Critique internationale - Sommaire

Editorial
5-6

 

Aucun résumé

 

Thema
Thema - Recensement ethnique et changement de régime
Sous la responsabilité de Morgane Labbé

La production de chiffres sur la composition ethnique de la population et, en amont, l’enregistrement dans les recensements de caractères définissant l’ethnicité des individus s’inscrivent historiquement dans la mise en place des régimes politiques fondés sur la souveraineté nationale. Qu’on l’appelle ethnique, des nationalités ou des minorités, cette statistique est continuellement l’objet de conflits politiques, surtout dans la conjoncture particulière que constituent les changements de régime. Sous cet angle encore peu investi, les conflits en question peuvent être étudiés de manière privilégiée à partir de deux attributs majeurs de la statistique : sa fonction d’institution du social, via le recensement, et son usage comme outil de gouvernement.

Thema
Statistique ethnique, légitimité politique et changement de régime
Morgane Labbé
9-18

 

Aucun résumé

 

Thema
Recensement et légitimation nationale en Russie et dans la zone postsoviétique
Dominique Arel
19-36

L’après-communisme n’a pas mené à une rupture dans la façon dont les États postsoviétiques utilisent les catégories identitaires du recensement. Tous continuent de compter leur population selon la nationalité ethnique. Le principe d’autodétermination, selon lequel un État est le produit du droit historique d’une nationalité dite « titulaire », a consolidé l’hégémonie de la conception nationalitaire. Une vision primordialiste de la science historique comme mesure ultime permettant de jauger l’authenticité des revendications nationales reste ancrée dans le milieu académique et le discours politique de ces États. Lors des recensements postsoviétiques, les revendications cherchant à séparer un groupe d’une nationalité titulaire furent rejetées, autant par les élites russes et ukrainiennes, que tatares. Les recensements ont également projeté une baisse importante de la population russe partout hors de la Russie, en raison d’une « décolonisation accélérée » au Sud et d’une « réidentification identitaire » à l’Ouest, comme en Ukraine. Le recensement russe s’est démarqué par son ouverture au débat public, un progrès civique que le néo-autoritarisme grandissant pourrait remettre en question

Thema
Fonder un régime sur le recensement ethnique : le fédéralisme éthiopien
Éloi Ficquet
37-57

Après le renversement de la junte militaire, marxiste et ultranationaliste, en mai 1991, le pouvoir est passé aux mains d’une coalition de groupes insurrectionnels qui réclamaient la reconnaissance de leurs ethnicités distinctes et des formes d’autonomie régionale, voire d’indépendance. Pour répondre à ces exigences, un régime fédéral a été mis en place par un régime de transition, la nouvelle constitution étant proclamée en décembre 1994. L’organisation de ce fédéralisme a été définie par un nouveau découpage des tracés territoriaux selon des critères ethniques et linguistiques. Chaque région fédérale devait correspondre à un ensemble ethnique le plus homogène possible. Une description détaillée de la répartition et du recensement des identités déclarées et des langues parlées était donc nécessaire à l’établissement du nouveau régime. Certes, des données précises sur les groupes ethniques et les langues avaient déjà été collectées par la junte militaire, mais cette démarche, prodiguée par les conseillers soviétiques a été jugée contraire à l’unité nationale et abandonnée. Elle a été reprise en 1994 par le régime de transition, dans le cadre d’un recensement national dont les résultats, d’une grande précision, ont servi à l’élaboration d’espaces de représentation politique entièrement nouveaux. On peut se demander dans quelle mesure des données de cette nature peuvent servir à fonder un régime de démocratie représentative. Dans l’application de cette nouvelle conception malléable de la nation, les motifs de litiges n’ont pas manqué d’apparaître et d’être débattus, mais, jusqu’à ce jour, ils n’ont pas conduit à l’éclatement du pays.

Thema
Nommer pour contrôler au Laos, de l’État colonial au régime communiste
Vatthana Pholsena
59-76

Les différents régimes qui ont marqué l’histoire politique contemporaine du Laos, c’est-à-dire l’État colonial français (1893-1953), le Royaume indépendant du Laos (1953-1975) et la République démocratique populaire du Laos (RDPL) à partir de 1975 ont tous entrepris des recensements ethniques. Les classifications employées au cours de ces trois temps politiques mettent en évidence la volonté des gouvernants de déterminer la communauté qu’ils entendaient dominer. Elles ont à ce titre rempli des fonctions variées : aide à la collecte de l’impôt sous l’administration française ; instrument au service du projet nationaliste du jeune État laotien après l’indépendance, double outil de promotion de la diversité culturelle et de contrôle de l’ethnicité pour le régime actuel. Parallèlement, les campagnes de recensement de l’après-guerre ont ouvert un espace d’expression identitaire à certaines ethnies dites « minoritaires ». L’étude de la classification ethnique, que celle-ci soit un instrument de pouvoir ou un vecteur identitaire, est essentielle pour comprendre les politiques des identités dans le Laos contemporain.

