Le monde en 2030 – Le rêve de « la Grande Chine »

Marc Nexon, avec la contribution de Stéphanie Balme

15/01/2020

ÉPISODE 8. C’est une révolution majeure qui va bouleverser le monde : l’apparition d’une Chine sûre d’elle-même. En partenariat avec Sciences Po Ceri.

Donald Trump sait parfois se montrer visionnaire. En déclenchant une guerre commerciale avec Pékin, le président américain et son administration tentent de répondre à une urgence : freiner l’envolée de la Chine appelée à devenir la puissance dominante d’ici à 2030. À cette échéance, l’empire du Milieu devrait ravir aux États-Unis le record du PIB le plus élevé. Une prouesse réalisée grâce à la dynamique exceptionnelle de son économie. En quarante ans, la part du pays dans la richesse mondiale a bondi de 2 % à 15 %. Dans le même temps, 500 millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Quant à l’espérance de vie, elle a grimpé de 35 ans à 77 ans. Une période pendant laquelle le bolide chinois a rattrapé le peloton de tête des grandes puissances. Telle la France, distancée dès 2005 et qui affiche désormais un PIB cinq fois inférieur. Et le président Xi Jinping n’entend pas s’arrêter là. Son objectif ? Devenir « un leader global » à l’horizon 2050. Autrement dit, jouer l’arbitre des affaires planétaires. Le rôle que s’attribuait l’Amérique avant la politique isolationniste préconisée par Trump.

Les conquêtes chinoises

Parmi les grandes conquêtes envisagées, celle de l’espace figure en bonne place. Le pays dépense à présent davantage que la Russie et le Japon pour ses programmes spatiaux. Après avoir posé un engin spatial sur la face cachée sur la Lune il y a un an, le géant asiatique ambitionne d’envoyer un premier Chinois sur la Lune d’ici une dizaine d’années.

« Ce qui est en jeu avec Washington, c’est autant le leadership dans les technologies civiles que militaires », souligne Stéphanie Balme, directrice de recherches à Science Po Ceri (Centre de recherches internationales). L’atout chinois ? Un plan baptisé « Chine 2025 », fondé sur dix secteurs d’activité pour lesquels le pays vise la première place (robotique, technologies de l’information, aviation et espace, équipements maritimes, transports ferroviaires, véhicules propres, équipements énergétiques, équipements agricoles, nouveaux matériaux, pharmacie et médecine). Une redoutable machine à innover. « Peu de nations à ce jour ont su construire un plan aussi articulé présentant une vision alliant les sciences, les technologies et des solutions environnementales », poursuit Stéphanie Balme. Et les résultats tombent. La Chine occupe le premier rang mondial parmi les déposants de brevets et le deuxième rang des plus gros investisseurs en recherche et développement. Les scientifiques chinois s’offrent même le luxe de signer deux tiers des publications le plus souvent citées. Le régime, il est vrai, fournit l’infrastructure nécessaire. Près de la moitié de la population est connectée au haut débit.

Les routes de la soie

L’autre instrument de Pékin répond au nom poétique de « nouvelles routes de la soie ». Un chantier planétaire destiné à assouvir les énormes besoins de la Chine. « Ce projet est aussi un moyen de sécuriser un certain développement économique en assurant un approvisionnement continu en ressources naturelles, des infrastructures ainsi qu’un modèle général de développement », explique Stéphanie Balme. Le projet s’apparente ainsi à une immense toile d’araignée tissée en Asie, en Afrique et jusqu’en Europe. Un entrelacement de routes maritimes, ferroviaires, énergétiques dont la construction mobilise 1 000 milliards de dollars. Rien que sur le continent africain 2 500 projets d’infrastructures sont à l’étude. Mais ce n’est pas tout.

La Chine entend contrôler la chaîne de bout en bout en jetant son dévolu sur des nœuds stratégiques : les ports. Placer quatorze de ses ports dans le top 20 mondial ne lui suffit pas, elle s’emploie à en racheter hors des frontières. Elle détient ainsi 80 % du port de Karachi au Pakistan et 67 % du Pirée en Grèce. Sans parler de ses investissements au Havre, à Marseille, à Anvers, à Rotterdam et bientôt sur la mer Baltique. Trieste en Italie figure aussi parmi ses cibles. De quoi s’arroger 10 % des capacités des terminaux pour conteneurs sur le Vieux Continent. Une part qui pourrait atteindre 50 % d’ici 2025.

