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21 septembre 2016

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  Turquie, année zéro ?  
     
 

Par Elise Massicard

Après le putsch manqué du 15 juillet 2016, les autorités turques ont rapidement repris le contrôle de la situation – voire l’avantage –, militairement mais surtout politiquement. Qu’a changé cette tentative de coup d’Etat pour les équilibres de pouvoir ?

Très brutal, le "contrecoup d’Etat" aura sans doute des effets à long terme. Plusieurs dispositions prises à la suite de la tentative de putsch modifient sensiblement les équilibres institutionnels. Les chaînes de commandement militaires ont été modifiées, limitant l’autonomie de l’armée et changeant ses modes de recrutement. Le contrôle exercé par le Président de la République sur les forces armées et les services secrets a été renforcé. Des purges massives ont touché non seulement l’armée et les forces sécurité, mais aussi les fonctionnaires, dont plusieurs milliers ont été radiés tandis que près de 80 000 autres ont été suspendus et ne perçoivent plus qu’une partie de leur salaire jusqu’à ce qu’une enquête décide de leur sort.

La principale cible de cette répression est la mouvance de l’imam Fethullah Gülen (1), ancien allié du Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir, qu’Ankara accuse d’être responsable de la tentative de coup d’Etat. Aussi appelé Hizmet (service), ce mouvement est touché dans ses multiples dimensions : dans différents secteurs de la société, toutes les institutions affiliées ont été fermées, soit près de 1000 écoles privées, plus de 1100 associations, quinze universités, plus de 100 fondations et une centaine de médias. Même certains responsables de l’AKP – anciens, voire encore en poste - ont été touchés. Au-delà des frontières du pays, le gouvernement turc a demandé la fermeture d’écoles et d’associations du Hizmet dans les nombreux Etats qui les abritent à travers le monde, y compris en France (2). La répression touche aussi d’innombrables individus considérés comme suspects, cadres ou membres des diverses structures gulénistes, mais aussi familles ayant inscrit leurs enfants dans une école affiliée, voire ayant un compte ou contracté un prêt à dans une banque relevant de la mouvance. Les recours juridiques sont sévèrement limités par l’état d’urgence décrété pour une durée de trois mois reconductibles, qui étend la durée maximale des gardes à vue à trente jours et permet au pouvoir de gouverner par décret.

Mais le pouvoir n’en est pas resté à l’élimination de Hizmet. Le traumatisme causé par la tentative de putsch est amplifié par les attentats à répétition attribués à Daech et les affrontements avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est du pays, qui ont atteint un degré de violence sans précédent depuis un an. Ce contexte donne au pouvoir la légitimité de réprimer ses opposants au-delà des cibles initiales. Le président Tayyip Erdogan réactive le vieux mythe d’un ennemi intérieur tentaculaire, identifiant les réseaux gulénistes, Daech et le mouvement kurde à une menace terroriste unique. Les milieux nationalistes kurdes, notamment les médias, ont ainsi été lourdement touchés. Plus de 11000 enseignants suspectés d’avoir des liens avec le PKK ont été démis de leurs fonctions (28000 environ pour liens avec le mouvement Gülen), vingt-huit maires ont été relevés de leurs fonctions et remplacés par des administrateurs proches de l’AKP. Par leur ampleur, ces mesures tous azimuts ont largement désorganisé le pays. Peu lisibles, elles entretiennent un climat d’incertitude et de peur.

