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NEWSLETTER

18 décembre 2015

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  Le grand écart entre Washington et Moscou : le difficile positionnement de la France dans la lutte contre Daech  
     
 

Par Marie Mendras

Depuis les attentats du 13 novembre, la France occupe une position centrale dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Et pourtant, elle apparaît relativement marginale dans le débat américain sur le combat contre Daech. Vu de Washington, le président français s’impose difficilement dans le débat transatlantique sur la stratégie à suivre. C’est une situation étrange. François Hollande a été à la pointe de l’analyse sur la Syrie, pourfendeur de Bachar el-Assad, critique de la position du Kremlin dès mai 2012 et prêt à opérer des frappes aériennes à l’été 2013. Mais il n’a alors été suivi ni par le président américain ni par le Premier Ministre britannique, tous deux confrontés à des parlements opposés à une telle opération militaire. Contrarié, François Hollande a été découragé d’agir avec les alliés, tandis que le gouvernement français n’a point été convaincu par la "solution" trouvée par les Américains et les Russes de sauver la face en obligeant Assad à détruire ses armes chimiques. Il avait raison de le penser : les massacres n’ont pas cessé, Daech a pris racine, Assad a été renforcé.

Ce déséquilibre entre le fort engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme islamiste et son faible leadership stratégique est réapparu clairement pendant le marathon diplomatique de François Hollande fin novembre 2015 : ses  rencontres avec des dirigeants européens et surtout, ses voyages éclair à Washington et à Moscou ont eu des résultats bien décevants. La visite à Washington a surtout permis à Barack Obama de réaffirmer qu’il avait lui-même pris l’initiative d’une "grande coalition de 65 pays" depuis déjà plus d’un an et qu’il attendait un engagement ferme de la France. A Moscou, la discussion avec Vladimir Poutine le 26 novembre a fini par donner le beau rôle au président russe, qui s’est proposé de "coordonner" les frappes avec la France, sans reprendre l’idée française de coalition que, la veille encore, il avait semblé vouloir approuver tout en soutenant le dictateur syrien. Face à ce maigre bilan, Obama ne pouvait que reprendre le leadership et renforcer la coalition of the willing.

Comment expliquer cette position insatisfaisante de la France, pourtant impliquée, volontariste et dotée d’une force de frappe qui crédibilise sa capacité d’agir ?

Avec Washington, le dialogue est soumis aux aléas de la politique intérieure américaine. Or, après la fusillade du 2 décembre à San Bernardino en Californie, les Américains se sont repliés sur ce drame national. Les révélations sur la trajectoire de radicalisation des deux terroristes et leur allégeance à Daech ont fait ressurgir le traumatisme du 11 septembre 2001 dans un contexte pourtant très différent, où la grande majorité de la population est opposée à une nouvelle guerre au Moyen-Orient et voit dans la fermeture des frontières et la protection du territoire national la solution aux problèmes. La question est traitée sous le seul angle du terrorisme et se traduit par la montée de la xénophobie au sein de l’opinion conservatrice, qui considère les musulmans et les immigrés comme des dangers.

Les frappes américaines en Syrie et Irak sont peu commentées. Parmi les candidats à l’investiture présidentielle, seule Hillary Clinton s’est prononcée sur ce sujet, avec compétence, en donnant une explication détaillée du problème mais sans proposer de solution novatrice. Dans un débat public dominé par Donald Trump et son appel à fermer les frontières aux musulmans, les analyses sérieuses ne se font plus entendre. Aux Etats-Unis, les deux sujets sont en quelque sorte dissociés : d’un côté, la grande politique internationale et le Moyen-Orient ; de l’autre, la sécurité du citoyen américain et son droit constitutionnel à s’armer et se défendre. Le sujet politique et sociologique de la radicalisation de citoyens et résidents américains n’est toujours pas discuté publiquement, contrairement à ce qui se passe en France. La politique américaine reste donc autocentrée, très marquée par le 11 septembre et les erreurs stratégiques qui ont suivi. La guerre en Irak est désormais vue comme le résultat d’une over-reaction dont on n’a pas encore tiré les leçons.

Enfin, la position de la France sur la Russie n’est pas comprise à Washington où l’on pense que la France doit avant tout renforcer son engagement militaire aux côtés des Etats-Unis. Le président Hollande a donc été critiqué pour avoir proposé une coalition à Vladimir Poutine, alors que celui-ci continue à soutenir inconditionnellement l’armée d’Assad. L’ambiguïté sur le sens du mot "coalition" a joué au détriment de la diplomatie française, qui a aussi montré ses hésitations, passant d’un registre à un autre selon que l’ennemi désigné était Daech ou la dictature syrienne.

