La crise syrienne vue d’Azerbaïdjan

Bayram Balci

28/03/2013

Secouée depuis deux ans par des affrontements meurtriers, la Syrie traverse une crise plus violente que les autres révoltes populaires du printemps arabe et qui, selon toute probabilité, s’inscrit dans la longue durée. Le pays est dans une impasse d’autant plus grande que chaque évolution entraîne des conséquences politiques et confessionnelles en son sein comme dans les pays voisins et que tout débordement menace le fragile statu quo régional. En effet, la confessionnalisation progressive de la révolte syrienne a déjà atteint le Liban, et agite, pour l’heure heureusement sans violence, l’opinion publique en Turquie et en Irak, où elle attise le clivage entre populations sunnites et chiites. Au-delà de la Syrie, la ligne de fracture confessionnelle met aux prises le camp sunnite composé de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et du Qatar avec les chiites d’Iran et d’Irak (à l’exception de la province du Kurdistan autonome) et le Hezbollah au Liban. Le fait religieux n’est pas le seul mais il est sans doute le plus important des facteurs de cette nouvelle polarisation progressive. L’aggravation de la crise syrienne n’épargne aucun des pays de la région.
Son impact au Liban, en Irak et en Turquie a fait l’objet de nombreuses d’études spécifiques. Aucune d’entre elles cependant n’a analysé les effets de la crise syrienne dans un pays, certes excentré, mais tiraillé entre sunnites et chiites : l’Azerbaïdjan. La déstabilisation, sous-estimée au niveau stratégique, de ce pays du Caucase, proche allié de la Turquie qui occupe une position clé dans le camp des opposants à Bachar el-Assad, pourrait avoir de fâcheuses conséquences. L’Azerbaïdjan, dont la population est composée d’environ 60% de chiites et 45% de sunnites, est particulièrement vulnérable du fait notamment de la confessionnalisation croissante de la crise syrienne. Celle-ci est vue comme une menace dans un pays frontalier de la Turquie, dont il reçoit les influences sunnites, mais aussi de l’Iran, qui alimente le renouveau chiite, et qui craignait déjà l’influence des printemps arabes sur sa population.
L’objectif du présent article est double. Il vise en premier lieu à analyser les inquiétudes des dirigeants azerbaïdjanais quant aux conséquences de la crise syrienne sur la société et la politique de leur pays et, dans un second temps, à étudier les effets de  la confessionnalisation du conflit syrien, source d’aggravation des tensions et de renforcement des clivages entre chiites et sunnites dans le pays.

 

