Le massacre de Srebrenica (11-16 juillet 1995)

Date: 
23 Mars, 2015
Auteur: 
Sudetic Chuck

Article traduit de l'anglais par Odile Demange.

À la mi-juillet 1995, juste après l’amorce du dénouement militaire et diplomatique de la guerre en République de Bosnie-Herzégovine, des soldats de l’Armée serbe de Bosnie et des membres d’au moins une unité de police paramilitaire rattachée au gouvernement de la République de Serbie (les Scorpions – voir appendice) ont exécuté plusieurs milliers de prisonniers, des hommes et des adolescents musulmans slaves, originaires de Srebrenica, une «zone protégée » désignée comme telle par les Nations unies, à proximité de la frontière orientale entre la Bosnie et la Serbie (BBC News, Matt Prodger, 2005 ; ICTY, 2009, IT-03-69, p. 1522). Ces exécutions – s’ajoutant au suicide et à la mort au combat d’autres hommes musulmans slaves, au viol, à l’assassinat et au suicide de femmes musulmanes, à la mise à mort d’enfants musulmans et à l’expulsion de Srebrenica de près de 40 000 habitants musulmans – ont représenté le plus grave massacre commis en Europe depuis l’exécution de plusieurs milliers de prisonniers par les partisans communistes yougoslaves après la Seconde Guerre mondiale. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie des Nations unies (TPIY – ICTY [International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia]) et le principal organe judiciaire des Nations unies, la Cour internationale de justice (CIJ - ICJ), ont déclaré que le massacre et les expulsions de Srebrenica en 1995 constituaient un acte de génocide (ICTY, 2001, IT-98-33 ; ICTY, 2004, IT-98-33-A ; ICJ, 2007 ; H.E. Judge Rosalyn Higgins, 2007). La Cour internationale de justice a estimé que la République de Serbie était responsable de n’avoir pas empêché le génocide de Srebrenica ni sanctionné les auteurs de cet acte (ICJ, 2007 ; H.E. Judge Rosalyn Higgins, 2007).

Contexte

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Yougoslavie – dont la population était formée de Serbes, de Croates, de Slovènes, de Macédoniens, de Musulmans slaves, d’Albanais, de Monténégrins, de membres de groupes ethniques plus restreints et d’individus nés de mariages mixtes – est devenue un royaume indépendant, gouverné par un roi serbe et par une élite politique constituée en majorité de nationalistes serbes qui n’hésitèrent pas à recourir à la manière forte pour soumettre leurs adversaires politiques ainsi que les séparatistes appartenant à d’autres groupes ethniques. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie et ses alliés ont démembré la Yougoslavie, cédant le contrôle de la Bosnie-Herzégovine à des extrémistes nationalistes croates. Faisant campagne pour la création d’un État croate ethniquement pur, ceux-ci ont attisé les animosités entre Croates et Serbes ainsi qu’entre Serbes et Musulmans, tout en encourageant les violences intercommunautaires. Les massacres de civils à Srebrenica et dans d’autres régions de Bosnie-Herzégovine ont laissé de profondes traces dans la psyché des survivants. Le régime communiste de la Yougoslavie d’après-guerre a cherché à décourager les animosités ethniques par la répression policière, les incitations économiques et l’agit-prop ; il redoutait particulièrement l’instabilité de la population de Bosnie-Herzégovine, ethniquement mixte et largement paysanne. Selon le recensement de 1991, la structure ethnique de la Bosnie-Herzégovine se décomposait de la façon suivante : Musulmans slaves, 44 % ; Serbes, 32 % ; Croates, 17 % ; individus se considérant comme d’ethnie yougoslave, 5 %. La municipalité de Srebrenica, une région minière, comptait 36 666 habitants en 1991, dont 75 % de Musulmans slaves, 22,6 % de Serbes, le reste étant constitué de Croates, de Yougoslaves et autres (Recensement, 1991, Bilten n° 234).

L’irruption de violences ethniques en Yougoslavie dans les années 1990 était due au dysfonctionnement du système économique socialiste, à la résurgence du nationalisme et à la politique menée par Slobodan Milošević en Serbie et par Franjo Tudjman en Croatie ; ces deux responsables politiques surent exploiter les craintes et les souvenirs de brutalités passées pour consolider leur pouvoir dans les États successeurs qu’ils s’efforçaient d’agrandir. Les ambitions territoriales de Milošević et de Tudjman se recouvraient en Bosnie-Herzégovine. Le parti serbe nationaliste de Bosnie-Herzégovine avait pour objectif de s’emparer du maximum de territoire possible dans cette région et d’obtenir son annexion à la Serbie. Soutenues par la République de Serbie et par l’Armée nationale yougoslave, les forces des Serbes de Bosnie s’engagèrent dans une opération de conquête territoriale quelques semaines avant que l’Union européenne et les États-Unis ne reconnaissent l’indépendance de l’État de Bosnie-Herzégovine en avril 1992. À la fin de l’été, les forces serbes avaient chassé plusieurs centaines de milliers de Musulmans et de Croates de chez eux. Sept semaines environ après l’échec d’une conférence de paix organisée à Londres au mois d’août, des forces nationalistes croates de Bosnie-Herzégovine, appuyées par l’Armée de la République de Croatie, se livrèrent à leur première campagne de purification ethnique contre des Musulmans, à Prozor, une ville située sur le territoire que Tudjman avait l’intention d’intégrer à la Croatie (SENCE – Tribunal, 2006 ; ICTY, 2008 ; IT-04-74-T). Les Nations unies déployèrent une force de « maintien de la paix » en Bosnie-Herzégovine à l’automne 1992, mais en limitèrent la mission à la protection des livraisons de denrées alimentaires, de médicaments et d’autres formes d’aide humanitaire. Alors que les forces musulmanes locales avaient repris Srebrenica aux Serbes en mai 1992, dans le courant de l’automne, les Musulmans de Srebrenica – parmi lesquels plusieurs milliers de personnes expulsées de force de Zvornic, Bratunac, Višegrad et d’autres villes et villages voisins – se trouvèrent encerclés ; la nourriture et les fournitures médicales se faisaient rares et aucune aide, alimentaire ou autre, ne leur parvenait. Des soldats et des civils musulmans équipés d’armes légères attaquèrent alors des villages serbes mal défendus qui entouraient la ville, volant de la nourriture et tuant des soldats et des civils serbes. Ces attaques provoquèrent la fureur des Serbes, tout en élargissant le territoire que contrôlaient les forces musulmanes de Srebrenica placées sous le commandement de Naser Orić.

