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9 mars 2016

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  Où va la puissance japonaise ?  
     
 

Par Jean-Marie Bouissou*

Depuis 2012 et le retour au pouvoir du Parti libéral démocrate (PLD), le Japon connaît un véritable choc réformateur. Pour désembourber une économie qui stagne depuis un quart de siècle, l’autoritaire Premier ministre Shinzô Abe a imposé une stratégie de quantitative easing (QE) d’une ampleur rarement vue : la base monétaire a doublé en deux ans ! Face aux ambitions régionales de la Chine, il a élargi la capacité d’action militaire de l’Archipel et dynamisé sa diplomatie. Fort d’une popularité élevée, il entend bien tenir sa ligne jusqu’au terme de son mandat, en 2018, et adouber un successeur à son goût.

Sur le plan économique, le PIB japonais est toujours le 3e du monde, mais sa croissance annuelle moyenne n’a pas dépassé 0,6 % depuis 1992, et la déflation sévit. Le QE devait relancer l’inflation et la consommation, et stimuler les exportations en faisant baisser le yen. Leurs profits croissant, les entreprises auraient augmenté salaires et investissements. Un cercle vertueux se serait enclenché, soutenu par des réformes structurelles et fiscales.

La réalité a fait litière de ces vues de l’esprit. En 2015, le PIB, les prix, la consommation des ménages, l’investissement public et les exportations ont tous diminué. Les entreprises ont bien vu leurs profits augmenter, mais elles thésaurisent. Le pouvoir d’achat des salariés recule d’année en année et, pour investir, les entreprises préfèrent souvent délocaliser. On attend toujours les réformes structurelles. Au niveau fiscal, la hausse de la TVA (de 5 % à 8 %) a cassé la consommation. Et la dette publique dépasse aujourd’hui 240 % du PIB.

Sur le plan social, le grand succès de M. Abe est la quasi-disparition du chômage. Ce n’est pas rien, mais cela s’est fait au prix de la diminution des revenus du travail et de sa précarisation. Les inégalités ont explosé. Le coefficient de Gini atteint 0,38 (+ 0,13 depuis 1990). Le taux de pauvreté a quadruplé depuis vingt ans ; à 16 %, il est désormais supérieur à celui de la plupart des pays développés.

Pourtant, la cohésion du corps social demeure un élément essentiel et distinctif de la puissance japonaise. La contrainte, la manipulation et la fermeture n’y sont pas pour rien. Dans un pays où le chômage n’est jamais indemnisé plus de 330 jours et où le revenu minimum est attribué à des conditions drastiques, chacun est bien forcé de prendre un emploi, quel qu’il soit. Le système éducatif nourrit le conformisme et les médias se refusent à exacerber les fractures politiques et sociales qui, en Occident, constituent souvent leur fonds de commerce. Enfin, la fermeture quasi totale à l’immigration épargne à la société bien des tensions, quitte à la priver d’un élément de dynamisme.

Toutefois, si la société japonaise reste soudée, c’est d’abord parce que les Japonais, à défaut d’être pleinement satisfaits, "s’aiment tels qu’ils sont", eux et leur communauté. Si dure qu’y soit parfois la vie, une société qui privilégie l’évitement des conflits, avec une criminalité très faible et des conduites prévisibles et ritualisées, est une société fondamentalement sécurisante. Donc cohésive.

Sur le plan politique, après une phase d’alternance très décevante (2009-2012), le gouvernement actuel est le plus puissant que le Japon ait connu depuis la naissance du PLD en 1955. L’opposition est atomisée. M. Abe tient le parti d’une main de fer. Il jouit de la majorité des 2/3 à la Chambre, et l’aura peut-être également au Sénat après les élections de juillet. La Cour suprême et la Banque du Japon sont à sa botte. Son emprise sur les médias est attestée par la dégringolade du Japon dans le classement mondial de la liberté de la presse (40e en 2012, 61e aujourd’hui).

Pourtant, depuis 2011, la société civile s’est mobilisée comme jamais depuis plus d’un demi-siècle. D’abord contre le nucléaire, après Fukushima. Ensuite contre une loi sur le secret d’État qui a réduit drastiquement le droit à l’information. Puis contre le tour de passe-passe constitutionnel qui a permis l’extension de la capacité d’action des forces dites d'"autodéfense" (FAD)… Mais les manifestations ont eu beau être répétées et massives, l’édredon médiatique a étouffé ces mobilisations l’une après l’autre.

Pour faire un bon gouvernement, il ne suffit pas d’un Premier ministre capable de définir et d’imposer sa ligne dans la durée. Pourtant, à voir tant de dirigeants politiques s’épuiser à courir derrière l’actualité sans jamais la rattraper, on ne saurait nier que cette capacité, que M. Abe possède incontestablement, peut être précieuse pour la puissance d’une nation.

