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31.08.2017

"En entrant à Sciences Po, j'étais de gauche"

Le dossier étudiant d'Édouard Philippe, diplômé de Sciences Po en 1992 (crédits : Sciences Po (Archives))

“J’avais dix-huit ans, j’entrais à Sciences Po, j’étais de gauche parce que je voyais mal comment j’aurais pu ne pas l’être compte tenu de ce que j’étais et de ce que je lisais”*. Nous sommes en 1989, Édouard Philippe vient de réussir “de justesse” le concours d’entrée après une année de classe préparatoire littéraire. S’ouvrent pour lui “trois années de rêve” rue Saint-Guillaume, où le jeune Rouennais, fils d’enseignants, issu d’un milieu “où le socialisme était solidement implanté”, va poursuivre à grands pas son cheminement intellectuel et politique.

“Des qualités pragmatiques d’homme politique”

Curiosité, culture, talent oratoire : la majorité de ses professeurs soulignent les qualités de l’étudiant de la section Service Public, qui découvre les matières - en particulier le droit - avec enthousiasme. “Édouard est un rhétoricien distingué, commente l’enseignante du cours “How Science is Done”.  (...) ses questions étaient parmi les plus pertinentes de la classe. Il a montré (...) des qualités pragmatiques d’homme politique.” Élève “intelligent, fin et cultivé” pour son professeur de relations internationales, il peut “par son travail, rivaliser avec les meilleurs”, entrevoit son professeur d’économie. Et l’on s’amuse à repérer le commentaire du professeur d’un cours consacré aux États-Unis, qui salue “son analyse de la “popularité présidentielle”, bien rédigée, stimulante, bien documentée et réfléchie au niveau des concepts”... Seule une rencontre ratée avec les méthodes quantitatives, où l’enseignant déplore un “ensemble mauvais”, ainsi qu'un 6 de moyenne en volley-ball, tranchent sur ce parcours brillant. “Ma méthode de travail, c’était 1 h très concentré en bibliothèque, une demi-heure de baby-foot, puis une demi-heure au café Le Basile. Ça marchait bien”, confie en souriant Édouard Philippe.

“Lire au-delà de sa zone de confort”

C’est au cours de ces années qu’il découvre que “pour se faire un avis, il faut lire un peu au-delà de sa zone de confort”. Un livre en particulier le “travaille” : La Politique des partis sous la Troisième République, de François Goguel**, qui “n’opposait pas la droite et la gauche (...) mais le parti de l’ordre et celui du mouvement”. Véritable “manuel” pour les étudiants de science politique, cet ouvrage de 1946 ébranle les jeunes certitudes du futur Premier ministre : “et s’il fallait poser les termes de son équation politique et personnelle en termes de contenu plutôt qu’en termes d’appartenance partisane ?”.

Autres découvertes marquantes, celle de John Rawls et de Friedrich Hayek, “regardés de haut ou avec horreur par ceux qui autour de moi faisaient l’opinion”. “Il faut lire des auteurs et sur des périodes que l’on n’aime pas. Une lecture inconfortable frictionne l'âme et l'esprit”, résume Edouard Philippe, qui cite une autre “rencontre surprenante” de cette époque avec l’œuvre de l’historien Raoul Girardet, auteur de L’idée coloniale en France de 1871 à 1962. C’est son professeur d’histoire Elikia M’bokolo qui a fait les présentations (littéraires), et relève dans son appréciation de l’année universitaire 1989-1990 “le bel appétit de connaissances” de l’étudiant Philippe, distingué d’un 15,5 pour ce cours.

Deux années à gauche : “Byzance au petit pied”

En pleine ébullition intellectuelle, l’étudiant talentueux ne rencontre pas que des idées. “J’étais de gauche, j’aimais Rocard, je voulais m’engager, fringant comme un jeune homme, au Parti Socialiste.” Le voici militant de la section PS de Sciences Po.  “Des étudiants passionnés, ambitieux, parfois prêts à tout pour se faire remarquer, qui venaient “militer” pour rencontrer des ministres, obtenir un job chez tel ou tel parlementaire, en espérant décrocher le moment venu, une investiture. Il y en avait même qui étaient sincères !”, ironise-t-il avec assez de verve (“à la fin de l’envoi, je touche”, comme dirait son héros préféré). “Le plus extraordinaire, c’était l’organisation en chapelles, et la tension qui régnait entre elles”, poursuit-il. Deux ans plus tard, en 1991, “écœuré par les conditions de l’éviction du gouvernement de Michel Rocard”, il tire sa révérence et quitte cette “Byzance au petit pied”, où il s’est fait “peu d’amis, mais qui le sont restés”. Toujours de gauche en 1993, “pas assez selon (s)es amis d’alors”, Edouard Philippe, en 1997, est de droite. “Dans l’éternel débat qui (...) confronte liberté et égalité, réalité et utopie, responsabilité individuelle et prise en charge collective, j’avais compris que je privilégiais plutôt les premières.”

Les idées rencontrées au cours de ces années fondatrices ont mûri. Entre temps, Édouard Philippe a fait l’ENA, et “c’était moins marrant”. Fidèle - nostalgique ? - de ses années passées à Sciences Po, Édouard Philippe y revient volontiers. En tant que maire et député, il ne manque aucune des rentrées solennelles du campus de Sciences Po au Havre. Le 30 août 2017, quelques mois après sa nomination, c’est avec un bonheur visible qu’Édouard Philippe est venu dispenser la leçon inaugurale devant les étudiants de première année. Avec une ambition manifeste : les inciter à lire “hors de leur zone de confort”.

*Cette citation et les suivantes sont extraites de l'ouvrage Des hommes qui lisent, Édouard Philippe, éd. JC Lattès (2017).

** Le politiste François Goguel, fondateur de la sociologie électorale, a enseigné à Sciences Po de 1948 à 1974. 

Les conseils de lecture dispensés par Édouard Philippe lors de la leçon inaugurale :

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