En janvier 1993, l’armée majoritairement musulmane de Bosnie-Herzégovine menait une guerre sur deux fronts contre les nationalistes serbes et croates. Les forces serbes contrôlaient les deux tiers du territoire de Bosnie-Herzégovine, mais les Serbes convoitaient encore Srebrenica et deux autres enclaves musulmanes le long de la frontière entre la Bosnie et la Serbie, Žepa et Goradže : leur existence compromettait en effet la campagne serbe d’intégration des secteurs de Bosnie-Herzégovine occupés par les Serbes au sein de la République de Serbie elle-même. Pour eux, la prise de contrôle de Srebrenica relevait d’une nécessité stratégique ; elle marquerait la « réunification du territoire serbe » et la création d’une entité politique serbe monolithique, à la fois cohérente et viable. Les Musulmans de Srebrenica attaquèrent en direction du nord-ouest à la fin de l’année 1992 et à la mi-janvier 1993, et leur progression les conduisit à quelques kilomètres du territoire contrôlé par le gouvernement bosnien. Cette avancée incita l’Armée des Serbes de Bosnie à lancer une contre-offensive. Au cours des mois de février, mars et avril, elle réduisit l’enclave de Srebrenica et obligea des milliers de Musulmans des villages environnants à se réfugier dans la ville déjà surpeuplée, où ils souffrirent de la faim, du froid et des bombardements serbes. Le Conseil de Sécurité des Nations unies déclara Srebrenica « zone protégée » le 16 avril. L’ONU déploya alors quelques centaines de soldats chargés du maintien de la paix, espérant que leur simple présence – car il ne fallait compter ni sur leurs effectifs ni sur leur puissance de feu – découragerait les attaques (HRW, 1995 ; Sudetic, 1998). Une opération d’évacuation organisée par les Nations unies ainsi que des fuites à pied à travers le territoire serbe réduisirent la population de Srebrenica à quelque 40 000 personnes. La ville commençait à ressembler à un camp de concentration peuplé de Musulmans mécontents, patrouillé par des troupes de maintien de la paix des Nations unies et encerclé par des Serbes, dont beaucoup étaient assoiffés de vengeance. (H.E. Judge Rosalyn Higgins, 2007).

En mars 1995, Roman Karadžić, président de la République serbe de Bosnie et commandant en chef de l’Armée des Serbes de Bosnie, ordonna (directive n° 7) à l’état-major général de cette même armée, commandé par Ratko Mladić, de « créer par des opérations de combat planifiées et bien conçues, une situation invivable d’insécurité totale, ne laissant aucun espoir de survie ou de vie future pour les habitants de Srebrenica » (ICTY, 2000, IT-98-33 [texte en français : TPIY, IT-05-88/1] ; ICTY, 2001, IT-98-33, p. 6384.) Les Serbes passèrent à l’attaque le 6 juillet ; de toute évidence, les troupes de maintien de la paix des Nations unies, originaires des Pays-Bas, n’exercèrent aucun effet dissuasif. Quant aux forces musulmanes établies dans l’enclave, elles se montrèrent parfaitement inefficaces. Les forces serbes bombardèrent Srebrenica pendant plusieurs journées et s’emparèrent de postes d’observation des Nations unies situés en périphérie de la zone protégée, prenant en otages plusieurs membres de l’unité de maintien de la paix. Les responsables des Nations unies eurent beau protester, les Serbes n’en poursuivirent pas moins leur progression. Le 10 juillet, des membres de l’unité de maintien de la paix se battirent pendant plusieurs heures contre les Serbes aux côtés des Musulmans, avant que ces derniers ne commencent à abandonner leurs positions. Tard dans la soirée, le commandant des Nations unies en poste à Srebrenica assura aux responsables musulmans locaux que des frappes aériennes de l’OTAN stopperaient l’attaque serbe dès le lendemain matin. L’offensive reprit juste après l’aube. Une frappe aérienne extrêmement limitée de l’OTAN resta sans effet. Les Musulmans de Srebrenica commencèrent alors à prendre la fuite en constituant deux groupes principaux. Environ 25 000 d’entre eux, en grande majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées, parcoururent tant bien que mal cinq kilomètres en direction du nord pour chercher refuge à la base des Nations unies de Potočari ; là, à la nuit tombée, des soldats serbes commencèrent à terroriser et à tuer des Musulmans dans la foule. Pendant ce temps, près de 15 000 hommes musulmans, dont 5 000 armés, avaient formé une colonne dans l’espoir d’arriver à franchir trente kilomètres en territoire hostile et d’atteindre les lignes amies ; le 12 juillet au matin, les Serbes coupèrent la colonne ; des milliers d’hommes et d’adolescents musulmans se rendirent.

