Critique internationale - Sommaire
Les succès électoraux au niveau local de groupes se revendiquant comme islamistes
ou étant étiquetés comme tels par leurs concurrents suscitent de nombreux commentaires
teintés d’inquiétude. Les médias et les « experts » du monde occidental mais
aussi des régions arabes et musulmanes leur opposent l’image de mouvements non
seulement antidémocratiques mais aussi « révolutionnaires ». Ce dossier propose une
analyse des enjeux que la prise de contrôle du pouvoir local représente pour ces formations
« islamistes » et examine les modes de faire du politique qu’elles mettent en
oeuvre à l’épreuve du pouvoir.
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C’est sur un discours de rupture que les islamistes ont conquis les mairies au milieu des années 1990, en s’élevant contre un « système » décrit comme injuste et corrompu, et en capitalisant sur les désillusions de l’électorat à l’égard des partis établis. Dans quelle mesure cependant ont-ils introduit de nouvelles pratiques, une fois installés aux commandes municipales ? Si les mairies islamistes ont mis en place des changements symboliques faisant la part belle à l’islam, leurs traits oppositionnels ont vite laissé la place à la production d’espaces conservateurs et à un discours de la bonne gestion. Les mairies islamistes turques ont introduit de nouveaux modes de gouvernement, au niveau de la consultation des citoyens, de la transparence et de la probité, mais elles les ont plus souvent vantés dans leurs discours que mis en pratique, confirmant ainsi une continuité avec les équipes précédentes. Enfin, les mairies islamistes ont opéré un tournant libéral ; leur alliance avec les couches populaires – leur principal soutien électoral – s’est produite à travers l’organisation de la bienfaisance à grande échelle, qui permet en outre d’intégrer dans les réseaux municipaux associations, donateurs et cercles entrepreneuriaux. Cette approche par le biais des pratiques de pouvoir permet de reconsidérer la spécificité islamiste, question qui ne concerne pas seulement l’AKP.
Lorsqu’elle est arrivée au pouvoir dans la province du Nord-Ouest (NWFP) à la suite des élections de 2002, la Muttahida Majlis-e-Amal (MMA) bénéficiait de conditions exceptionnellement favorables à la réalisation de son projet de changement social et politique. L’analyse de ce qui a changé dans la gestion de la province durant cette mandature est menée sous l’angle de la dynamique interne de la MMA et sous celui de ses relations avec l’État militaro-bureaucratique, d’une part, les bailleurs de fonds étrangers et internationaux, d’autre part. La MMA a été contrainte de s’adresser à ces derniers à cause de son manque de moyens financiers, dû entre autres à des relations tendues avec le gouvernement fédéral. Son pragmatisme politique et son désir d’apparaître comme une force de progrès l’ont poussée à associer des réformes politiques islamiques et des projets de développement en faveur des plus pauvres. Les répercussions de cette ligne de conduite se sont manifestées en particulier par une redistribution des relations clientélistes dans la province.
On sait peu de choses sur l’action municipale du Hezbollah, bien que près de 15 % des conseils municipaux libanais soient élus sur ses listes. Un premier examen de la question révèle comment les maires du parti doivent conjuguer dans leur travail de gestion locale plusieurs cadres institutionnels : partisan, légal et territorial. Trois conseils municipaux dirigés par des cadres partisans sont étudiés ici afin de montrer les priorités et les valeurs de gestion municipale en relation notamment avec la place qu’y occupe la pensée islamique. Les communes du Hezbollah sont pleinement investies par leurs conseils municipaux qui impulsent une action de développement dynamique, soutenue par des réseaux publics et privés ainsi que par des donateurs régionaux et internationaux. Les valeurs guidant le développement local – le professionnalisme et la rationalité – sont ancrées dans les soucis d’efficacité et de savoir scientifique ; elles se veulent aussi inclusives, avantageant la proximité sociale et l’apport des femmes et des jeunes. L’islamisme, quand il existe, se décline dans les discours de légitimation en amont du travail municipal et s’apparente plus à une moralité justifiant la nécessité de l’action sociale. La spécificité de la gestion locale par le Hezbollah n’est donc pas associée à des valeurs islamiques mais à des stratégies de mobilisation politique propres à la consolidation de « la société de la Résistance » du parti