Ce grand nettoyage n’est qu’une dimension d’un changement plus profond du paysage politique. Le 15 juillet est devenu le pivot d’un nouveau mythe national qui compte ses martyrs et rebaptise ses rues. Partout - dans les médias, dans les transports publics - est ressassée en boucle une saga historique dans laquelle le peuple héroïque a défendu la démocratie contre les chars. Le président Erdogan s’y taille une stature de refondateur de la République sur un nouveau pacte social. La défense de la démocratie élective justifie la mise en place d’une union sacrée, à laquelle tous les acteurs politiques sont sommés de s’associer, mais qui ne tolère pas la critique et qui justifie le fait de fermer les yeux sur des pratiques discutables. Le principal parti d’opposition, le Parti Républicain du Peuple (CHP), a fait montre de sa loyauté au pouvoir, malgré les réticences de certaines de ses franges contre ce qu’elles considèrent comme une tentative de récupération. En effet, la chasse aux sorcières a accéléré la recherche de nouvelles alliances, car il faut maintenant remplir les places laissées vacantes par les limogeages. Le putsch manqué a ainsi accéléré une tendance déjà entamée après la rupture de l’AKP avec les gulénistes fin 2013 : le parti au pouvoir réhabilite et coopte des représentants de milieux politiques et judiciaires qu’il avait combattus, notamment des militaires qui avaient été évincés lors des grands procès comme ceux contre les réseaux Ergenekon ou Balyoz à la fin des années 2000.

Cette union sacrée a culminé lors d’un immense meeting organisé le 7 août à Istanbul, sans doute le plus important rassemblement populaire de l’histoire de la République. Tous les partis représentés au Parlement y étaient conviés, sauf le Parti de la Démocratie des Peuples (HDP). Le mouvement pro-kurde semble ainsi l’autre grand perdant de cette "Turquie année zéro".

Ces reconfigurations internes ont aussi une dimension régionale. Depuis l’été 2016, la Turquie tente en effet de peser de manière plus marquée sur les rapports de forces en Syrie. Sa participation à la coalition internationale anti-Daech conduite par l’OTAN trouvait sa limite dans le fait que cette dernière s’appuie sur les forces kurdes du Parti de l’Union Démocratique (PYD) que le pouvoir turc considère comme le prolongement du PKK. Cette tension devenait intenable au fur et à mesure que le PYD gagnait contre Daech des territoires à la frontière turque, menaçant de constituer une zone continue. Prenant acte de l’évolution des rapports de force, la Turquie s’est rapprochée de la Russie (qui soutient le régime syrien et combat les forces du PYD), a mis en sourdine son insistance sur le départ de Bachar el-Assad et fait de la préservation de l’intégrité territoriale de la Syrie sa priorité, sans pour autant abandonner son partenariat avec l’OTAN, que certains commencent à remettre en question.

Depuis fin août, l’armée turque s’est engagée dans une intervention sans précédent dans le nord de Syrie, montrant ainsi au monde qu’elle reste opérationnelle. L’opération vise à combattre "avec la même détermination", selon les termes d’Erdogan lors d’un meeting le 28 août, Daech et les forces du PYD au-delà de la frontière turco-syrienne. Elle est parvenue à couper l’accès de Daech à la Turquie et devrait éviter que les forces du PYD ne contrôlent une zone continue le long de la frontière. L’accord entre les différents partenaires, aux termes duquel les combattants kurdes devraient quitter la zone une fois les djihadistes vaincus, est risqué. L’appel d’Abdullah Öcalan, chef emprisonné du PKK, à un cessez-le-feu le 11 septembre dernier, interroge sur les répercussions internes de ces revirements. La Turquie va-t-elle se retirer de Syrie ou y prolonger ses opérations ? Va-t-elle donner la priorité au combat contre Daech ou contre les forces kurdes ? Quid s’il devient incontournable de choisir entre son partenariat avec l’OTAN et sa nouvelle alliance avec la Russie ?