Décisionnaires, organisateurs et acteurs

Devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Miroslav Deronjić, président de la municipalité « serbe » de Bratunac, a témoigné avoir rencontré Karadžić le 8 ou le 9 juillet pour discuter de Srebrenica. Évoquant la population masculine musulmane de Srebrenica, Karadžić lui avait dit : « Miroslav, ces gens là-bas doivent être tués… Il faut en tuer autant que tu peux… Tous ceux qui sont là-bas doivent être tués. Tue tous ceux que tu arriveras à tuer. » (ICTY, 2003 , IT-02-60/1-S, p. 1565-1567). Lors d’une promenade triomphante dans les rues de Srebrenica le 11 juillet en compagnie de général Radislav Krstić, qui allait bientôt prendre le commandement du Corps de la Drina de l’Armée des Serbes de Bosnie, Mladić annonça : « L’heure est venue de nous venger des Turcs de cette région » (ICTY, 2005, IT-02-60-T, § 133). Le 12 juillet, après le lever du soleil, des unités de la police militaire des Serbes de Bosnie arrivèrent à Potočari. Le capitaine Momir Nikolić, chef des services de sécurité et de renseignement de la brigade de Bratunac de l’Armée des Serbes de Bosnie, a témoigné devant le Tribunal avoir reçu ce matin-là des ordres du colonel Radislav Janković, analyste du renseignement de l’état-major général de Mladić : il devait organiser le tri des hommes musulmans de Potočari et l’évacuation des femmes, des enfants et des vieillards. Au cours d’une réunion qui se tint ce matin-là, Mladić annonça que les prisonniers musulmans âgés de 16 à 65 ans seraient soumis à un contrôle dans le cadre de la recherche de criminels de guerre. Nikolić a témoigné qu’à la suite de cette réunion, il avait appris par le lieutenant-colonel Vujadin Popović, commandant adjoint chargé de la sécurité du Corps de la Drina, que tous les détenus musulmans seraient exécutés (ICTY, 2005, IT-02-60-T, § 413).

Les 12 et 13 juillet, la police militaire et la police civile serbes de Bratunac firent monter les femmes, les enfants et les vieillards musulmans de Potočari dans des autocars pour les conduire à Tišće, un village frontalier. Ils les obligèrent ensuite à se diriger à pied vers les lignes amies. Des soldats et des policiers serbes avaient déjà entrepris d’exécuter les hommes musulmans arrêtés à Potočari (au moins 35 victimes), à Tišće (au moins 21 victimes abattues à Rašica Gaj, près de la ville de Vlasenica) et dans des localités situées le long du parcours de la colonne, notamment sur les rives du Jadar (au moins 16 victimes) et sur le bas-côté d’une route de terre dans la vallée de Cerska, près du village de Konjević Polje (au moins 150 victimes âgées de 14 à 50 ans). On conduisit le plus gros des prisonniers de Potočari à l’école Vuk Karadžić et dans d’autres lieux de Bratunac, où des soldats serbes en abattirent ou en frappèrent à mort un certain nombre ; dans un entrepôt, les soldats matraquèrent et égorgèrent entre 80 et 100 victimes. Les membres de la colonne qui s’étaient rendus furent parqués dans des prés, des maisons, des écoles, dans un terrain de football du village de Nova Kasaba et dans l’entrepôt de la coopérative agricole du village de Kravica. Le 13 juillet, entre 18 heures et 19 heures 30, une unité de la police militaire tua à l’aide d’armes automatiques, de lance-grenades et de grenades à main près d’un millier de prisonniers à l’intérieur de l’entrepôt de Kravica. Les Serbes enterrèrent les corps dans des charniers à Glogova, un village voisin.

Des soldats serbes conduisirent ou transportèrent la plupart des membres restants de la colonne jusqu’à Bratunac où, dans la soirée du 13 juillet, les centres de détention improvisés étaient bondés. On enferma certains prisonniers dans des autocars, où ils protestèrent et commencèrent à balancer les véhicules. Craignant un soulèvement, les autorités locales serbes de Bratunac refusèrent que d’autres exécutions aient lieu dans la ville. Pendant la nuit, l’armée forma des convois d’autocars pour transporter les prisonniers jusqu’à la municipalité de Zvornik, au nord de Srebrenica et de Bratunac, les entassant dans divers lieux de détention, dont l’école de Grbavci (environ 1 000 victimes), l’école de Petkovci (100 victimes), le barrage de Petkovci (1 000 victimes), l’école de Pilica (1 200 victimes), la ferme militaire de Branjevo (1 200 victimes) et le centre culturel de Pilica (500 victimes) (ICTY, 2002, IT-02-60-PT). Mladić et d’autres officiers et soldats avaient assuré aux prisonniers qu’ils feraient l’objet d’un échange.

Les auteurs des exécutions appartenaient à la brigade de Bratunac de l’Armée des Serbes de Bosnie, commandée par le colonel Vidoje Blagojević, à la brigade de Zvornik, commandée par le lieutenant colonel Vinko Pandurević et son adjoint, le commandant Dragan Obrenović, à la brigade de Milići, au bataillon indépendant de Skelani, à la 16e brigade de Krajina, au 10e détachement de sabotage commandé par le lieutenant Milorad Pelemiš, qui était placé directement sous les ordres de l’état-major général de l’Armée des Serbes de Bosnie dirigé par Mladić, et à des unités de police de Jahorina, Zvornik et Šekovići. Une unité paramilitaire du ministère des Affaires intérieures de la République de Serbie, les Scorpions, exécuta également des prisonniers de Srebrenica dans la ville de Trnovo (BBC News, 2005 ; ICTY, 2009, IT-03-69, p. 1522). Les opérations d’exécutions de masse menées dans la municipalité de Zvornik entre le 14 et le 17 juillet suivirent un modèle similaire. Les soldats firent sortir leur prisonniers des centres de détention par groupes de plusieurs dizaines, leur donnèrent de l’eau, leur ligotèrent les poignets avec du fil de fer, leur bandèrent les yeux, les entassèrent à bord de camions et d’autres véhicules et les conduisirent sur des sites isolés, dont certains étaient proches du village d’Orahovac, du barrage de Petkovci, de la ferme militaire de Branjevo et du village de Kozluk. Arrivés à destination, les prisonniers durent descendre des véhicules par petits groupes, on les aligna et on les abattit en leur tirant dans le dos, avant de les achever d’une balle dans la tête et dans le thorax. Les Serbes utilisèrent des pelleteuses, des tractopelles et d’autres engins de chantier pour enterrer leurs victimes, dont certaines étaient encore vivantes. À la suite d’une tentative d’évasion, les soldats employèrent des armes à feu et des grenades à main pour tuer les prisonniers musulmans détenus à l’intérieur du centre culturel de Pilica. Une douzaine de prisonniers fut exécutée près du village de Nezuk, le 19 juillet.

