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18 février 2016

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  La Pologne "illibérale"  
     
 

Par Jacques Rupnik

La Pologne s’engage-t-elle sur la voie de la "démocratie illibérale" ouverte depuis 2010 par la Hongrie de Viktor Orban ? La rencontre, le 11 janvier dans les Tatras (à la frontière polono-slovaque qui fut polono-hongroise jusqu’en 1918), entre le Premier ministre hongrois, leader du Fidesz, et le chef du PiS (Droit et Justice) Jaroslaw Kaczynski a confirmé la convergence des projets politiques de Varsovie et Budapest. Les deux pays, considérés depuis la chute du régime communiste jusqu’à leur adhésion à l’UE comme les "élèves modèles" de la transition démocratique, se retrouvent aujourd’hui pour remettre en question certains des fondements de la démocratie et de l’Etat de droit tels que les conçoit l’Union européenne. Sur quoi repose cette régression démocratique ? Comment l’expliquer ? Quelles en sont les conséquences pour l’Europe et des quels leviers dispose Bruxelles face cette nouvelle donne ?

A la suite de sa victoire aux élections législatives d’octobre 2015, le gouvernement du PiS disposant de la majorité absolue à la Diète (et ayant déjà conquis avec Andrzej Duda la présidence de la République en mai) s’est empressé d’adopter une série de mesures qui remettent en cause le système institutionnel en vigueur. Parmi les principales décisions : une loi sur la Cour Constitutionnelle, qui annule les nominations de cinq juges par le gouvernement précédent et introduit l’obligation d’examiner les requêtes dans l’ordre chronologique et non par ordre d’importance (une plainte déposée aujourd’hui pourrait ainsi être examinée dans cinq ans), et une loi sur l’audiovisuel public, qui fait expirer les mandats des directions en place et confie la nomination de leurs remplaçants au ministre du Budget. Par ce texte, l’indépendance des médias est clairement menacée. Une troisième loi affranchit la fonction publique de la neutralité politique. Enfin, une reprise en main des services de sécurité et de renseignements qui, au-delà des atteintes possibles à la vie privée, suscite des inquiétudes au sein même de l’OTAN. Il s’agit donc de renforcer le pouvoir de l’exécutif et son contrôle par le parti au pouvoir, d’affaiblir les contre-pouvoirs et, plus généralement, les garanties constitutionnelles qui fondent un Etat de droit.

Comment caractériser cette évolution du régime ?

Ecartons d’emblée l’hypothèse de la "dérive fasciste" dénoncée par certains observateurs. Le nouveau pouvoir polonais ne conteste pas la démocratie, mais la démocratie libérale. Il n’a de cesse d’invoquer la souveraineté du peuple (ou la "volonté générale" de Rousseau), contre les contraintes constitutionnelles et institutionnelles (la séparation des pouvoirs selon Montesquieu). Il s’agit bien d’une dérive autoritaire vers un régime hybride que F. Zakaria appelle illiberal democracy et S. Levitsky et L. Way, competitive authoritarianism : les élections et la compétition politique perdurent, mais elles sont biaisées en faveur du parti au pouvoir. Dès le mois d’octobre 2015, plusieurs auteurs ont expliqué que le caractère même de la démocratie polonaise, le "choix entre le modèle occidental et la démocratie illibérale" défendue par Viktor Orban, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, constituait l’enjeu des élections parlementaires. La question de la démocratie en Pologne a donc aussi une dimension géopolitique. Elle remet en question le modèle qui a prévalu dans l’étude des démocratisations à l’Est de l’Europe pendant deux décennies : la transition mène à la consolidation de la démocratie (une élection est un choix de gouvernement et non de régime), qui débouche sur l’intégration dans le club des démocraties européennes, phénomène présumé irréversible…

