Critique internationale - Sommaire
Catégorisation académique à succès, la notion de « circulation transnationale » est devenue l’outil méthodologique carrefour des sciences sociales de l’international. Au fil des recherches, elle a permis de faire voir des espaces de relations transnationaux là où dominait encore trop souvent un ensemble de découpages a priori des objets (national/international, expertise/politique). Pourtant, l’usage désormais extensif et routinisé de la notion n’est pas dénué de chausse-trapes. À partir de cinq études de cas qui explorent les conditions pratiques de la circulation d’individus, de textes, d’instruments ou de savoirs, ce dossier évoque les pièges de l’enquête transnationale et propose diverses pistes méthodologiques permettant de les déjouer.
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Compte tenu de la grande diversité des modalités nationales de structuration de la science politique et de la faible interconnaissance entre les champs nationaux, la création en 1970 du European Consortium for Political Research (ECPR) était a priori improbable. La genèse de cette organisation scientifique transnationale est expliquée ici en deux temps : tout d’abord, par l’action de l’Unesco qui, à travers la création d’une Association internationale de science politique (AISP), a favorisé le développement de dynamiques de circulations transnationales d’acteurs et de savoirs autour de l’étude de l’objet politique ; ensuite, par la contribution de ces circulations dans la transformation de la physionomie des champs nationaux européens et dans la création des conditions d’émergence d’un projet subversif de nouvelle organisation scientifique. L’analyse donne ainsi à voir la structure hybride des espaces transnationaux en termes de savoirs et de ressources mises en jeu.
L'enquête menée sur la circulation des idées du New Labour au sein de la gauche socialiste française a permis d’aboutir à deux constats significatifs : d'une part, l'existence de passeurs, acteurs secondaires et moins visibles qui jouent pourtant un rôle essentiel ; d'autre part, la limitation des échanges directs entre le Parti socialiste et le New Labour durant la séquence de l’enquête. Par rapport à la distribution suggérée dans les travaux existants, les « seconds rôles » se révèlent donc plus importants que prévu et les « décors » ne sont pas ceux qui semblaient tout désignés. Sur la base de ces données empiriques, il est possible de repenser de manière complémentaire les concepts d'intermédiarité et de médiation afin d'appréhender tant le rôle actif de ces passeurs cosmopolites que les transformations que subissent les idées politiques lorsqu'elles circulent à l'étranger.
L'examen des programmes sur l'emploi et le chômage de l'OCDE et de la Commission européenne dans les années 1990 et 2000 permet de montrer que leur circuit de production et de légitimation homologue est marqué par la domination des secteurs économiques de ces organisations et des gouvernements sur les secteurs sociaux. L'asymétrie entre « économique » et « social » traverse chacun de ces univers institutionnels, rend compte du contenu des diagnostics et des prescriptions, mais aussi des flux de transactions entretenus entre eux. Cette analyse prend donc au sérieux dans ses effets et ses actualisations pratiques le processus de différenciation isomorphe entre « économique » et « social » engagé par les États occidentaux en longue période et qui touche aux structures mêmes de ces espaces internationalisés.
En revenant sur une « affaire » qui a défrayé la chronique au sein du microcosme communautaire entre 1958 et 1962, lorsque Jacques Rueff, alors membre de la Cour de justice des Communautés européennes, est devenu expert économique et financier du gouvernement français, avec le retour au pouvoir du général de Gaulle, cet article entend montrer les rapports de force institutionnels qui président à la codification des règles de la circulation internationale. Ces rapports de force définissent en effet les conditions de possibilité même du cumul de positions et de rémunérations qui caractérise l’expertise. De questions parlementaires en articles de presse, les ressorts de l’« affaire Rueff » montrent ainsi que la circulation internationale ne se fait pas sans résistances.