Sur le plan international, l’Archipel n’est qu’une puissance régionale, mais la région en question s’étend désormais jusqu’à l’Inde et l’Australie. Sa posture reste fondamentalement défensive, mais sur un mode beaucoup plus proactif. Il demeure sous protection américaine, mais l’élargissement des possibilités opérationnelles des FAD et leur intégration croissante au dispositif militaire américain font de lui plus qu’un simple protégé. Son industrie d’armement se lance dans l’exportation et révèle une expertise insoupçonnée (sous-marins, avions furtifs).

Sur le plan diplomatique, tout proche qu’il soit des négationnistes, M. Abe a bien négocié le périlleux 70e anniversaire de la fin du second conflit mondial. Il est en train de dégeler les relations avec la Corée du Sud, et fait une cour assidue à messieurs Poutine et Modi dont l’autoritarisme ne lui déplaît pas. Tokyo et Washington ont bien du mal à faire agir de concert tous les pays qu’inquiètent les ambitions maritimes de la RPC, mais le Traité transpacifique (qui doit encore être ratifié) est un coup de maître contre Pékin, voire à l’échelle mondiale – et l’Union européenne risque fort de s’en apercevoir à ses dépens.

Il n’en reste pas moins que le Japon souffre d’une faiblesse majeure : il est proche du collapsus démographique. Sa population diminue et vieillit massivement ; les plus de 60 ans en constituent déjà le tiers, et le taux de fertilité stagne à 1,4. Certes, d’autres pays développés font pire (l’Allemagne, la Corée du Sud), mais ils compensent cette baisse par l’immigration. Le Japon, lui, s’y refuse obstinément. M. Abe lui-même a entériné la perspective d’un Japon qui n’aurait plus que 100 millions d’habitants, dont les plus de 65 ans représenteraient alors 40 %. Difficile d’imaginer que cette "Île des Vieillards" puisse alors prétendre encore au rang de puissance.


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* Jean-Marie Bouissou aura pris sa retraite du CERI le 20 mars 2016. Son dernier ouvrage paru est Géopolitique du Japon (PUF, 2014).

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
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Revue Critique Internationale, n°70, janvier-mars 2016

Dossier "L'internationalisation des causes sexuelles", sous la responsabilité de Christophe Broqua, Olivier Fillieule et Marta Roca i Escoda.

 
         
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Guillaume Devin, Les organisations internationales

Armand Colin, coll. "U : science politique", 2e édition, 2016, 288 p.

 
         
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Milena Dieckhoff, Philippe Droz-Vincent, Frédéric Ramel (dir.), Inter-organisational systems and peace processes: restoring the local dimension

Peacebuilding, Volume 4, Issue 1, 2016, special section.

 
         
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Antoine Maire, Les Mongols, insoumis

Ateliers Henry Dougier, coll. "Lignes de vie d'un peuple", 2016, 144 p.

 
         
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Vincent Pouliot, International Pecking Orders The Politics and Practice of Multilateral Diplomacy

Cambridge University Press, 2016, 340 p.

 
         
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François Gemenne, Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, Atlas des migrations environnementales

Presses de Sciences Po, 2016, 160 p.

 

COUP D'ŒIL

  L’action publique ailleurs : perspectives comparées  
     
 

Forgée à partir de cas empiriques spécifiques, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, la science de l’action publique a longtemps négligé les contextes extra-occidentaux dont s’occupait la sociologie historique de l’Etat, la politique comparée et surtout les area studies. Ce partage des tâches a singularisé les outils et les cadres épistémologiques de l’étude de l’action de l’Etat sur les terrains "exotiques". Or, l’étude des "politiques publiques" a connu un renouvellement substantiel depuis les années 1980, marqué par une diversité croissante dans les cadres d’analyse et les méthodes utilisées, la prise en compte de l’histoire des institutions et des processus politiques, de leur contexte. La réconciliation entre les objets micro et l’approche sectorielle de l’analyse de l’action publique et ceux, macro, de la sociologie historique de l’Etat, a néanmoins parfois laissé de côté les acteurs, pratiques et institutions des pays non-occidentaux dans son travail d’élaboration de nouveaux cadres théoriques pour comprendre l’Etat et son action. De leur côté, les area studies se sont structurées autour de paradigmes "locaux" ou "régionaux" de l’Etat et de l’action publique (patrimonialisme, cultures politiques spécifiques etc.) qui ignorent encore parfois les bénéfices de la comparaison inter-régionale et les efforts de systématisation théorique.
Le nouveau programme transversal du CERI veut mobiliser l’expertise des chercheurs de Sciences Po qui travaillent sur des terrains variés (pays, régions), notamment en contexte extra-occidental, afin de contribuer à l’analyse de l’action publique et du politique à partir de recherches empiriques sur des objets précis. Les comparaisons menées à l’intérieur mais surtout entre régions ont pour ambition de contribuer au décloisonnement des savoirs sur l’action publique et la sociologie de l’Etat à l’échelle globale en intégrant des corpus théoriques issus de la sociologie politique, de l’analyse des politiques publiques, de la sociohistoire, de l’anthropologie, de l’économie politique et des relations internationales. L’ambition de ce programme est de contribuer, à partir d’études de cas empiriques (grounded theory), à la réflexion sur l’Etat, ses pratiques, ses acteurs, ses trajectoires.
Piloté par Laurence Louër et Hélène Thiollet, le programme anime un séminaire qui rassemble les participants autour d’un thème ou d’une notion, avec pour but de discuter les recherches empiriques menées par les participants ou leurs invités. Chaque séminaire est une réunion de travail qui implique un engagement actif des participants.
La première séance a eu lieu le 28 janvier 2016 et rassemblait trois contributions sur le thème "Enjeux énergétiques et idéologies de développement : Europe, Asie, Maghreb". Elle s’interrogeait notamment sur la définition des référentiels de l’action publique, sur ses acteurs, les trajectoires de réformes et les institutions publiques et privées, formelles et informelle qui en assurent la régulation. Les questions des variations de l’action publique en fonction des régimes politiques (autoritaires/démocratiques), des niveaux de gouvernement et de gouvernance et de l’articulation entre acteurs privés et public, de l’autonomie des bureaucraties se sont imposées.
Les prochaines séances porteront sur les politiques de santé, les transferts de politiques publiques, les politiques de l’emploi et les politiques migratoires.