L’après 15 juillet se révèle fait d’incertitudes et de contradictions. Une chose est certaine : alors que les pouvoirs publics martèlent l’interprétation officielle de la séquence - celle d’une victoire de la démocratie par le peuple -, les tendances à la dé-démocratisation, déjà manifestes auparavant, se sont nettement renforcées. La réforme constitutionnelle devant instaurer un régime présidentiel, que le président Erdogan appelle de ses vœux depuis des années mais pour laquelle il peine à trouver une coalition suffisante, semble être une question dépassée. Les mois qui viennent détermineront si ces reconfigurations indiquent un changement de régime. L’un des paradoxes de la situation, et non des moindres, est que l’Europe, empêtrée dans ses contradictions internes et fixée, elle aussi, sur les impératifs de "sécurité", semble avoir renoncé à peser, au moment même où le processus formel d’adhésion de la Turquie à l’UE a été relancé.

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1 Sur le mouvement Gülen, voir notamment le texte de Bayram Balci sur le site du CERI.
2 Même dans les pays qui ne se sont pas pliés à ces recommandations, le tarissement des financements remet en cause la survie de ces établissements. Le journal guléniste Zaman France a ainsi mis la clé sous la porte.

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
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Alain Dieckhoff, Nationalism and the Multination State

Hurst, coll. "Comparative Politics and International Studies" , 2016, 224 p. Entretien avec l'auteur.

 
         
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Jacobo Grajales, La terre, entre guerre et paix. Politiques foncières et sortie de conflit en Colombie

Les Etudes du CERI, n° 233 (septembre 2016), disponible en ligne.

 
         
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Revue Critique Internationale, n°72, juillet-septembre 2016

Dossier "Enfermement et catégorisations" coordonné par Tristan Bruslé.

 
         
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Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), Qui gouverne le monde ? L'état du monde 2017

La Découverte, 2016, 256 p.

 
         
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Tugba Basaran, Didier Bigo, Emmanuel-Pierre Guittet, R. B. J. Walker (dir.), International Political Sociology: Transversal Lines

Routledge, 2016, 296 p.

 
         
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Hélène Le Bail, Simeng Wang (dir.), Migrations chinoises et générations

Revue Hommes et Migrations, n° 1314, 2016

 
         
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Hélène Thiollet (dir.), Migrants, migrations. 50 questions pour vous faire votre opinion

Armand Colin, coll. "Idées Claires", 2016, 160 p.

 
         
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Luis M. Rivera-Vélez, IVG, mariage égalitaire et cannabis en Uruguay. Adoption de l'agenda des droits

L'Harmattan, 2016, 17§ p.

 

COUP D'ŒIL

  L’Afrique dans les relations internationales : un agenda enseignement-recherche  
     
 

Depuis janvier 2016, le CERI au sein de Sciences Po, le Global South Unit au Département de Relations Internationales de la LSE et le Département de Science Politique de l’Université du Cap ont initié un projet collaboratif d’enseignement et de recherche de trois ans intitulé "African Agency in an Era of Global Transformations". Ce projet vise à analyser l’évolution des répertoires d’action internationale utilisés par les acteurs africains dans le système international. Il entend identifier et analyser les pratiques diplomatiques et de politique étrangère employés à la fois par les acteurs étatiques, infra-étatiques, paraétatiques et transnationaux (organisations de la société civile, lobbys, entreprises) afin de renforcer leur insertion internationale. A ce titre, il est résolument pluridisciplinaire et explorera ces questions à travers plusieurs thématiques de recherche dont l’étude de la gestion des conflits, le genre et les relations internationales, la gouvernance économique et financière, l’aide au développement et les coopérations sud-sud, les négociations multilatérales et les migrations et circulations globales.
A travers l’analyse du concept d’agentivité (agency) tel qu’il est mis en œuvre par ces acteurs, le projet s’intéresse aux transformations et effets de la participation de ces acteurs et à leur capacité à produire du global. Il entend ainsi offrir une nouvelle lecture analytique et critique de l’Afrique dans les relations internationales.
Le projet est réparti entre des activités de recherche et d’enseignement qui se sont déjà manifestées en 2016 par l’accueil à Paris d’un professeur invité de l’Université du Cap (février-mars) et d’un professeur de la LSE (octobre-novembre) ainsi que la participation des enseignants de Sciences Po à l'école d'été LSE-UCT au Cap en juillet. Il comporte également un volet numérique et accompagne la réalisation à Sciences Po du MOOC Espace mondial "L’Afrique et la mondialisation – regards croisés" à travers la participation de plusieurs de ses intervenants dans la production de contenus pédagogiques.
Le colloque international Beyond the Periphery : Unpacking African Agency in Global Politics qui se tiendra le 10 octobre 2016 au CERI rassemblera, en plus des intervenants des trois établissements partenaires, des collègues en provenance de plusieurs universités africaines (Nairobi, Ibadan, Khartoum, l’Université du Ghana) ainsi que des chercheurs d’Oxford, de Princeton et l’Université Paris-Descartes.
Les prochaines étapes sur l’agenda de recherche incluent l’organisation d’un cycle de "séminaires mobiles" dans les universités partenaires, dont les conclusions donneront lieu dès 2017 à des publications conjointes.
Entendu comme une plateforme de collaboration et d’échanges, ce projet est motivé par un besoin de partager les recherches en cours sur l’Afrique dans les relations internationales et de renforcer le dialogue et les échanges entre institutions et universitaires africains et non-africains.
Contacts : folashade.soulekohndou@sciencespo.fr ; frederic.ramel@sciencespo.f ; j.c.alden@lse.ac.uk ; karen.smith@uct.ac.za

