Critique internationale - Sommaire
Après une première livraison (64, juillet-septembre 2014) consacrée à la genèse des mobilisations du travail et à leurs différentes formes, ce second volet traite plus spécifiquement des organisations de défense des travailleurs. S’il est largement absent au niveau international, le syndicalisme occupe dans certains pays une place économique et institutionnelle majeure. La représentation des salariés, vecteur d’importantes dynamiques sociales et politiques, devient alors souvent un véritable enjeu national. L’étude de cas aussi variés que l’Afrique du Sud, l’Espagne, la Chine, l’Allemagne et les États-Unis permet de mettre en évidence la manière dont ces formations s’organisent et se disputent le leadership des travailleurs, et ce dans des contextes souvent défavorables. Dès lors, même si elles s’intéressent aux formes traditionnelles de régulation du travail, les cinq contributions présentées ici rappellent également le rôle central des catégories du travail dans l’intelligibilité des transformations sociales, notamment démocratiques, en offrant une autre lecture des liens entre l’économique et le politique.
En prenant pour point de départ de notre étude les grèves qui secouent le secteur minier sud-africain depuis 2012, nous analysons le rejet, par les grévistes, de leur syndicat historique et ses implications pour les relations professionnelles de l’après-apartheid. Critiquant les conclusions parfois hâtives qui dénoncent la corruption et la bureaucratisation d’un acteur syndical dominant, nous proposons une lecture du conflit industriel par le biais de la négociation entre acteurs du secteur minier. Parce qu’elle révèle un processus plus large d’institutionnalisation des conflits du travail, l’observation ethnographique d'une négociation salariale permet de montrer que c’est bien la construction d’un monopole syndical, concomitante de ce processus, qui pose problème à une base toujours militante et rétive à la dynamique négociée de transformation du secteur minier sud-africain en cours depuis 1994.
Le mouvement des Indignés qui s’est déployé en Espagne au mois de mai 2011 a été porteur d’une forte critique des institutions de la démocratie représentative et notamment des partis dominants. Les syndicats dits « majoritaires » ont été désignés, eux aussi, comme faisant partie du système, et ce d’autant plus qu’ils se sont révélés impuissants face à l’ampleur des politiques d’austérité. Si elle semble consommée, la rupture entre le syndicalisme et cette nouvelle forme de mobilisation mérite toutefois d’être questionnée. Tout d’abord, parce que le mouvement des Indignés a été plus poreux au monde du travail qu’on ne le prétend trop rapidement. En témoignent la présence des militants syndicaux sur les places publiques et dans les assemblées de quartier, ainsi que les thématiques liées à la précarité et à la défense des services publics. Le mouvement a d’ailleurs été suivi par d’autres phases de mobilisation, notamment dans le secteur de l’Enseignement. Ensuite, parce que les syndicats, même majoritaires comme les Commissions ouvrières et l’UGT, ont été sensibles aux critiques qui leur ont été adressées et ont tenté d’y répondre.
Comment des négociations collectives autonomes peuvent-elles émerger dans un pays dont le système politique ne reconnaît ni le droit de grève ni le droit d’association ? Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur un travail de terrain mené dans le Sud de la Chine en 2013-2014 auprès de leaders ouvriers, d’organisations de défense des travailleurs et d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit du travail. Nous montrons en particulier que l’apolitisme affiché des acteurs leur permet, au nom de considérations rationnelles et pragmatiques que le Parti peut difficilement désavouer, de faire progressivement évoluer dans la pratique les modes de représentation et de gestion des conflits, et que les modes d’exercice du pouvoir du régime autoritaire chinois s’en trouvent par là même renégociés. Cependant, ces négociations collectives ne sont encore à l’heure actuelle que des formes de résolution ad hoc et localisées des conflits qui se heurtent à des difficultés d’institutionnalisation, partant, de systématisation.
L’hypothèse centrale de cette contribution qui vise à analyser la dynamique actuelle des conflits du travail en Allemagne est que nous assistons à une diversification des formes d’opposition entre salariés et employeurs mais aussi à une transformation du sens et des enjeux des luttes sociales qui animent le monde productif. Les recompositions de grande ampleur du marché du travail intervenues depuis une quinzaine d’années ont pris, outre-Rhin, la forme d’un éclatement des normes et des situations d’emploi, ce qui a eu des conséquences directes sur les régulations des relations de travail. Dans une première partie, nous proposons un éclairage sur le mouvement d’institutionnalisation des conflits et des régulations sociales au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Dans la deuxième partie, nous centrons notre propos sur la conflictualité dans deux secteurs aux caractéristiques contrastées : celui des conducteurs de train, que l’on peut considérer comme des insiders, et celui du commerce par Internet, dont les régulations sont beaucoup plus lâches et qui mobilise des salariés moins bien protégés par le droit et les conventions collectives (outsiders). Dans la troisième partie, nous proposons une interprétation des évolutions récentes des conflits du travail en mobilisant une analyse institutionnelle, sectorielle et statistique.
