Crimes de masse

Date: 
16 Février, 2016
Auteur: 
Pohl Dieter

Cet article a été publié avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah

Article traduit de l'anglais par Odile Demange

Les recherches interdisciplinaires sur les assassinats massifs commis par les nazis qui ont été menées en Allemagne depuis les années 1960 ont commencé à utiliser l’expression de crimes de masse (Massenverbrechen) ou de crimes de masse d’État (staatliches Massenverbrechen) pour désigner l’extrême violence exercée par le nazisme contre des civils et des prisonniers de guerre.

Cette appellation issue du langage juridique avait déjà été utilisée pour désigner des crimes ordinaires présentant un caractère massif. Plusieurs professionnels de la justice (comme le procureur général Fritz Bauer) et des criminologues (dont, tout particulièrement, Herbert Jäger) ont utilisé cette formule pour disposer d’une catégorie plus générale où ranger les crimes nazis ou les crimes de guerre allemands commis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce n’est que dans les années 1990 que certains historiens ont adopté cette expression.

Malgré ses origines juridiques (et ses connotations intrinsèques), l’appellation de « crimes de masse » présente certains traits universels qui ne s’appliquent pas à d’autres termes comparables : les crimes de masse, dans cette acception, constituent des mises à mort d’une ampleur massive, ordonnées et organisées par des gouvernements ou des organisations semi-gouvernementales. Ils englobent des meurtres avec préméditation (reposant par exemple sur une motivation raciste) et des homicides involontaires (par exemple des mises à mort de représailles). Ils n’incluent pas le pillage et le travail forcé tant qu’ils ne s’accompagnent pas d’une violence extrême. Ce concept s’applique tout particulièrement aux dictatures extrêmement violentes comme l’État nazi et l’État stalinien, mais aussi aux dictatures qui en sont issues (comme la Croatie des Oustachis, la Roumanie autoritaire de 1941/1942 ou la Mongolie extérieure). Il inclut des mises à mort spécifiques à la dictature en question, comme les crimes nazis (mise à mort des Juifs, des Roms, des élites slaves, etc.) ou des crimes spécifiquement staliniens (comme les exécutions liées à la collectivisation, à la Grande Terreur, la mise à mort de certains groupes ethniques), mais englobe également des meurtres plus universels, et plus particulièrement les crimes de guerre au sens strict (notamment l’assassinat de prisonniers de guerre). Il évite toute référence aux crimes contre des groupes ethniques (génocide) ou aux traits plus spécifiques de certaines opérations de mise à mort comme les massacres.

Par ailleurs, il semble posséder des connotations plus précises que l’expression générale de violence de masse, laquelle peut également s’appliquer aux mises à mort dans le cadre d’une opération militaire ou aux mises à mort accompagnant des soulèvements sociaux.

L’expression de crimes de masse n’est pas encore très utilisée dans la recherche et n’a pas encore fait l’objet d’un débat animé, bien qu’elle ait également été employée par l’universitaire français Jacques Semelin dans une étude sur l’ex-Yougoslavie.

Bibliographie


Herbert Jäger, Makrokriminalität: Studien zur Kriminologie kollektiver Gewalt, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989.
Herbert Jäger, Verbrechen unter totalitärer Herrschaft: Studien zur nationalsozialistischen Gewaltkriminalität, Olten etc., Walter, 1967.
Dieter Pohl, Verfolgung und Massenmord in der NS-Zeit 1933-1945. Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003.
Jacques Semelin, « Analysis of a Mass Crime. The case of the Former Yugoslavia » in Ben Kiernan et Robert Gellately, Specter of genocide : Mass Murders in historical perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

Citer cet article

Pohl Dieter, Crimes de masse , Mass Violence & Résistance, [en ligne], publié le : 16 Février, 2016, accéder le 17/05/2021, http://bo-k2s.sciences-po.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/crimes-de-masse, ISSN 1961-9898
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