Victimes

Les rescapés de la campagne serbe d’extermination des Musulmans de Srebrenica commencèrent à arriver dans la municipalité de Tuzla au nord de la Bosnie dans la soirée du 12 juillet. Des milliers d’enfants sans père, et dans certains cas, sans mère non plus, des milliers de femmes sans mari et des milliers de mères sans fils furent déposés près d’une base aérienne occupée par les Nations unies. Une mère se pendit à la branche d’un arbre, d’autres firent des crises de nerfs tandis que d’autres encore suppliaient les troupes de maintien de la paix de l’ONU de leur venir en aide. Après des heurts avec des troupes serbes, la plupart des hommes musulmans qui avaient survécu à la marche depuis Srebrenica réussirent à rejoindre un territoire ami le 16 juillet. Pendant plusieurs mois encore, des traînards, parmi lesquels des hommes réchappés des pelotons d’exécution, continuèrent à franchir les lignes de front.

Au cours des mois de septembre et d’octobre 1995, des soldats de la brigade de Bratunac et de la brigade de Zvornik utilisèrent des engins de chantier pour vider de vastes charniers et transporter les morts dans d’autres lieux, où ils furent enterrés une seconde fois. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie y a vu une tentative pour dissimuler les preuves d’exécutions massives. Il a découvert que les corps qui se trouvaient dans le charnier de Glogova avaient été transférés dans de nouvelles sépultures près du hameau de Zeleni Jadar, tandis que les cadavres des tombes voisines d’Orahovac étaient déplacés dans des sépultures plus petites, proches d’une route conduisant au village d’Hodžići ; ceux du site du barrage de Petovci furent inhumés une nouvelle fois près de Lipje, et ceux qui se trouvaient dans les fosses de la ferme militaire de Branjejvo et à Kozluk furent transportés dans différents lieux situés le long d’une route menant au village de Čančari. Le Tribunal a pu établir que ces nouvelles inhumations avaient été ordonnées par l’état-major général de l’Armée des Serbes de Bosnie, commandé par Ratko Mladić, et que le colonel Ljubiša Beara, chef de sécurité de l’état-major général, accompagné du lieutenant colonel Vujadin Popović, commandant adjoint chargé de la sécurité du Corps de la Drina, avaient dirigé l’opération. Des camions transportant les dépouilles de Glogova avaient traversé Bratunac. Un témoin a déposé devant le Tribunal : « J’étais assis chez moi. La fenêtre était ouverte, la fenêtre de ma chambre, et j’ai senti cette puanteur incroyable. Je connais l’odeur des corps humains en décomposition. Le lendemain, j’ai entendu dire que des enfants qui étaient dans la rue avaient vu des jambes, des fragments de corps humains. »

Selon une étude démographique publiée en 2005 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, environ 97,1 % des 7 661 personnes enregistrées comme mortes ou disparues à la suite des événements de Srebrenica étaient des individus de sexe masculin âgés de 15 à 69 ans ; 68 étaient de sexe féminin, dont deux victimes âgées de cinq et neuf ans, quatre âgées de 15 à 19 ans, et 11 âgées de 20 à 24 ans. Les morts et des disparus étaient musulmans à plus de 99 %. À la date du 11 juillet 2008, on avait exhumé des charniers les restes de 3 215 individus, que l’on a pu identifier grâce à des analyses d’ADN avant de les enterrer dans un cimetière juste en face de l’ancienne base des Nations unies à Potočari. Les noms des disparus et des morts figurent sur un monument de pierre. Les corps ont ainsi été reconduits dans une municipalité qui ne s’est toujours pas remise de la guerre. L’économie de la région est moribonde, l’infrastructure décrépite et une grande partie du parc immobilier délabrée et vacante. Seule une poignée de Musulmans est revenue.

Les survivants des massacres ont décrit leur supplice au Tribunal, au cours d’audiences publiques. Mevludin Orić a témoigné au procès de Blagojević qu’il avait passé la nuit du 13 juillet dans un autocar, devant l’école Vuk Karadžić de Bratunak, et avait entendu les détonations. « Pendant toute la nuit, ils ont fait sortir des groupes du car, a-t-il raconté. Toute la nuit, on a entendu des tirs en provenance de l’école. Des gens criaient, gémissaient. Tous ceux qui ont été emmenés comme ça en groupes ne sont jamais revenus au car. » Le lendemain, a poursuivi Orić, il avait été conduit toujours en autocar jusqu’à une école au nord de Zvornik, où il avait été détenu dans une salle de gymnastique bourrée de prisonniers, avant d’être emmené dans un champ, les yeux bandés et les mains liées. « Nous sommes sortis du camion et on nous a dit de nous mettre en rang, le plus vite possible. À ce moment-là, j’étais avec mon cousin Harry et nous nous tenions par la main. Il m’a dit qu’ils allaient nous tuer. Et moi, je lui ai dit que non. Il n’avait même pas fini de parler quand les rafales de tirs ont commencé… Je suis tombé par terre. Il est tombé sur moi. C’est alors qu’on a commencé à entendre les cris et les gémissements des blessés. Ensuite, ils ont amené de nouvelles équipes, de nouveaux groupes… Ils ont continué à achever les blessés qui criaient. » Orić a affirmé avoir perdu connaissance et n’avoir repris conscience qu’à la nuit tombée. « Lentement, j’ai retiré le bandeau de mes yeux et j’ai vu des lumières, les phares de véhicules… Il y avait un tractopelle et une pelleteuse. Ils creusaient une fosse. Et il y avait des phares. Ils avaient encore amené cinq autres groupes après cela. »