Les manifestations qui ont eu lieu aux États-Unis au printemps 2006 contre un projet de loi accentuant la répression à l’égard des sans-papiers ont été une grande surprise. Cet événement atypique qui a rassemblé des millions d'immigrés et leurs soutiens peut être analysé comme une mobilisation politique de travailleurs, fait rare aux États-Unis aujourd'hui. Nous retraçons tout d’abord les principales étapes de l’histoire des syndicats et des minorités ethno-raciales afin de présenter un contexte dont le mouvement de 2006 s'est en partie détaché. Nous voyons ensuite dans quelle mesure ce mouvement a été celui de travailleurs entrés en masse sur la scène politique. Sur la base des premiers travaux consacrés à cette grande mobilisation et d'une enquête de terrain menée à Chicago pendant et après l'événement, nous mettons en évidence le rôle d'un milieu militant « intermédiaire » composé d'activistes souvent marqués par le mouvement ouvrier de leurs pays d'origine et conservant une certaine autonomie vis-à-vis des organisations étatsuniennes auxquelles ils appartiennent souvent. Enfin, nous évoquons les limites des transformations réalisées ou esquissées par un mouvement d'ailleurs irréductible à la question du travail et confirmant l'importance de certains clivages politiques et ethno-raciaux dans les mouvements sociaux aux États-Unis.
La notion d’État prébendier appliquée au Cambodge renvoie à la capacité des élites politiques à organiser le marché intérieur sur la base de concessions réservées à leur cercle restreint et de contrats passés avec les investisseurs étrangers impliquant l’échange de fonds financiers contre une dérégulation du droit et une privatisation de la violence. Les zones économiques spéciales incarnent cette forme autoritaire de domination patrimoniale en matière de politique industrielle. Elles mettent en évidence les accords passés entre les acteurs publics et les investisseurs privés, les organisations tayloriennes du travail dans les firmes et l’absence de relations professionnelles. Il en résulte un très faible raccordement de ces zones aux flux du développement régional dans le bassin du Mékong, qui donne à penser le cas cambodgien comme un avatar dégradé du « développementalisme ».
Les jeunes blogueurs Frères musulmans qui sont apparus en Égypte à partir de 2006 représentent un cas intéressant pour l'étude des phénomènes affectuels de désengagement. Leur dissidence, sans conteste liée à leur désarroi idéologique ainsi qu’à leur reconversion dans un nouvel univers militant, n’a pas supprimé pour autant la dépendance à une organisation connue pour son caractère englobant et captif. L’étude processuelle de deux trajectoires mêlant loyauté et désengagement permet de mettre en relation, plutôt que de les séparer, logiques de sortie et logiques de maintien. L’hypothèse est que la loyauté paradoxale des dissidents s'explique par le puissant attachement émotionnel – la ukhuwa (fraternité) – produit par l'organisation frériste, mais que c’est aussi l’expérimentation de ces états affectifs intenses qui détermine la poursuite ou la rupture de l'engagement. La ukhuwa est en effet un sentiment à double tranchant : si elle constitue la force de l'attractivité et de la loyauté fréristes ainsi que la principale technologie de discipline organisationnelle, elle est également la source de l'exclusion et de la violence potentielle qui caractérisent l'entre-soi frériste.
Nous nous proposons ici d´analyser la relation entre nationalisme et militantisme sur la base de récits biographiques qui s’inscrivent dans l’histoire de trois grandes causes nationalistes : le péronisme, l´indépendantisme basque et l´Action française. La reconstruction biographique à partir des témoignages oraux nous donne accès à la trajectoire des acteurs choisis et met en lumière des dynamiques entre compromis militant et revendication nationaliste. L´analyse microscopique des représentations et des parcours d´acteurs, dont l´identité nationaliste s´est révélée constitutive, nous permet d´accéder, à partir de l´individuel, à des caractéristiques plus vastes, diachroniques et synchroniques, des nationalismes militants abordés (rôle de la violence politique, modalités de compromis entre les membres d’une organisation, relations fluctuantes entre différentes familles politiques, usure de certaines organisations dites de libération nationale). Notre approche méthodologique se caractérise par un « comparatisme par le bas » qui prend appui sur un travail de recherche qualitatif réalisé au sein des milieux analysés.
État de littérature. L’histoire des relations internationales aujourd’hui
Gabrielle Hecht, Being Nuclear : Africans and the Global Uranium Trade, Cambridge (Mass.)/Londres, The MIT Press, 2012, XX-451 pages.
Kathya Araujo, Danilo Martuccelli, Desafíos comunes. Retrato de la sociedad chilena y sus individuos. Tomo I. Neoliberalismo, democratización y lazo social. Tomo II. Trabajo, sociabilidades y familias, Santiago, LOM Ediciones, 2012, Tome 1, 264 pages. Tome 2, 316 pages.
Humberto Cucchetti, Servir Perón : trajectoires de la Garde de Fer, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 296 pages.