L’Etat azerbaïdjanais face à la crise syrienne


L’Azerbaïdjan, indépendant depuis 1991, entretenait avec la Syrie des relations politiques et économiques fragiles avant le déclenchement de la révolte populaire dans ce pays il y a deux ans. Dans la configuration régionale, les deux Etats se trouvaient dans des camps rivaux, Damas étant très proche de la Russie dont Bakou cherchait à réduire l’influence dans le Caucase pour mieux s’arrimer à l’Occident. La Syrie, qui possède une importante minorité arménienne, était proche d’Erevan, une proximité qui dérangeait Bakou qui pratique une politique d’isolement de l’Arménie, pour obliger celle-ci à négocier sur le statut du Karabakh et des territoires azéris occupés par Erevan depuis vingt ans. Or malgré ces divergences, Damas et Bakou entretenaient depuis 1992 des relations bilatérales qui se développaient toutefois lentement puisqu’il faudra attendre mai 2008 pour que l’Azerbaïdjan ouvre une première représentation diplomatique à Damas. En juillet 2009, le président Bachar el-Assad effectuait une visite officielle de deux jours à Bakou ; en mars 2010, les deux pays signaient un important accord gazier aux termes duquel Bakou devait fournir 1,5 milliard de mètres cubes de gaz à Damas1.
Le déclenchement en décembre 2010 des révoltes populaires, qualifiées par la suite de « printemps arabes », a plongé Bakou dans l’expectative et la crainte, tant le régime azerbaïdjanais partage de caractéristiques avec les dirigeants de certains pays arabes chassés du pouvoir par leur population. Comme dans la plupart des pays de l’ex-URSS, la crainte - exagérée - de la contagion a poussé les dirigeants en place à prendre des mesures pour se protéger. Dans la banlieue de Bakou, le buste de Hosni Moubarak qui décorait le parc dédié à l’amitié égypto-azerbaïdjanaise a été remplacé par un monument politiquement plus neutre. Le parallèle est plus saisissant encore avec la Syrie. Les deux pays sont des républiques dynastiques, Bachar el-Assad et Ilham Aliev ayant chacun succédé à leur père respectif. Silencieux sur les changements de pouvoir dans le monde arabe, Bakou a conservé la même réserve sur les événements syriens, même s’il a soutenu la décision d’exclusion de la Damas qu’a prise la Ligue arabe.
Avec l’aggravation de la crise et la division des pays de la région entre partisans et opposants au régime de Bachar el-Assad, l’Azerbaïdjan a tenté de poursuivre sa politique de précaution. Sans pouvoir ouvertement soutenir les opposants au régime qui exigent le départ du président syrien, la République du Caucase a exprimé sa réprobation vis-à-vis de l’emploi de la violence sur des populations civiles. Devenu en octobre 2011 membre non permanent du conseil de sécurité de l’ONU pour une période de deux ans, Bakou s’est  montré d’autant plus prudent dans son appréhension de la crise syrienne qu’il est pris en tenailles par ses deux imposants voisins turc et iranien, qui occupent des positions diamétralement opposées dans l’équation syrienne. Ankara est en effet le chef de file du camp qui exige le départ du dirigeant de Damas, tandis que Téhéran soutient ce dernier sans relâche et lui permet de se maintenir malgré l’amplification de la contestation et le renforcement des moyens miliaires de l’opposition.
La position de l’Azerbaïdjan est devenue davantage critique et audible quand l’Arménie (et les Arméniens du Karabakh) ont affirmé avoir accueilli et installé dans certains districts du Karabakh des familles arméniennes de Syrie qui fuyaient les combats2. Bakou a jugé inacceptable et illégale cette installation sur des territoires dont le statut et la souveraineté demeure un point d’achoppement important dans ses relations avec Erevan. Depuis juillet 2012, les autorités azerbaïdjanaises se sont donc plus élevées pour dénoncer la violation du territoire du Karabakh par l’Arménie que pour condamner la répression en Syrie.
Au premier abord, Bakou n’a pas forcément intérêt à la chute du régime syrien qui, si elle se produisait pourrait donner des idées à l’opposition azerbaïdjanaise et la pousser à se lancer dans un combat similaire. Un changement éventuel de régime en Syrie pourrait toutefois s’avérer bénéfique en termes de géopolitique régionale. En effet, la destitution de Bachar el-Assad, quelle que soit les forces qui lui succèderaient, risquerait fort d’affaiblir le puissant voisin iranien, avec lequel Bakou n’a jamais entretenu des relations faciles, si bien que l’Azerbaïdjan semble parfois se rapprocher de la Turquie et du camp anti Bachar el-Assad. Il a ainsi exprimé sa solidarité avec Ankara lorsqu’un avion turc a été abattu. Toutefois, discret et prudent, les Azéris restent en marge du débat et ne souhaitent pas être identifiés comme des opposants au régime en place (comme le sont l’Arabie Saoudite, la Turquie, le Qatar et les pays occidentaux) conscients des risques qu’ils encourraient s’ils prenaient cette position. Pour le régime d’Ilham Aliev, soutenir le processus démocratique dans le monde arabe reviendrait à se tirer une balle dans le pied. La crainte de la contagion de la vague de contestation populaire est d’autant plus forte que de nombreuses protestations populaires contre le pouvoir en place ont eu lieu durant tout le mois de janvier et février 2013 à Bakou et en province. Elles ont donné lieu à de multiples arrestations et à des détentions administratives.


Les effets de la confessionnalisation de la crise syrienne sur l’islam azerbaïdjanais