Lors des élections locales de 2003, le Parti de la justice et du développement (PJD), principal parti « islamiste » marocain, a opéré une percée remarquable dans les villes. Ses élus, qui pour la plupart faisaient leurs premiers pas dans la carrière, se sont exercés aux règles du jeu politique dans un contexte de décentralisation qui réorganisait les échelles du gouvernement local et transférait des compétences au profit des autorités déconcentrées et des présidents de commune. Partis à l'assaut des villes au nom de valeurs morales et religieuses, les élus PJD ont vite adopté une approche pragmatique de leurs fonctions, se présentant désormais avant tout comme des gestionnaires efficaces du local. En phase avec les injonctions néolibérales, ils ont mis en avant leurs formations et leurs spécialisations respectives. La référence religieuse s'est estompée, se déclinant en fonction des publics, autour de mots d'ordre consensuels, comme la proximité, la probité ou la moralité. Affichant un clientélisme moral, les élus PJD ont adopté une idéologie de l’action pour résoudre les problèmes quotidiens des électeurs. Se présentant comme des techniciens du local, ils ont également repris à leur compte les caractéristiques de l'homme de bien comme celles de l'homme d'appareil, véritable cheville ouvrière du parti à l'échelle locale
Devenu gênant pour les autorités civiles et militaires, du fait de son activisme judiciaire, le président de la Cour suprême pakistanaise, Iftikhar Muhammad Chaudhry, a été suspendu de ses fonctions par le Président Pervez Musharraf le 9 mars 2007. Cette décision a provoqué un tollé au sein des professions juridiques pakistanaises qui se sont alors mobilisées pour obtenir la réinstallation du magistrat. Le mouvement de contestation a été animé par des avocats militants qui avaient déjà une longue expérience en la matière, et qui exerçaient des fonctions de direction dans les puissantes organisations professionnelles régulant les activités des juristes pakistanais. Au fil des mois cependant, la mobilisation s’est étendue bien au-delà des milieux juridiques, en ralliant des acteurs aux valeurs et aux intérêts apparemment inconciliables : les milieux « ONGistes » progressistes et la mouvance islamiste. Le rapprochement de ces derniers s’est opéré sur la base d’un « consensus par recoupement » à travers le langage du droit. Et si cette coalition hétéroclite s’est effritée rapidement, dès que le jeu politique a repris ses droits, le mouvement des avocats n’en a pas moins été révélateur de la résilience de l’État de droit dans un pays pourtant gouverné par les militaires pendant plus de la moitié de son histoire.
La création du Consulat de la République populaire de Chine (RPC) en Polynésie française s’inscrit dans un contexte d’affirmation de la puissance chinoise dans le Pacifique, sur fond de compétition entre la RPC et la République de Chine (ROC) à Taiwan. On retrouve donc en Polynésie française la question des deux Chine, la RPC tentant de faire reconnaître ses droits de propriété sur le terrain consulaire occupé par la ROC de 1945 à 1965. Les citoyens français descendants des Chinois qui ont immigré durant la période coloniale ont de cette affaire des interprétations diverses, même si le devenir de l’ancien Consulat n’est appréhendé en termes géopolitiques globaux que par une petite minorité d’entre eux. L’analyse menée dans la lignée des développements récents de l’anthropologie globale s’appuie sur une variation scalaire envisagée sous deux angles : si l’apparition du conflit et les tentatives de résolution dont il fait l’objet se jouent aux échelles locale et globale, la définition de l’échelle pertinente est elle-même un enjeu du conflit. L’affaire du terrain consulaire est en outre révélatrice de la manière dont s’opère une conjonction de politiques favorables au maintien des frontières ethniques, dans un contexte de transition hégémonique.
Quel a été le rôle du réseau transnational de Jean Monnet dans la conduite des négociations entre Américains et Européens qui suivirent la signature du Traité Euratom de mars 1957 ? Plus précisément, comment la question du contrôle des usages des matières fissiles en Europe a-t-elle été négociée entre les États-Unis et la Communauté Euratom ? Il s’avère que Jean Monnet, la Maison Blanche et le Département d’État ont élaboré une tactique commune d’obscurcissement du projet européen, qui en masquait les enjeux militaires et stratégiques. Le choix de cette tactique d’énonciation fut en partie déterminé par l’opposition interne américaine, notamment de l’Atomic Energy Commission et du Congrès, au transfert de compétences, en termes de contrôle, des Américains aux Européens. Contrairement aux analyses néoréalistes de l’intégration européenne, qui toutes insistent sur la faible influence des réseaux transnationaux sur les décisions des gouvernements, cette analyse fait donc ressortir leur importance, laquelle, dans l’histoire de l’Europe, s’exerça moins dans les négociations intergouvernementales des traités européens, que dans les négociations transatlantiques, entre États-Unis et Europe, notamment à propos de la question nucléaire
Rawi Abdelal, Capital Rules : The Construction of Global Finance, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2007, XI-304 pages.
Alan Greenspan, Le temps des turbulences, Paris, Jean-Claude Lattès, 2007, 677 pages.
Harald Welzer, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, 2008, 354 pages.
Jean-Loup Amselle, L’Occident décroché : enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008, 320 pages
Richard J. Shuster, German Disarmament after World War I : The Diplomacy of International Arms Inspection 1920-1931, Londres/New York, Routledge, 259 pages.