Thema
Le pouvoir politique et les statistiques de population en Iran moderne
Marie Ladier-Fouladi
77-94

La première loi permettant d’organiser le recensement systématique de la population a été ratifiée en 1939, sous le régime monarchique des Pahlavi. Cependant, conformément à leur pratique absolutiste et autoritaire du pouvoir, ces derniers se fixèrent un objectif restreint dans la production et l’usage des statistiques. Ils cherchaient avant tout à contrôler et à dominer la population. La Révolution de février 1979 a marqué une rupture déterminante, entre toutes, vis-à-vis de cette conception restreinte. Sous l’impulsion révolutionnaire, le nouveau régime a dû se donner une tout autre ambition dans la production et l’usage des statistiques. Avec les recensements généraux de la population qu’elle a entrepris, la République islamique a cherché à obtenir une description uniforme de sa société et à offrir à celle-ci le moyen de se connaître et de se penser elle-même. Cet état de grâce de la statistique a cependant fait long feu. Depuis 2005, Mahmoud Ahmadinejad a repris à son compte la logique absolutiste et autoritaire des Pahlavi

Varia
Les Chinois au Royaume-Uni, ou l’illusion de l’immigration choisie
Frank N. Pieke, Xiang Biao
97-117

Des recherches ethnographiques menées tant en Chine qu’au Royaume-Uni montrent que la politique publique affichée par l’État britannique en matière d’immigration n’est pas une contrainte rigide imposée de l’extérieur aux migrants. Elle est au contraire incorporée par ces derniers dans leurs stratégies, lesquelles les amènent à des pratiques de migration, d’emploi et de survie produisant les phénomènes sociaux (fausses demandes d’asile, travail clandestin, etc.) contre lesquels prétend agir ladite politique publique. De plus, loin de représenter des qualités individuelles que tel ou tel candidat à la migration possède ou ne possède pas, les critères de filtrage (légalité du séjour, qualification...) ne sont que des statuts administratifs que des professionnels, en Chine et au Royaume-Uni, fournissent à leurs clients contre espèces sonnantes. Le discours de l’État sur les migrants « choisis » ne débouche sur aucune autre réalité que la limitation du nombre des entrants, sans aucun effet sur leur « qualité ». Enfin, il s’avère que l’immigration chinoise au Royaume-Uni tend à sortir du secteur ethnique pour entrer dans un secteur « néoprolétarien » aux conditions parfois encore plus difficiles pour les salariés, mais qui joue également le rôle d’une transition vers une intégration dans le marché du travail majoritaire

Varia
Les oubliés de la réforme de la Gouvernance internationale de l’environnement
Célio Andrade, Romain Taravella
119-139

La réforme de la Gouvernance internationale de l’environnement (GIE), lancée depuis 2001 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies n’accorde qu’une faible attention au monde des affaires. Cette place marginale contraste fortement avec l’implication croissante de certains acteurs entrepreneuriaux dans les négociations internationales dédiées à la protection de l’environnement. Cette lacune hypothèque probablement les chances de succès de cette réforme. En effet, la mise en œuvre de celle-ci telle qu’elle a été pensée jusqu’à présent ne tiendra pas compte des fonctions remplies par les entreprises, pourtant indispensables à l’atteinte de ses principaux objectifs. Elle ne s’attaquera pas non plus aux causes de la résistance stratégique de nombreux acteurs entrepreneuriaux face à l’institutionnalisation croissante de la problématique environnementale. Enfin, elle négligera les défis posés par l’implication croissante de certaines entreprises dans la GIE, notamment à travers l’émergence des régimes privés.

Varia
Souveraineté et gouvernementalité : la rivalité gréco-turque en Thrace occidentale
Jeanne Hersant
141-162

La question de la minorité musulmane, en grande partie turcophone, de Thrace occidentale est habituellement envisagée comme étant une simple composante du « contentieux gréco-turc ». Deux logiques étatiques concurrentes s’étant inscrites dans le corps social, il s’agit de retracer les processus ayant abouti à la production d’une minorité « turque » et à la politisation d’appartenances villageoises, linguistiques et culturelles. L’étude de cas présentée ici se situe dans la lignée des travaux relatifs à « l’ingénierie démographique » qui a préparé et accompagné la formation des États-nations après la chute des Empires ottoman, habsbourgeois et russe. Cette production de savoirs d’État recouvre les catégories ethniques et statistiques, les recensements et la cartographie, la normalisation de la toponymie, voire des expérimentations biologiques. Dans le cas de la Thrace occidentale, une dimension supplémentaire apparaît, qui est liée à la cogestion de la population musulmane par les autorités grecques et turques. Nous utilisons le terme de cogouvernementalité, en référence à Michel Foucault, pour décrire la configuration actuelle, non conflictuelle mais héritée de la crise chypriote, dans laquelle s’articulent le territoire et la population comme attributs de la souveraineté étatique partagés par les deux États.

Lectures
Lecture
Marie-Christine Granjon
165-172

Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne, Paris, Albin Michel, 2008, 214 pages.

Lectures
Lecture
Jean-Louis Fabiani
173-179

Ivan Ermakoff, Ruling oneself out : a theory of collective abdications, Durham, Duke University press, 2008, 402 pages.

Thema
Lecture
Nathalie Clayer
181-187

Olivier Bouquet, Les Pachas du sultan : essai sur les agents supérieurs de l’Etat Ottoman (1839-1909), Louvain, Peeters, 2007, XXXIV-587 pages.

Lectures
Lecture
Grégoire Mallard
189-193

Frédéric Mérand, European defence policy : beyond the nation state, Oxford, Oxford University press, 2008, 182 pages

Retour en haut de page