La confessionnalisation progressive de la crise syrienne a fait prendre conscience à Bakou du risque, celui de voir sa propre population divisée. Situé au carrefour de l’Iran, de la Russie et de la Turquie dont il continue de recevoir les influences politiques et religieuses, l’Azerbaïdjan possède la particularité d’être la seule république turcophone post-soviétique à posséder une double identité religieuse, à la fois chiite et sunnite. Ce particularisme, hérité de sa position frontalière entre l’Empire ottoman sunnite et l’Empire safavide chiite, était peu perceptible à l’époque de l’Union soviétique. En effet, la répression antireligieuse du régime soviétique – mais aussi le nationalisme séculier  de la première République démocratique d’Azerbaïdjan (1918-1920) – avait en partie réussi à gommer les identités religieuses, a fortiori les divergences confessionnelles, existant au sein du grand peuple socialiste. Après le recouvrement de l’indépendance en 1991, la quête d’identité, individuelle et collective, s’est focalisée en partie sur le fait religieux et donné lieu à un renouveau islamique. L’activisme des courants religieux, turcs comme iraniens, a ravivé la flamme de la foi chez les Azerbaïdjanais mais aussi créé des divisions. Le prosélytisme sunnite exercé par la Diyanet (département des affaires religieuses en Turquie) mais également par des mouvements privés représentés par les disciples de Sait Nursi, Fethullah Gülen, Suleyman Tunahan et du leader naqshibendi Osman Nuri Topbas, quatre autorités religieuses qui sont à la tête d’importants mouvements partisans d’un islam turc et sunnite, concurrençait indirectement l’influence chiite venue d’Iran. Les sunnites n’ont pas tenté de s’imposer dans un Azerbaïdjan majoritairement chiite, mais en favorisant le développement de leur doctrine, elle-même divisée entre plusieurs tendances3, ils ont contribué à réveiller la ligne de fracture entre les deux principales communautés de l’islam. Des salafistes, plus ou moins fondamentalistes, venus de la péninsule arabique ou du Caucase du Nord, ont ainsi réussi à imposer un radicalisme jusque-là inexistant dans le pays.
Quand on connaît le passé commun des deux pays, l’influence des chiites iraniens qui s’est développée à partir de 1990 semble naturelle. Celle-ci a toutefois également contribué au réveil du clivage entre chiites et sunnites. L’établissement de relations diplomatiques entre Bakou et Téhéran a ouvert la voie à la promotion officielle des préceptes du guide de la Révolution islamique, Ali Khamenei, en Azerbaïdjan. Des centaines de jeunes Azerbaïdjanais sont partis étudier dans les villes iraniennes de Qom et de Machhad où ils se sont familiarisés avec les idées de plusieurs grandes figures chiites.
Soucieux de préserver la cohésion et la stabilité nationale, l’Etat azerbaïdjanais a, par le biais de la Direction des musulmans du Caucase et du Comité d’Etat aux affaires religieuses, cherché à exercer un rôle d’arbitre entre toutes ces tendances hétéroclites qui menaçaient l’unité de l’islam national, soumis au strict contrôle de Bakou.
Avant la crise syrienne, la ligne de fracture chiites/sunnites était bien réelle mais l’Etat, qui contrôlait la vie religieuse, parvenait à maintenir une unité de façade. Après avoir considérablement affaibli l’influence de l’Iran (par exemple en expulsant des fondations iraniennes et en compliquant la vie des ONG locales connues pour leur position pro-iraniennes), Bakou a entrepris, à partir de 2010, d’endiguer également celle de la Turquie. Ainsi, la coopération religieuse avec Ankara a été réduite et la mosquée de la place des martyrs, haut-lieu symbolique de la présence musulmane turque en Azerbaïdjan, a été fermée par les autorités, officiellement pour des raisons de sécurité4 mais en fait pour réduire le poids de la Turquie dans l’islam azerbaïdjanais. En canalisant l’influence religieuse de ses deux voisins, le pouvoir bakinois pouvait ainsi prétendre veiller à l’harmonie séculaire régnant entre les deux communautés musulmanes.
En se transformant en conflit religieux, la crise syrienne a ravivé les querelles confessionnelles au sein de la République du Caucase. Elle interpelle surtout les autorités religieuses et des plus pieux des croyants, soit une minorité d’Azerbaïdjanais. La majeure partie de la population largement sécularisée et traditionnellement peu intéressée par l’actualité politique du Moyen-Orient reste peu sensible à ce qui se passe en Syrie. En revanche, les leaders religieux utilisent l’actualité syrienne pour leurs querelles domestiques. Porte-parole du gouvernement et responsable de la gestion des affaires religieuses du pays5, la Direction des musulmans du Caucase, fidèle à sa vocation religieuse et en principe apolitique, est restée silencieuse sur les événements syriens. Les membres du Comité d’Etat pour les affaires religieuses ont également fait preuve d’une grande réserve. Les deux instances, tenues au respect du sécularisme, préfèrent éviter toute polémique politique, a fortiori, en matière de politique étrangère.
La discrète communauté salafiste, elle-même divisée en plusieurs branches, n’a fait aucune déclaration publique, bien qu’elle soit très concernée par ce qui se passe en Syrie. Les publications et sites Internet proches des milieux salafistes font également très peu référence à l’actualité syrienne. Figure emblématique de la communauté, Gamet Suleymanov, chassé de sa mosquée en 2008 par les autorités effrayées par son succès croissant, évoque rarement Damas dans ses prêches (que l’on peut suivre sur son site Internet). Quelques individus isolés ont ouvertement pris fait et cause pour les rebelles djihadistes de Syrie. Ils appartiennent souvent à des groupes ethniques nord caucasiens  (lezgin, avar ou tchétchène) et partent combattre en Syrie après avoir fait la guerre en Afghanistan.