Vladimir Poutine, lui, n’a jamais tergiversé. Il a toujours soutenu Assad, seul "pouvoir légitime", seul "garant de l’intégrité nationale" contre "tous les terroristes". Le président russe dispose d’un atout important : il peut décider seul, sans aucun débat parlementaire ni discussion publique. Il peut donc aller plus loin encore dans l’engagement militaire et dans la propagande guerrière. Comment la France pourrait-elle amener le Kremlin à faire la différence entre les opposants de la première heure, qui dès le début de la répression contre le soulèvement populaire ont dénoncé les tueries du régime, et les islamistes de Daech ?

La France s’est trouvée par moments isolée, ce qui est dommage quand on connaît l’engagement politique et militaire français contre les violences terroristes. Elle gagnerait sans aucun doute à mieux inscrire son action dans une politique européenne, à expliquer sa position au sein de l’Alliance atlantique, et à ne donner aucun gage aux tenants français d’un souverainisme anti-américain, anti-européen, et pro-Kremlin. Le défi posé par les réfugiés du Moyen-Orient a idéologisé le débat, et encouragé le discours protectionniste et "identitaire". Comme toujours, la politique étrangère nous renvoie à nos affaires intérieures.

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Marie Mendras revient de Washington, où elle participe à un projet d’étude de la Transatlantic Academy sur les politiques américaines et européennes envers la Russie.

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
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Bernard Rougier et Stéphane Lacroix (dir.), Egypt's Revolutions. Politics, Religion, and Social Movement

Palgrave Macmillan, collection "The Sciences Po Series in International Relations and Political Economy", 2015, 288 p.

 
         
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Dilek Yankaya, Exposition industrielle, production de réseaux et construction d’imaginaires : la Foire internationale du Müsiad et les représentations de l’Etat turc

Collection "Les Etudes du CERI", n° 215 (novembre 2015), disponible en ligne.

 
         
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Denise Fischer, One Among Many: Changing Geostrategic Interests and Challenges for France in the South Pacific

Collection "Les Etudes du CERI", n° 216 (décembre 2015), disponible en ligne.

 
         
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Fariba Adelkhah, The Thousand and One Borders of Iran. Travel and Identity

Routledge, collection "Iranian Studies", 2016, 322 p.

 
         
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Olivier Dabène, Gordon Mace, Jean-Philippe Therien, Diana Tussie (dir.), Summits & Regional Governance. The Americas in Comparative Perspective

Routledge, collection "Global Institutions Series", 2016, 264 p.

 
         
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Kathy Rousselet et Chayan Khoi, La sainte Russie : 18.000 kilomètres de Kiji au Kamchatka

Editions Place des Victoires, 2015, 259 p.

 
         
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Magali Bessone et Daniel Sabbagh (dir.), Race, racisme, discriminations. Anthologie de textes fondamentaux.

Hermann, collection "L'avocat du diable", 2015, 400 p.

 
         
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Catherine Wihtol de Wenden et Yvan Gastaut (dir.), Frontières

Editions Magellan, 2015, 180 p.

 

COUP D'ŒIL

  Programme transversal "Sociologie des pratiques diplomatiques"  
     
 


Par Guillaume Devin, Christian Lequesne, Marieke Louis et Hugo Meijer

Le programme de recherche transversal Sociologie des pratiques diplomatiques du CERI a pour ambition l’étude des pratiques diplomatiques dans une perspective résolument transdisciplinaire. Il vise à considérer la diplomatie comme un véritable objet des sciences sociales, alors que la science politique française tend en général à le négliger. Il est ouvert à tous les chercheurs, jeunes docteurs et doctorants du CERI, mais aussi des autres laboratoires de recherche, qui souhaitent y participer.
En s’inscrivant dans une réflexion collective engagée depuis plusieurs années au sein du CERI, ce programme se décline en deux volets de recherche interdépendants et complémentaires:
Les organisations internationales et le multilatéralisme. L’objectif de ce volet est d’approfondir les connaissances sur les organisations internationales (OI) dans une perspective socio-historique à partir d’une définition large des OI et d’engager et approfondir le dialogue interdisciplinaire sur les concepts et les méthodes des sciences sociales utilisés pour étudier les OI.
La diplomatie et l’outil militaire. Ce volet propose une analyse comparative de l’usage qui est fait de l’outil militaire face aux menaces sécuritaires du XXIe siècle. Il s’agit d’appréhender l’outil militaire comme un instrument de la diplomatie et d’analyser l’évolution des enchevêtrements entre logiques militaire et diplomatique dans les relations internationales contemporaines.
En plus de ces deux volets de recherche, le programme transversal propose trois séminaires conjoints. Les trois thèmes retenus pour l’année 2015-2016 sont : - Les configurations des formats diplomatiques (bi, multi, mini-latérales etc.) (3 décembre 2015); - Les cultures diplomatiques dans les relations avec les acteurs non-étatiques (24 mars 2016) ; - Le rôle des experts et les usages de l’expertise dans le travail diplomatique (16 juin 2016).
Ces trois thèmes permettent d’aborder des enjeux clés du travail diplomatique actuel tant dans le contexte des États (ministères, ambassades, agences) qu’à l’échelle internationale (organisations internationales, alliances de sécurité collective, sommets, conférences, G8, G20). Ces thématiques centrales pour les relations internationales sont examinées à l’aune de concepts solidement ancrés dans les sciences sociales - configurations, jeux, cultures, savoirs, normes, rôles, statuts... - prolongeant ainsi des questions posées de longue date au sein du CERI.
Ces séminaires conjoints prennent la forme de séances ouvertes et participatives animées par un intervenant sur la base d’une courte présentation et au cours desquelles tous les chercheurs intéressés, jeunes et plus confirmés, sont invités à intervenir et à partager les résultats de leurs recherches sur le thème de la séance. La première séance s’est tenue le jeudi 3 décembre et a permis de rassembler un peu plus d’une vingtaine de participants, dont une majorité de doctorants et jeunes docteurs, du CERI et d’autres laboratoires de recherche, qui ont échangé librement pendant deux heures sur la base de leurs recherches et cas empiriques respectifs, à la suite d’une courte entrée en matière de Guillaume Devin visant à poser les grandes lignes de la discussion.
Ces séances de travail poseront les jalons d’une journée d’études en septembre 2016 qui débouchera sur deux propositions éditoriales en français et en anglais : l’une aux Presses de Sciences Po dans la collection “Relations internationales” et l’autre aux éditions Palgrave Macmillan dans la collection “Sciences Po Series in International Relations and Political Economy”.