BRÈVES

  Habilitation à diriger les recherches (HDR)  
     
 

- Bayram Balci, Entre dynamiques internes et influences extérieures, les transformations de l'Islam en Asie centrale et dans le Caucase depuis la fin de l'ère soviétique, sous la direction de Christophe Jaffrelot (14 septembre 2016).

  Soutenances de thèse  
     
 

- Damien Larrouque, Les politiques d'inclusion digitale en Amérique latine : de la rénovation éducative à la recomposition de l'Etat (Argentine, Paraguay, Pérou, Uruguay), sous la direction d'Yves Surel (15 septembre 2016)

- Magali Robert, Les usages de l'environnement en politique étrangère : le cas de la coopération franco-chinoise (1997-2013), sous la direction de Françoise Mengin (29 septembre 2016)

- Ismail Regragui, La communication à l'ONU : histoire et sociologie, sous la direction de Guillaume Devin (14 octobre 2016)

ÉVÉNEMENTS

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Pétrole et volatilité des prix

Séminaire de recherche.
22 septembre 2016, 10h-12h

 
 

 
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Labour and social transformation in Central and Eastern Europe

Débat.
28 septembre 2016, 17h-19h

 
 

 
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La circulation de la culture alimentaire. Le cas de la diffusion de la gastronomie française à Taiwan

Séminaire de recherche.
28 septembre 2016, 17h-19h

 
 

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Les Frères musulmans égyptiens. Sociologie des politisations islamistes

Débat.
29 septembre 2016, 17h-19h

 
 

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La recherche de terrain en zone de guerre : le cas de la Syrie

Séminaire de recherche.
3 octobre 2016, 12h30-14h30

 
 

 
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Inégalités et pauvreté : évolutions, perceptions et attitudes en Europe et aux Etats-Unis

Colloque.
4 octobre 2016, 9h30-17h30

 
 

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Population, Migrations and Development: Migration Policies and Education

Colloque.
6 octobre 2016, 15h-18h

 
 

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Biologically-based Registries: Instruments of bio-power or of effective citizenship in democracy?

Séminaire de recherche.
6 octobre 2016, 16h45-19h

 
 

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Terre, guerre et paix en Colombie

Débat.
6 octobre 2016, 17h30-19h30

 
 

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Beyond the Periphery: Unpacking African Agency in Global Politics

Colloque.
10 octobre 2016, 9h-17h00

 
 

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La diplomatie économique de l'Inde. Comment faire plus avec moins de capacités?

Séminaire de recherche.
12 octobre 2016, 12h30-14h30

 
 

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