Témoins

Les rescapés des tueries, un membre d’un peloton d’exécution et de nombreux autres témoins du massacre de Srebrenica ont déposé devant des tribunaux chargés de juger les crimes de guerre et devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les plus importants de ces témoins, cependant, étaient les membres de l’administration et les officiers de l’Armée des Serbes de Bosnie qui ont été déférés au Tribunal.

Non content d’avoir affirmé au cours de sa déposition que, dans un tête à tête qui avait eu lieu au cours de l’offensive de Srebrenica, Karadžić lui avait conseillé de tuer tous les Musulmans de sexe masculin faits prisonniers à Srebrenica, Miroslav Deronjić, décédé depuis, a également déclaré que le 13 juillet, lors d’un entretien téléphonique, il avait évoqué avec Karadžić le grand nombre de prisonniers musulmans que l’on conduisait à Bratunac ; Karadžić lui avait annoncé que quelqu’un viendrait lui transmettre « des instructions sur ce qu’il fallait faire des prisonniers. » Cette nuit-là, le chef de la sécurité de l’état major général de l’Armée des Serbes de Bosnie, le colonel Ljubiša Beara, subordonné direct de Ratko Mladić, était effectivement venu à Deronjić et lui avait fait savoir qu’il fallait exécuter tous les prisonniers (ICTY, 2003, IT-02-60/1-S, p. 1565-1567).

Momir Nikolić a déclaré au Tribunal que le lieutenant colonel Vujadin Popović, commandant adjoint chargé de la sécurité du Corps de la Drina, lui avait annoncé le 12 juillet que les hommes que l’on avait séparés des femmes et des enfants à Potočari seraient provisoirement maintenus en détention : « Et quand je lui ai demandé ce qui leur arriverait ensuite, il m’a répondu que tous les balije (un terme péjoratif désignant les Musulmans) devraient être tués. » Dans une déclaration faite devant la Cour, Momir Nikolić a affirmé que Beara lui avait donné l’ordre de rejoindre la brigade de Zvornik et d’informer son responsable de la sécurité, Drago Nikolić, que plusieurs milliers de prisonniers musulmans détenus à Bratunac seraient envoyés à Zvornik dans la soirée. La déposition établit que Beara avait également dit à Momir Nikolić que les prisonniers musulmans devaient être détenus dans la municipalité de Zvornik et exécutés.

Jovan Nikolić, directeur de la coopérative agricole de Kravica, affirme avoir été témoin des exécutions qui ont eu lieu dans son entrepôt. Les Musulmans, a-t-il déclaré, avaient été alignés et on leur avait dit de s’allonger ; quatre soldats avaient reçu l’ordre de les « vacciner », autrement dit de leur tirer une balle à l’arrière du crâne ; ils avaient dû ensuite « vérifier la vaccination » en leur tirant une seconde balle sous l’omoplate gauche.

Déposant devant le Tribunal, Dragan Obrenović, chef d’état-major et commandant par intérim de la brigade de Zvornik, a déclaré que Drago Nikolić lui avait transmis l’ordre de conduire les prisonniers à Zvornik et de les exécuter : « Drago Nikolić m’a dit que le commandant était déjà au courant, et que cet ordre émanait de Mladić… En tant que commandant par intérim, j’ai assumé la responsabilité de ce plan et ai veillé à son application. »

Obrenović a également affirmé que dans le courant du mois d’août 1995, il s’était trouvé en compagnie du général Krstić dans la municipalité de Zvornik, près d’une tranchée où un soldat serbe écoutait une émission de radio diffusée par une station située de l’autre côté de la ligne de front. Un Musulman qui avait survécu à une exécution racontait comment il avait échappé de justesse à la mort. « Nous sommes restés là pendant deux minutes environ à écouter le rescapé, a raconté Obrenović, Krstić a ordonné que la radio soit éteinte et a dit que nous ne devions pas écouter la radio ennemie. Il m’a demandé si j’avais interdit qu’on écoute la radio ennemie et j’ai répondu que non. En rentrant, j’ai repensé à l’histoire du rescapé que nous avions entendu à la radio, ce qui m’a conduit à demander au général Krstić pourquoi ces exécutions avaient lieu. J’ai fait remarquer que nous savions que tous ceux qui étaient tués étaient des gens ordinaires, et j’ai demandé pour quelle raison ils devaient être tués. J’ai ajouté que même si c’étaient des poulets qu’on tuait, il fallait bien qu’il y ait une raison… Krstić m’a coupé et m’a dit que nous n’en parlerions plus. » (ICTY, 2005, IT-02-60-T).

Souvenirs

Les femmes de Srebrenica ont fait campagne pendant des années pour préserver la mémoire des victimes du massacre ; elles ont exigé que l’on révèle tous les faits relatifs aux tueries, que l’on poursuive les responsables, et plus particulièrement Karadžić et Mladić, que l’on exhume et que l’on identifie tous les restes encore enterrés à des emplacements connus et que les habitants de Srebrenica puissent rentrer chez eux. Depuis 1996, des représentantes des femmes de Srebrenica ont engagé des recours collectifs pour obtenir justice et indemnisation, elles ont organisé de nombreuses manifestations en Bosnie-Herzégovine et aux Pays-Bas et joué un rôle majeur dans les inhumations de masse et les commémorations annuelles, qui ont lieu désormais le 11 juillet de chaque année au cimetière mémorial de Potočari.