Plusieurs explications peuvent être avancées à ce qu’il faut bien appeler une régression de la démocratie. Tout d’abord, la thèse des "deux Polognes", issues de la partition à la fin du dix-huitième siècle, que confirment les cartes électorales du pays depuis vingt ans. D’un côté, la Pologne des grandes villes, plus occidentale et prospère, avec un niveau d’éducation élevé ; de l’autre, celle des petites villes, plus rurale avec une population plus âgée. Cependant, cette fois, le PiS s’est imposé dans certaines grandes villes et parmi les jeunes. Deuxièmement, la thèse "gagnants de la transition vs perdants", qui prolonge la précédente, ne rend compte que très partiellement de la réalité. La Pologne est, après tout, le seul pays de l’UE à n’avoir pas connu la récession (3,5% de croissance en 2015 et augmentation de 64% du PIB entre 2000 et 2014, même si les salaires ont augmenté moitié moins vite). L’explication économique ne tient pas.

Certes, les fruits de la croissance sont inégalement répartis et W. Kalinowski parle de économie dépendante "périphérique" : seul un quart des 115 milliards d’euros de bénéfices des sociétés étrangères entre 2003 et 2013 a été réinvesti dans le pays. Cet argument n’est pas étranger au nationalisme économique que défend Kaczynski (comme Orban). Cette "économie de la périphérie" fait écho à la thèse de la "démocratie de la périphérie" de Z. Krasnodebski, universitaire et parlementaire européen, devenu depuis une quinzaine d’années l’idéologue du PiS : la Pologne doit sortir du modèle libéral qui a atomisé la société et refonder une nouvelle République. On peut trouver dans cette thèse un élément d’explication : l’épuisement des élites libérales de la transition, offrant pour seule perspective la poursuite de l’enrichissement individuel. Dépourvue de projet collectif, l’élite libérale cède la place à un parti qui en offre un autre rassemblant la nation souveraine, les valeurs conservatrice et l’Eglise.

La nouvelle donne politique renvoie aux "guerres culturelles" et clivages plus anciens de la culture politique. S. Sierakowski, l’un des animateurs de la gauche intellectuelle polonaise, parle d’un "conflit dysfonctionnel entre modernisation et anti-modernité", qui prend la place d’un conflit opposant deux visions de la modernité autour du clivage droite/gauche. C’est un fait que la gauche en Pologne (comme en Hongrie) sort complétement laminée de la transition et n’est pas en mesure d’arbitrer le conflit entre un centre-droit libéral et une droite nationaliste conservatrice. La gauche, polonaise comme hongroise, était économiquement "à droite" et culturellement libérale. A l’inverse, la droite à la Kaczynski est culturellement conservatrice et économiquement "à gauche".

Quelles sont conséquences pour l’Europe ?

La Pologne était jusque là perçue comme le pays de la success story de l’élargissement de l’UE, un succès concrétisé par la nomination à la présidence du Conseil européen de l’ancien Premier ministre Donald Tusk. Mais le nationalisme et le souverainisme ombrageux du nouveau pouvoir à Varsovie modifient notre vision du pays et plus généralement de la région. L’arrivée du PiS aux affaires renforce le groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie) dans son opposition à la politique européenne, et surtout allemande, de gestion de la crise migratoire. Combiné avec la régression démocratique en Pologne, ce renforcement amplifie la perception d’une division Est/Ouest au sein de l’Union européenne.

Face à la vague illibérale à Varsovie, la Commission a procédé en trois phases : envoi de lettres demandant des explications et des clarifications aux autorités polonaises ; procédure d’évaluation engagée en janvier 2016 ; décision sur la prise d’éventuelles sanctions en avril prochain. A la différence de ce qui s’était passé pour la Hongrie, la Commission a voulu d’emblée réagir vite et marquer clairement l’importance de l’enjeu : le projet européen reposant sur le partage de valeurs et de normes, remettre en question l’Etat de droit revient à saper les fondements mêmes de l’édifice. Alors que le Fidesz d’Orban, vice-président du Parti populaire européen (PPE), pouvait compter sur l’indulgence de ses amis autrichiens et allemands, le PiS appartient au groupe des Conservateurs et réformistes européens du Parlement européen avec les Tories de David Cameron. Or, ce dernier ne représente pas le soutien le plus sûr à l’heure d’un éventuel Brexit.