Calculs géopolitiques

Calcul purement économique ? Pas seulement. Pékin tire déjà un bénéfice politique de son offensive. Il suffit d’observer l’attitude de la Grèce. En 2017 à l’ONU, Athènes n’a pas hésité à recourir à son veto pour bloquer un texte de l’Union européenne condamnant la politique chinoise des droits de l’homme. « Les sommes promises sont telles que de nombreux pays accueillent les nouvelles routes de la soie à bras ouverts, même si la percée de la Chine ne va pas toujours sans controverse dans ces mêmes pays », admet Stéphanie Balme.

Un expansionnisme également facilité par le système politique chinois. « Dans une société où tout débat est étouffé, il est plus facile d’imposer une telle marche en avant. Nous sommes en présence d’une Chine toujours modelée par l’idéologie maoïste des années 50 et 60, mais en version 4.0 ».

La « grande Chine » selon Xi

De fait, le président Xi ne cesse de resserrer l’étau. La Constitution récemment amendée lui permet de se maintenir au pouvoir indéfiniment. Le voilà donc réinventeur du vieux modèle communiste à l’heure de l’intelligence artificielle. Car la technologie lui offre désormais la possibilité de placer sa population sous surveillance. L’exploitation des données alliée au système de reconnaissance faciale permet d’attribuer une « note sociale » à chaque citoyen. Le respect du Code de la route, le degré d’adhésion au Parti, le paiement des factures, le don d’organes, les dépenses énergétiques, tout est consigné, recoupé, analysé et mis à la disposition de l’administration. Une note dévaluée ? C’est un prêt non délivré, un voyage à l’étranger interdit, un emploi rendu inaccessible ou une école refusée pour ses enfants. Et en cas d’inscription sur liste noire, la prison attend le contrevenant.

La Chine de Xi ne tolère aucun écart. Une discipline de fer qui lui sert aussi à améliorer ses performances dans des domaines où on ne l’attend pas. Car le principal pollueur de la planète s’enorgueillit d’une autre percée : sa conversion écologique. « Le Parti communiste chinois veut se présenter comme le premier parti vert au monde », sourit Stéphanie Balme. « Nous devons établir fermement ce concept de civilisation écologique socialiste et tout faire pour protéger l’environnement au profit des futures générations », a déclaré le président Xi. Une profession de foi qui se traduit déjà au niveau du parc automobile. La Chine est le premier marché mondial des véhicules électriques à batterie. Une technologie pourtant jugée obsolète, car les autorités parient désormais sur la voiture à hydrogène qui bénéficie des subventions jusqu’ici allouées à l’électrique. But : franchir en 2030 le cap du million de voitures à hydrogène vendues dans le pays contre 2 500 aujourd’hui.

Gigantisme

Pour le reste, le gigantisme est au rendez-vous. Près de Shanghai, la plus grande centrale solaire flottante au monde a été mise en service dans une mine désaffectée et inondée. Toutes les heures, le pays s’équipe d’une surface de panneaux solaires équivalant à celle d’un terrain de football. De quoi propulser la Chine au premier rang des producteurs d’énergie solaire. Résultat, d’ici à 2030, la part des énergies renouvelables devrait doubler et représenter plus de 20 % de la production globale. Et réduire ainsi la place du charbon, jusqu’ici la principale source d’énergie.

Autre projet démesuré : la muraille verte. Un programme de reforestation destiné à lutter contre la désertification dans les provinces du Nord. Soit une ceinture végétale de 4 500 kilomètres de long. Plus d’un tiers des 36 millions d’hectares prévus sont déjà couverts de pins, de saules, de peupliers. Une fois achevé, l’ensemble constituera la plus grande forêt artificielle de la planète. Les experts chinois dressent un premier bilan positif. La fréquence des tempêtes de sable aurait diminué de 20 %.

Alors, une route sans embûche vers le « leadership global » ? Stéphanie Balme en doute. « Des violences extrêmes peuvent se produire et s’exprimer entre les minorités ethniques, mais aussi entre les classes sociales, entre les générations ou autres communautés et groupes d’intérêts. Ces tensions non assumées demeurent la fragilité du pays. La crise de Hongkong est là pour nous le rappeler. »

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