Pendant des années, les personnalités publiques serbes de Serbie et de Bosnie-Herzégovine ont refusé de reconnaître la réalité du massacre de Srebrenica, en ont minimisé l’ampleur et prétendu que le conflit en Bosnie orientale avait fait un nombre de victimes plus ou moins équivalent dans les deux camps. Pourtant, les détails sur les tueries se sont répandus rapidement dans les communautés serbes sur les deux rives de la Drina et au moins une vidéo d’exécution a été diffusée. Le gouvernement de la Republika Srpska, l’entité politique serbe créée en Bosnie-Herzégovine par l’accord de paix de Dayton en 1995, a publié un rapport officiel niant le massacre. En 2004, le Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, Paddy Ashdow de Grande-Bretagne, a ordonné au gouvernement de la Republika Srpska de constituer une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les événements de Srebrenica. Cette commission, formée de juges et de procureurs serbes de Bosnie, d’un représentant des victimes et d’un expert international, a remis son rapport en octobre 2004. Cette commission a été le premier organe officiel serbe à reconnaître que le massacre de Srebrenica avait été planifié et exécuté par l’armée et les forces de sécurité des Serbes de Bosnie. Elle a dressé une liste de 7 793 musulmans morts ou portés disparus entre le 10 et le 19 juillet 1995, ainsi qu’une liste des participants. Le président de la Republika Srpska, Dragan Čavić, a reconnu ultérieurement dans un discours télévisé que les forces serbes avaient tué plusieurs milliers de civils de Srebrenica, en violation du droit international. Le 10 novembre 20044, le gouvernement de la Republika Srpska a présenté officiellement ses excuses et annoncé qu’il appuyait les poursuites pénales engagées contre ceux qui étaient accusés d’avoir commis ces exécutions.

De nombreux Serbes, responsables politiques compris, continuent à minimiser le massacre des Musulmans à Srebrenica, affirmant que la vaste majorité des victimes musulmanes étaient tombées au combat et que leurs effectifs était comparables à ceux des Serbes tués pendant les raids de la faim menés par les Musulmans en 1992 et 1993. Les nationalistes serbes, parmi lesquels l’ancien président de Serbie, Vojislav Koštunica, ont recouru à cette argumentation pendant des années. La commission sur les crimes de guerre constituée par la Republika Srpska ainsi que d’autres commissions ont pourtant établi que le nombre de Serbes tués pendant toute la durée de la guerre dans les municipalités de Srebrenica, Bratunac et Skelani était de l’ordre de 1 000 à 1 500 ; un pourcentage significatif de ces victimes étaient du reste des membres actifs de l’armée, morts au cours d’opérations militaires. Le 12 juillet de chaque année – date anniversaire du jour où Mladić a remis une Srebrenica « libérée » au peuple serbe –, des Serbes se rassemblent à Kravica sous une croix du souvenir érigée en hommage à tous les morts serbes de la guerre originaires de Birač, une région comprenant Srebrenica, Bratunac et d’autres municipalités.

Le 2 juin 2005, au cours du procès de Slobodan Milošević devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, l’accusation a présenté des vidéos prouvant de façon irréfutable l’implication de membres d’une unité paramilitaire du gouvernement de la République de Serbie dans le massacre de Srebrenica (BBC News, 2005 ; ICTY, 2009, IT-03-69, p. 1522). Cette séquence montrait des membres des Scorpions en uniforme dans un site rural à proximité de la ville bosnienne de Trnovo, le 16 ou le 17 juillet 1995. On y voit les hommes en uniforme exécuter quatre prisonniers aux poignets liés. Ces hommes obligent deux autres prisonniers à emporter les corps de leurs compagnons jusqu’à un bâtiment voisin, avant de les abattre à leur tour. La diffusion de cette vidéo a déclenché un tollé dans l’opinion publique en Serbie. Les autorités de Belgrade ont fait des pieds et des mains pour arrêter les membres des Scorpions qui apparaissaient sur cette vidéo. Les preuves présentées à la Cour révélaient que les Scorpions avaient été envoyés en Bosnie-Herzégovine pour y exécuter les missions que leur confieraient Radovan Karadžić et Ratko Mladić (ICTY, 2009, IT-03-69, p. 1522). Slobodan Medić, qui avait ordonné les exécutions, et son cousin, Branislav Medić, qui y avait participé, ont été condamnés à 20 ans de prison. Les restes des six victimes ont été exhumés d’une fosse commune, et cinq ont pu être identifiées avec certitude. Deux d’entre elles, Safet Fejzić et Azmir Alispahić, avaient 17 ans.

Le 15 novembre 1999, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a publié un rapport sur les erreurs commises à Srebrenica par les Nations unies, Conseil de Sécurité et mission de maintien de la paix compris. Annan concluait : « La communauté internationale tout entière doit reconnaître sa part de responsabilité dans les tragiques événements qui ont résulté de son refus prolongé de recourir à la force durant les premières phases de la guerre. … La principale leçon de Srebrenica est qu’une tentative délibérée et systématique de terrifier, d’expulser ou d’assassiner un peuple tout entier doit susciter non seulement une réponse décisive, mais aussi la volonté politique de mener cette réponse jusqu’à sa conclusion logique. » Le rapport des Nations unies discréditait également les allégations selon lesquelles, en lançant des attaques depuis la zone protégée, les Musulmans de Srebrenica avaient été à l’origine des représailles serbes de juillet 1995. Les quelques « raids » que les Musulmans avaient menés depuis Srebrenica – le plus souvent pour se procurer de la nourriture, car les Serbes refusaient aux convois humanitaires l’accès à l’enclave – n’avaient en réalité guère eu d’importance militaire. « Les Serbes ont exagéré à maintes reprises l’ampleur des raids menés depuis Srebrenica, et en ont fait un prétexte pour poursuivre un objectif de guerre majeur : créer un territoire géographiquement continu et ethniquement pur le long de la Drina, tout en libérant leurs troupes pour qu’elles puissent se battre dans d’autres parties du pays. »