BRÈVES

  Prix de recherche  
     
 

Elodie Convergne, doctorante rattachée au CERI, a été distinguée par le Prix de recherche du Fonds Croix-Rouge française pour son travail sur l'ONU et la résolution des conflits. Elle a déjà été la première étudiante d’un établissement français à recevoir le Dissertation Award de l’Academic Council on the United Nations System (ACUNS).
  Habilitation à diriger les recherches (HDR)  
     
 

Stéphanie Balme, Entre faits et droit : les visages de la justice ordinaire en Chine (1978‑2015), sous la direction de Jean-Bernard Auby (15 mars 2016).

  Soutenances de thèse  
     
 

- Marie-Pierre Ulloa, Du Maghreb à la Californie: trajectoires migratoires, récits d'intégration, thèse de l'EHESS sous la direction de Denis Lacorne et Fahrad Khosrokhavar (15 mars 2016)

- Shoshana Fine, La frontiérisation des sujets, des âmes et des Etats : une enquête sur les pratiques et rationalités "bordercratic" en Turquie, sous la direction de Catherine Wihtol de Wenden (17 mars 2016)

- Nicolas Fescharek, European role: convergence by default? The contributions of the EU Member States to security provision and Security Sector Reform during the military intervention in Afghanistan (2001-2014), sous la direction d'Anne-Marie Le Gloannec (6 avril 2016)

- Eva Bertrand, Pouvoir, catastrophe et représentation : mise(s) en scène politique(s) des incendies de l'été 2010 en Russie occidentale, sous la direction de Dominique Colas et Jean-Robert Raviot (26 avril 2016)

  Bourses de séjour pour des chercheurs latinoaméricains  
     
 

Pour la quatrième année consécutive, le CERI lance un appel à candidatures pour des séjours de recherche des universitaires latino-américains. Le programme est soutenu par la Banque latino-américaine de développement (CAF).

Consulter la version espagnole et la version anglaise de l'appel.

ÉVÉNEMENTS

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Denial of Violence against Armenians: Constructing a Narrative of Denial of Violence. 19th Century to the Present.

Séminaire de recherche.
10 mars  2016, 17h-19h

 
 

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Energie : entre économie, climat et solidarité

Séminaire de recherche.
11 mars 2016, 10h-12h

 
 

 
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L’externalisation de l’outil militaire : l’usage politique des acteurs militaires privés

Séminaire de recherche.
16 mars 2016, 12h30-15h

 
 

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Regards sur l'Eurasie : dynamiques, enjeux et perspectives

Débat.
16 mars 2016, 17h-19h30

 
 

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Les déplacés environnementaux

Séminaire de recherche.
22 mars 2016, 16h30-18h30

 
 

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Négocier l’après-Fukushima : la question des migrations post-tsunami au Japon

Séminaire de recherche.
23 mars 2016, 17h-19h

 
 

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Federalism and the Conduct of U.S. Foreign Policy: American State Governments and Their Expanding Role in International Affairs

Séminaire de recherche.
24 mars 2016, 12h30-14h00

 
 

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L’action publique en santé dans les pays du Sud (Afrique, Asie)

Séminaire de recherche.
24 mars 2016, 14h30-17h30

 
 

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Les classes populaires en France : approches contemporaines

Séminaire de recherche.
24 mars 2016, 17h-19h

 
 

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Les cultures diplomatiques

Séminaire de recherche.
24 mars 2016, 17h-19h

 
 

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Présentation du rapport RED 2015 de la Banque Latino-Américaine de Développement (CAF)

Débat.
29 mars 2016, 18h-19h

 
 

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L’Union fait-elle la force face à l’autoritarisme ? Regards critiques sur le mouvement tunisien du 18 octobre 2005

Colloque.
31 mars 2016, 9h-19h

 
 

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Mexique: la crise radicale de la politique comme forme de gouvernement

Séminaire de recherche.
31 mars 2016, 17h-19h

 
 

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