mois, la République centrafricaine était l’épicentre d’une crise dont on percevait les effets dans une grande partie de l’Afrique centrale. Parce que le gouvernement centrafricain a été incapable de capitaliser sur ce moment, les intérêts des Etats de la région, mais aussi des gouvernements occidentaux, poussent à une redéfinition qui resserre le trop fameux arc de crise plus au nord, vers le Sahel historique et la Libye…

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
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Sandrine Revet, Julien Langumier (eds), Governing Disasters. Beyond Risk Culture

Palgrave Macmillan, collection "International Relations and Political Economy", 2015, 260 p.

 
         
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Revue Critique Internationale, n°66, janvier-mars 2015

Dossier "Communismes et circulations transnationales", sous la responsabilité de Paul Boulland et Isabelle Gouarné. Table des matières.

 
         
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European Review of International Studies (ERIS), 3-2014

Special issue on former colonial powers and the management of political crises in their former colonies edited by Élise Féron and Valérie Rosoux.

 
         
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Didier Bigo et Laurent Bonelli (dir.), Critique de la raison criminologique

Revue Cultures & Conflits, n° 94-95-96, été-automne-hiver 2014, 268 p.

 
         
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Guillaume Devin (dir.), Dix concepts sociologiques en relations internationales

CNRS Editions, collection "Biblis", 2015, 224 p.

 
         
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Marc Aymes, Benjamin Gourisse, Élise Massicard (eds), Order and Compromise: Government Practices in Turkey from the Late Ottoman Empire to the Early 21st Century

Brill, 2015, 439 p.

 
         
   

Catherine Wihtol de Wenden (dir.), Migrations en Extrême Orient

Dossier de la revue Migrations Société, n° 157, vol. 27, janvier-février  2015

 

COUP D'ŒIL

  Le nom du CERI évolue  
     
 

En ce début d’année 2015, Sciences Po s’est doté d’une nouvelle identité visuelle. Dans le cadre de ce changement, le CERI renouvelle son nom, passant de "Centre d’études et de recherches internationales" à "Centre de recherches internationales" (Center for International Studies en anglais).

Accessible à la compréhension de tous, cette nouvelle appellation reflète la spécificité de notre projet scientifique : la recherche sur l’espace mondial à travers la double approche des relations internationales et des aires régionales. Cette évolution nous permet également de réaffirmer plus clairement notre vocation de centre de recherche fondamentale ouvert sur la Cité. Notre acronyme demeure, quant à lui, inchangé.

Pour en savoir plus sur l'histoire du CERI, consultez notre site web.

BRÈVES

  Cycle de films iraniens "La famille sous pression"  
     
 

Organisé par Fariba Adelkhah dans le cadre de l'enseignement "Conservatisme et transformations sociales en Iran" (Paris 3-Sorbonne Nouvelle, Master 2 mention recherche Etudes iraniennes), le cycle prévoit la projection de trois films :

- Inja bedoone man (Ici, sans moi), Bahram Tavakoli, 2011, 100 mn (20 mars)

- Ye habbeh ghand (Un morceau de sucre), Reza Mirkarimi, 2011, 110 mn (27 mars)

- Sizdah (Le Treize), Hooman Seyedi, 2014, 90 mn (17 avril)

Les séances auront lieu de 18h à 21h à Sciences Po, 28 rue des Saints-Pères, Paris 7e, en amphithéâtre Caquot.

  Soutenances de thèses  
     
 

- Clémentine Fauconnier, Organisation partisane et exercice du pouvoir dans la Russie de Poutine : les paradoxes de la fabrication de Russie Unie (2001-2012), sous la direction de Dominique Colas (22 janvier 2015).

- Camille Laporte, L'évaluation, un objet politique : le cas d'étude de l'aide au développement, sous la direction de Guillaume Devin (23 mars 2015).

ÉVÉNEMENTS

 

La diffusion de la justice transitionnelle en Colombie

Débat.
23 mars 2015, 12h-14h

 
 

 
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Enquêter dans les milieux d’extrême droite

Séminaire de recherche.
23 mars 2015, 12h30-14h30

 
 

 
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L'Asie centrale face à l'intégration régionale en Eurasie

Séminaire de recherche.
24 mars 2015, 16h-18h

 
 

 
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Russia’s Economy: in a Perfect Storm?

Débat.
24 mars 2015, 17h-19h15

 
 

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Migration in the United States in perspective

Séminaire de recherche.
26 mars 2015, 12h30-14h30

 
 

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Pratiques discursives de (non)intervention : une archéologie (1648-1815)

Séminaire de recherche.
26 mars 2015, 17h-19h

 
 

 
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Renseignement, espionnage, surveillance, obéissance

Séminaire de recherche.
27 mars 2015, 10h30-16h

 
 

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Israel after the Elections: radical change or more of the same?

Débat.
30 mars 2015, 17h-19h

 
 

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The Emigration of Skilled Middle Classes in Mexico: Desires Related to Subjective Well-being

Séminaire de recherche.
31 mars 2015, 12h30-14h30

 
 

 
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Les discriminés : l'antisémitisme soviétique après Staline

Séminaire de recherche.
1 avril 2015, 17h-19h

 
 

 
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Italie : gouverner une nation “sans Etat”

Séminaire de recherche.
2 avril 2015, 17h-19h

 
 

 
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Middle Class China: Dreams and Aspirations

Débat.
7 avril 2015, 17h-19h

 
 

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Energie : intérêts européens et nationaux ?

Séminaire de recherche.
9 avril 2015, 10h-12h

 
 

 
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Geostrategic Challenges for France in the South Pacific

Débat.
14 avril 2015, 17h-19h

 
 

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Gender and Genocide: in the Ottoman Empire

Débat.
15 avril 2015, 17h-19h

 
 

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PUBLICATIONS

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