En mars 2010, le Parlement de la République de Serbie a approuvé à une étroite majorité une motion de résolution condamnant « le crime commis contre la population musulmane bosnienne de Srebrenica en juillet 1995. » Il a également présenté ses « condoléances et ses excuses aux familles des victimes parce que tout n’a pas été fait pour éviter cette tragédie. » Le Parlement a adopté cette résolution au terme de plusieurs heures de négociations acharnées, illustrant ainsi la profondeur et la permanence de la division de la société serbe à propos des événements de Srebrenica, quinze ans plus tard.

Interprétation générale et juridique des faits

L’Institut national néerlandais pour la documentation de guerre a publié en 2002 un rapport commandé par le gouvernement, concluant que le gouvernement des Pays-Bas et les Nations unies avaient une part de responsabilité dans le génocide de Srebrenica. « La motivation humanitaire et les ambitions politiques » avaient poussé les gouvernements à s’engager dans une mission de maintien de la paix mal conçue et quasiment impossible, indique le rapport, ajoutant que les échecs de cette mission étaient dus à des ressources insuffisantes ainsi qu’à la politique adoptée par les Nations unies. « Le secrétaire général des Nations unies avait demandé 35 000 hommes pour les six zones protégées. Le Conseil de sécurité a préféré une “option légère” de 7 600 hommes et finalement, les États membres n’en ont fourni que 4 000, dont cinq cents pour l’enclave de Srebrenica. Il avait été établi auparavant que pour la seule Srebrenica, il était nécessaire de disposer d’une brigade de 5 000 hommes parfaitement armée… Tout cela ressemblait fort à du bluff politique. Quand le bluff n’a plus marché, les troupes de maintien de la paix n’ont plus disposé d’aucun soutien » (J.C.H. Blom et al., 2002). L’ensemble du cabinet hollandais a démissionné à la suite de la publication du rapport des Pays-Bas sur le massacre de Srebrenica (BBC News, 2002). Ce rapport a été décrit comme un rideau de fumée, en raison de l’incohérence de ses conclusions.

Plusieurs auteurs, parmi lesquels Sylvie Matton, ont cherché à établir un lien entre le génocide et un « accord diplomatique » destiné à livrer Srebrenica aux Serbes (Matton, 2002).

La Cour internationale de justice, chargée de se prononcer sur les différends entre États souverains, a déclaré en février 2007 que les événements qui s’étaient déroulés à Srebrenica en juillet 1995 constituaient un acte de génocide. Ce jugement a été rendu dans le cadre d’une plainte introduite par la République de Bosnie-Herzégovine contre les autorités de Serbie. Le tribunal a estimé qu’« au vu des éléments d’information dont il dispos[ait] », les actes de ceux qui s’étaient rendus coupables d’un génocide à Srebrenica ne pouvaient être attribués à la Serbie en vertu des règles du droit international de la responsabilité des États. En effet, la République de Bosnie-Herzégovine n’avait pas apporté la preuve que les autorités de Serbie avaient donné instruction de commettre ce massacre, ni que de telles instructions avaient été données dans l’intention spécifique caractérisant le crime de génocide. Cette conclusion a été controversée, parce que, comme l’a relevé un juge dans un avis divergent, la Serbie avait refusé de présenter les documents précis susceptibles d’éclairer si et dans quelle mesure l’acte de génocide était imputable aux autorités de Serbie ; cet avis divergent révélait que, malgré les requêtes de la République de Bosnie-Herzégovine, la Cour de justice internationale n’avait pas réclamé ces documents aux autorités serbes. La Cour n’en a pas moins déclaré que le gouvernement de Serbie n’avait pas pris « toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir le génocide commis à Srebrenica » et n’avait pas fait le nécessaire pour en punir les auteurs (H. E. Judge Rosalyn Higgins, 2009). Elle a rappelé que les autorités de Serbie se trouvaient dans « une position d’influence » à l’égard des Serbes de Bosnie qui avaient conçu et exécuté le génocide de Srebrenica, en raison de la puissance des liens politiques, militaires et financiers qui unissaient la Serbie et la République des Serbes de Bosnie autoproclamée et son armée. La Cour n’a accordé à la Bosnie-Herzégovine aucune indemnisation digne de ce nom.

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a condamné un certain nombre d’officiers de l’armée des Serbes de Bosnie sur des chefs d’accusation relatifs au génocide de Srebrenica. Le général Radislav Kristić, reconnu coupable d’avoir aidé et encouragé le génocide, a été condamné à 35 ans de prison. Le Tribunal a déclaré : « En cherchant à éliminer une partie des Musulmans de Bosnie, les forces serbes de Bosnie ont commis un génocide. Elles ont œuvré à la mort des 40 000 Musulmans de Bosnie qui vivaient à Srebrenica, un groupe qui était représentatif des Musulmans de Bosnie dans leur ensemble. Elles ont dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les soldats, les civils, les vieillards et les enfants de leurs effets personnels et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée et méthodique du seul fait de leur identité. Les forces serbes de Bosnie savaient, quand elles se sont lancées dans cette entreprise génocidaire, que le mal qu’elles causaient marquerait à jamais l’ensemble des Musulmans de Bosnie. »