BRÈVES

  Décès de Jean-Pierre Masse  
     
 
Jean-Pierre Masse, chargé de l’édition électronique et des humanités numériques au CERI, est décédé le 16 décembre 2015. Il a lutté avec persévérance et courage contre la maladie, mais celle-ci a fini par l'emporter, à l'âge de 48 ans. Nous garderons en mémoire son engagement envers le CERI, son sens aigu de la camaraderie et son attachement à ses collègues.

  The Palestine Book Award accordé à Jean-Pierre Filiu  
     
 

L'ouvrage de Jean-Pierre Filiu, "Gaza, a History", a été distingué par le Palestine Book Award. Paru en 2014 en anglais dans la collection du CERI Comparative Politics ans International Studies aux éditions Hurst, l'ouvrage avait d'abord été publiée en 2012 par Fayard sous le tire "Histoire de Gaza".

  "Penser la guerre"  
     
 

Une tribune en faveur du développement des War Studies en France a été cosignée par dans Le Monde du 27 novembre par trois collègues du CERI : Frédéric Ramel, professeur des Universités, Hugo Meijer, docteur associé, et Alice Pannier, doctorante. Lire le texte.

  Prix honorifique de la Chancellerie des Universités de Paris  
     
 

Marieke Louis, docteure associée au CERI, a été récompensée par le Prix honorifique de thèse décerné par la Chancellerie des Universités de Paris. Sa thèse, réalisée sous la direction de Guillaume Devin et intitulée "La représentativité : une valeur pratique pour les organisations internationales. Le cas de l'Organisation internationale du travail de 1919 à nos jours" avait déjà reçu en 2015 le prix de thèse des Editions Dalloz en science politique.

  Soutenances de thèse  
     
 

- Nathanel Amar, "Scream for Life". Usages politiques de la culture en Chine : échanges et résistance au sein de communautés alternatives. Le cas des punks et des cinéastes indépendants, sous la direction de Jean-Philippe Béjà (8 décembre 2015)

- Emmanuel Goffi, Le sacrifice suprême, une approche critique de la construction d'un mythe : les officiers français et la mort pro patria dans le contexte du conflit en Afghanistan, sous la direction d'Ariel Colonomos (9 décembre 2015)

- Antoine Bondaz, De l’insécurité à la stabilité : la politique coréenne de la Chine de 2009 à 2014, sous le direction de François Godement (11 décembre 2015)

ÉVÉNEMENTS

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Elaboration d'une mémoire nationale: le régime de Chiang Kai-shek à Taiwan aujourd'hui

Séminaire de recherche.
7 janvier 2016, 17h-19h

 
 

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Energie : entre économie, climat et solidarité

Séminaire de recherche.
14 janvier 2016, 10h-12h

 
 

 
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Vingt ans avant le "Printemps arabe", l’expérience démocratique en Algérie (1988-1992)

Débat.
18 janvier 2016, 12h-14h

 
 

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Ukraine et Syrie : quel impact sur les relations entre la Russie, l'UE et les Etats-Unis ?

Débat.
18 janvier 2016, 14h30-18h30

 
 

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Diplomatie et nouvelles menaces (1) : l’anti-terrorisme

Séminaire de recherche.
20 janvier 2016, 12h30-15h

 
 

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Multilatéralisme et Organisations Internationales : VARIA

Séminaire de recherche.
21 janvier 2016, 17h-19h

 
 

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