Les leviers européens face au gouvernement de Varsovie restent limités, même si certains, en Allemagne, agitent la possibilité de restreindre les fonds européens alloués à Varsovie. Le vrai contrepoids à la dérive autoritaire du PiS se trouve au sein même de la Pologne : il s’agit des médias indépendants et de la partie de la société civile pro-européenne, mobilisée et porteuse d’une culture démocratique.

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
  photo  

Anne de Tinguy (dir.), Regards sur l'Eurasie. L'année politique 2015

Collection Les Etudes du CERI, n° 219-220 (1-2016), disponible en ligne. Les cartes ont été réalisées par l'Atelier de Cartographie de Sciences Po.

 
         
  photo  

Anne de Tinguy (dir.), Ambitions et stratégies d'influence de la Russie

Dossier du CERI, février 2016, disponible en ligne.

 
         
  photo  

Revue Critique Internationale, n°70, janvier-mars 2016

Dossier "L'internationalisation des causes sexuelles", sous la responsabilité de Christophe Broqua, Olivier Fillieule et Marta Roca i Escoda.

 
         
  photo  

François Bafoil (dir.), L'énergie éolienne en Europe. Conflits, démocratie, acceptabilité sociale

Presses de Sciences Po, collection "Environnement", 2016, 312 p.

 
         
  photo  

Astrid von Busekist, Portes et murs. Des frontières en démocratie

Albin Michel, 2016, 224 p.

 
         
   

Elodie Brun, Delphine Alles, Mélanie Albaret, El Sur y las transformaciones del multilateralismo : una perspectiva transdisciplinaria

Numéro spécial de la revue Foro Interncional, El Colegio de Mexico, numéro 223, janvier-mars 2016. Sommaire disponible en ligne.

 
         
  photo  

Mathilde Leloup, Les banques culturelles. Penser la redéfinition du développement de l'art

L'Harmattan, 2016, 214 p.

 

COUP D'ŒIL

  Gouvernance et participation citoyenne dans la région andine  
     
 

Depuis novembre 2015, l’Observatoire Politique sur l’Amérique Latine et les Caraïbes (OPALC) du CERI est engagé dans un partenariat avec l'ONG colombienne Transparencia por Colombia et la Fondation Charles Léopold Mayer pour la réalisation d’un projet d’une durée de deux ans et demi intitulé "Gouvernance et participation citoyenne en région andine". Basé sur une démarche d'étude, d'action et de plaidoyer, le projet s'inscrit dans un processus de réflexion/action mené sur la gouvernance depuis une dizaine d'années en Colombie et en Amérique latine. Il s'intéresse en particulier aux effets et transformations de la participation sociale et politique sur l'action publique. Il s'agit d'identifier, analyser et accompagner des pratiques innovantes d’interaction entre les institutions publiques et les acteurs non étatiques (société civile, secteur privé, citoyens...)  permettant l’élaboration de régulations efficaces et légitimes au sein de la sphère publique. Cette initiative impulse un dialogue entre les milieux académiques, des organisations sociales et des institutions publiques. Elle est également entendue comme un lieu de coopération et de facilitation entre France, Europe et Amérique latine.

Les activités se répartissent entre la recherche sur les processus de co-construction de l’action publique et l’accompagnement de la création d’un observatoire citoyen sur la lutte contre la corruption en Colombie. Le projet est mené sous la direction d'Olivier Dabène à Paris et de Claire Launay, qui partage son temps entre la France et la Colombie, avec la participation des doctorants et étudiants de Sciences Po réunis dans la cadre d'OPALC.

Pour plus d'informations ou pour vous joindre à l'équipe, merci de contacter : olivier.dabene@sciencespo.fr ou claunaygama@gmail.com

BRÈVES

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Dans le cadre de la campagne de la levée de fonds de Sciences Po, il est désormais possible d'apporter un soutien au CERI à travers un formulaire de don en ligne. Ces dons, fiscalement déductibles, contribuent à la réalisation des missions de terrain, à l'organisation des rencontres scientifiques, à la publication d'ouvrages et de revues. Merci de vous engager à nos côtés !

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