Les études sur l’expertise se sont le plus souvent appuyées sur l’hypothèse selon laquelle la production du savoir expert intervenait dans le cadre de champs institutionnalisés de production du savoir. Cette hypothèse ayant influencé à la fois l’élaboration des théories et la sélection des cas empiriques, ces études ont eu tendance à négliger l’émergence de savoirs dans d’autres cadres. L’introduction des concepts de champ « interstitiel » et de champ « transnational » a récemment fait évoluer cette position. Cependant, ces avancées ne rendent pas toujours compte des champs particuliers de l’expertise dans lesquels – comme dans l’expertise sur le terrorisme – les experts ne contrôlent ni le processus de certification de leurs pairs ni l’objet de leur expertise ou les techniques de production du savoir qui s’y rapportent. L’attention croissante portée ces dernières années à d’autres formes d’expertise résulte à la fois d’une multiplication des relations nouvelles entre experts et États et d’une remise en question du caractère « universalisable » des hypothèses relatives à cette relation pourtant particulière et historique et sur lesquelles reposaient les anciennes théories consacrées aux champs de l’expertise
L’année qui a suivi la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011 a été celle de l’évaluation, de l’autocritique et de l’ajustement. C’est un modèle de gouvernance qui a été en procès au Japon. Pour éviter une panique généralisée, le gouvernement a pris le parti de sous-informer la population, mais lui-même était mal informé, et les agences de supervision dont il dépendait dans ce domaine ne disposaient pas des renseignements de première main ou de l’expertise qu’elles étaient censées lui fournir. De tous les acteurs qui sont intervenus dans la gestion de la crise nucléaire, le gouvernement a sans doute été le moins fautif. Ni l’Agence de sûreté nucléaire et industrielle, organe de surveillance des opérateurs, ni l’opérateur TEPCO n’ignoraient que les normes de sécurité avaient été négligées dans la centrale de Fukushima Daiichi. Les différents rapports réalisés depuis la catastrophe ont mis en lumière les défaillances d’un système de gouvernance. Le gouvernement japonais en a rapidement tiré les leçons. Le retour au pouvoir en décembre 2012 d’une majorité libérale-démocrate compromet toutefois la remise en cause, un temps envisagée, de la place du secteur nucléaire dans la production énergétique.
La globalisation via les médias étrangers et l’hyper-polarisation sont les deux particularités des luttes partisanes actuelles au Venezuela. L’étude des différentes trajectoires des journalistes, intellectuels et experts engagés depuis la France dans la campagne présidentielle de 2012, de leurs interactions et de leurs réseaux professionnels et militants variablement publicisés, permet de décrire les conditions socio-historiques d'émergence et de structuration d'engagements (anti)chavistes au « Nord » depuis le coup d'État raté de 2002, et leurs usages dans la configuration bolivarienne. En projetant des violences passées dans un futur « engageant » le reste du monde, ces circulations discursives exacerbent une bipolarité qui s'est progressivement déconnectée de l'ordinaire matériel du pétro-État, mais qui est entretenue au niveau local comme vecteur de disciplinarisation au sein des deux pôles, nonobstant leur hétérogénéité idéologique, au profit des élites chavistes et de leurs partenaires étrangers
L’organisation patronale européenne, UNICE/Businesseurope, n’est pas définie ici a priori comme un « groupe de pression » agissant sur les institutions européennes ; l’analyse se centre plutôt sur le travail qu’effectue son personnel dans le cadre de programmes d’aide et d’assistance technique auprès de pays qui viennent d’adhérer à l’Union européenne ou qui sont candidats à l’adhésion. L’enquête menée sur l’organisation et le contenu de ses sessions de formation montre de quelle manière elle est un agent d’intégration européenne. Ses membres aident les représentants patronaux non seulement à apprendre leur rôle mais aussi à savoir le tenir au sein de leurs pays : sont ici en jeu la représentation des intérêts des entreprises auprès des gouvernements nationaux et le respect ainsi que la mise en œuvre sur le terrain de l’acquis communautaire. En accueillant les nouvelles organisations patronales nationales, et malgré les bouleversements engendrés par le processus d’élargissement, la fédération européenne s’efforce de conserver la structure de la représentation des intérêts patronaux auprès de l’Union européenne et la place centrale qu’elle tient dans cet espace européen de la représentation des intérêts.
Rudra Sil, Peter J. Katzenstein, Beyond Paradigms. Analytic Eclecticism in the Study of World Politics, New York, Palgrave Macmillan, 2010, XV-263 pages.
Sophie Cœuré, Rachel Mazuy (dir.) avec la collaboration de Elena Aniskina et Galina Fedorovna Kuznetsova Cousu de fil rouge. Voyages des intellectuels français en Union Soviétique. 150 documents inédits des Archives russes Paris, CNRS Éditions, 2011, 379 pages.
The Greengrocer and His TV. The Culture of Communism after the 1968 Prague Spring Ithaca, Cornell University Press, 2010, XIII-250 pages.
Sudha Rajagopalan Indian Films in Soviet Cinemas: The Culture of Movie-going after Stalin Bloomington, Indiana University Press, 2008, 242 pages.
Tejaswini Ganti Producing Bollywood: Inside the Contemporary Hindi Film Industry Durham, Duke University Press, 2012, XIV-424 pages.