Le commandant de la brigade de Bratunac, le colonel Vidoje Blagojević, a été condamné à quinze ans de prison pour crimes contre l’humanité. Le chef du génie de la brigade de Zvornik, le commandant Dragan Jokić, s’est vu infliger une peine de neuf ans pour avoir aidé et encouragé le meurtre, aidé et encouragé les actes d’extermination et de persécution. Dragan Obrenović, Momir Nikolić et un membre du peloton d’exécution, Dražen Erdemović, ont plaidé coupables et accepté de témoigner. Slobodan Milošević, leader du mouvement nationaliste serbe visant à créer une Grande Serbie sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, a dû répondre d’accusations de génocide et de complicité de génocide dans le contexte des événements de Srebrenica ; Milošević est mort juste avant la fin de son procès, et le tribunal n’a prononcé aucun jugement. Au cours d’un procès qui s’est ouvert en juillet 2006, sept officiers supérieurs de l’armée et de la police des Serbes de Bosnie – Vujadin Popović, Ljubiša Beara, Drago Nikolić, Ljubomir Borovčanin, Vinko Pandurević, Radijove Miletić et Milan Gvero – ont dû répondre d’accusations de génocide et d’autres crimes. En 2007, la police serbe a arrêté et déféré à la justice le chef d’état-major de Mladić, le général Zdravko Tolimir. En juillet 2008, après avoir nié pendant des années qu’il se trouvait en Serbie, les autorités serbes ont arrêté Radovan Karadžić. Quant à Ratko Mladić, il est resté en liberté [jusqu’en mai 2011. O.D.] à la suite du refus des autorités serbes de le livrer.

En juin 2007, le tribunal a transféré l’ancien chef de la Sécurité de la brigade de Zvornik, Milorad Trbić, à la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine afin qu’il y réponde d’accusations de génocide. Le 29 juillet et le 22 octobre 2008, la chambre a estimé que huit membres du 2e détachement de police de Šekovići et de la 3e section de Skelani s’étaient rendus coupables de génocide et d’autres crimes dans le cadre de l’exécution de mille prisonniers musulmans enfermés dans l’entrepôt agricole de Kravica le 13 juillet 1995 ; plusieurs d’entre eux ont été condamnés à 42 ans de prison. En novembre 2008, la chambre a prononcé la culpabilité de Mladen Blagojević et l’a condamné à sept ans de prison ; il s’agit d’un des quatre membres de la police militaire des Serbes de Bosnie accusés d’exécutions et de traitement inhumain des prisonniers musulmans détenus dans l’école Vuk Karadžić de Bratunac ; la chambre a établi que Blagojević avait battu, torturé et participé à l’exécution d’au moins cinq Musulmans durant la nuit du 13 au 14 juillet 1995 ; elle a acquitté trois autres inculpés, faute de preuves.

Le génocide de Srebrenica a été à l’origine de poursuites civiles destinées à établir si l’on pouvait tenir les Pays-Bas et les Nations unies pour responsables des événements. Onze plaignants, dont une association de mères de Srebrenica, ont engagé une procédure judiciaire devant un tribunal de district de La Haye, accusant les Nations unies et les Pays-Bas d’avoir failli à leur devoir d’éviter le génocide, en vertu de la Convention sur le génocide de 1948, et demandant que leur responsabilité soit reconnue. En juillet 2008, le tribunal a affirmé n’être pas compétent pour juger les Nations unies. La procédure contre les Pays-Bas s’est poursuivie, en même temps qu’une deuxième action en justice contre les Pays-Bas, engagée devant un tribunal hollandais : les plaignantes de Sarajevo affirmaient que le bataillon hollandais de Srebrenica avait le devoir de protéger les membres de leurs familles et ne l’avait pas fait.

Des rescapés du génocide de Srebrenica se sont plaints pendant des années de l’incapacité des institutions judiciaires internationales et locales à rendre la justice. Ces victimes, comme d’autres au demeurant, ont critiqué l’insuffisance des pressions internationales exercées sur la Serbie et sur les autorités serbes de Bosnie d’après-guerre pour les obliger à livrer les individus mis en examen et à fournir la documentation disponible, l’échec des membres de l’accusation à obtenir des condamnations, le traitement insensible infligé aux témoins venus déposer et, vu la gravité des crimes commis, l’indulgence de certains jugements. De même, des Serbes ont critiqué l’acquittement de Naser Orić, commandant de la force militaire musulmane de Srebrenica accusée d’avoir exécuté et maltraité les prisonniers serbes détenus à Srebrenica pendant la guerre. De nombreux Musulmans ont été indignés, et bien des Serbes ravis, de ce qu’ils ont considéré comme la volonté de la Cour internationale de justice de disculper la Serbie du rôle que ses dirigeants auraient joué dans le génocide de Srebrenica.

Appendice

Les Scorpions

Les Scorpions constituaient une unité de police paramilitaire de Serbie placée sous le commandement direct des Unités spéciales de la Sécurité d’État de Serbie. Les Scorpions faisaient partie d’un groupe tactique dirigé par un commandant dont le nom de guerre était « Legija ». La Sécurité d’État de Serbie assurait aux Scorpions un équipement de qualité et versait les salaires de ses membres en liquide. Environ 30 % de leurs membres avaient été formés dans les camps d’entraînement de la Sécurité d’État serbe. Les archives du ministère serbe de l’Intérieur contiennent des documents sur leur arrivée et leur déploiement prévu au mois de juin 1995 dans la municipalité de Trnovo, en Bosnie-Herzégovine. Les Scorpions faisaient partie des unités de la Sécurité d’État serbe accusées d’être criminellement responsables de l’exécution à Trnovo des trois hommes et trois adolescents originaires de Srebrenica. Ces membres des unités de la Sécurité d’État serbe, placés sous le commandement d’un officier supérieur, Vaso Mijović, avaient été mis à la disposition de Karadžić, Mladić et d’autres membres clés du gouvernement et de l’armée des Serbes de Bosnie.

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Citer cet article

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