Les milieux chiites militants sont plus diserts sur la crise syrienne. De manière générale, leur attitude est très tranchée, ils condamnent fermement les rebelles et les forces extérieures qui les soutiennent. Interrogé dans son bureau de l’association des droits de l’homme DEVAMM6, Hadji Ilgar Ibrahimoglu, le leader chiite le plus charismatique, le plus populaire et le plus politisé d’Azerbaïdjan, ne croit pas aux motivations démocratiques et révolutionnaires de l’opposition syrienne. Questionné sur le paradoxe que représente sa dénonciation de l’autoritarisme du régime azerbaïdjanais et son ignorance des revendications démocratiques du peuple syrien, il répond par une lecture exclusivement confessionnelle du conflit. Bon nombre d’autres personnalités chiites interrogées expriment la conviction que « ce qui se passe en Syrie n’est pas une révolte populaire contre un tyran (Bachar el-Assad est donc bien identifié comme tyran) mais une manipulation et un complot monté par les Etats-Unis et Israël, pour faire chuter le régime en place, et ainsi, parvenir à priver l’Iran de son principal allié dans la région »7.
Une autre association chiite influente, Manevi Safliga Devet Ijtimai Birligi (Association de promotion de la pureté morale), exprime un point de vue similaire. Elshan Guliev et Elshan Mustafaoglu, les responsables de l’association, sont eux aussi persuadés que « derrière le soutien aux rebelles se cache en réalité le désir des puissances hostiles à l’Iran, et au monde chiite, de punir le régime syrien pour son engagement pro-iranien »8. « Preuve que les intentions démocratiques de l’Occident ne sont pas fondées, ce même Occident soi-disant démocratique s’est montré indifférent au soulèvement démocratique de la population chiite du Bahreïn », estiment-ils9. Pour bon nombre de chiites d’Azerbaïdjan, les choses sont simples, « il existe une alliance entre les Etats-Unis et leurs alliés sunnites de la région pour affaiblir l’Iran »10. Cette solidarité avec le régime de Bachar el-Assad doit toutefois être replacée dans son contexte. Elle ne témoigne d’aucune affinité entre le chiisme d’Azerbaïdjan et la doctrine de la minorité alaouite qui détient le pouvoir depuis plus de quarante ans en Syrie. D’un point de vue religieux, quand bien même la figure d’Ali prédomine dans le chiisme duodécimain (la branche majoritaire du chiisme, qui croit en l’existence de douze imams ; les autres chiites, appelés ismailiens ou septimains, croient en l’existence de sept imams) comme dans la doctrine alaouite, les deux pratiques divergent fondamentalement. Dans le passé, des autorités chiites duodécimaines de Najaf et de Qom ont, pour des raisons politiques ou œcuméniques, essayé – en vain – d’intégrer les Alaouites au sein du chiisme duodécimain. Les Alaouites de Syrie n’ont jamais reconnu l’autorité des marja’ al taqlid (« source d’inspiration » en arabe et en persan) d’Iran et d’Irak (chaque chiite doit se choisir un guide, une autorité religieuse comme source d’inspiration pour pouvoir s’acquitter de ses obligations religieuses quotidiennes), préférant rester fidèles à leur pratique religieuse syncrétique que toutes les écoles de pensée du chiisme duodécimain jugent ghulat, c’est-à-dire excessive11. Or les chiites d’Azerbaïdjan continuent, malgré la longue domination russe et soviétique, de reconnaître les autorités religieuses du chiisme duodécimain d’Iran ou d’Irak. De même, les étudiants azerbaïdjanais qui ont séjourné en Syrie dans le quartier chiite de Sayyida Zaynab, haut lieu du chiisme du duodécimain fréquenté par de nombreux pèlerins, n’ont pas créé de liens avec les Alaouites de Syrie ni cherché à connaître les particularités de leur doctrine12.
Le positionnement pro Bachar el-Assad des chiites d’Azerbaïdjan est davantage un soutien par défaut. En effet, il ne s’agit par pour eux de défendre le régime syrien dont ils connaissent les excès, mais de se protéger des printemps arabes qui, partout, favorisent l’accession au pouvoir des Frères musulmans hostiles au chiisme. Par ailleurs, les chiites voient dans la Syrie de Bachar el-Assad le dernier rempart à la montée en puissance du salafisme dont le développement au sein des pays secoués par les printemps arabes les effraie.
Le soutien indirect des organisations chiites azerbaïdjanaises au régime de Bachar el-Assad révèle surtout leur forte identification à l’Iran. En effet, si officiellement aucune organisation chiite den la République du Caucase n’ose afficher sa solidarité avec Téhéran (à l’exception du Parti islamique d’Azerbaïdjan, formation marginale et illégale), qui possède dans le pays une image négative, elles sont néanmoins solidaires de ce dernier, ou du moins de ses autorités religieuses. Chaque chiite doit en effet se choisir un guide, un marja’ al taqlid, pour pouvoir s’acquitter de ses obligations religieuses quotidiennes. Or la plupart des autorités religieuses sont iraniennes ou installées en Iran, à l’exception de quelques-unes, basées en Irak. Les marja’ al taqlid les plus populaires d’Azerbaïdjan sont Ali Khamenei, Ali Sistani, Jaffar Subhani, Javad Makarrami, Fazil Lenkerani (qui est mort en 2007) et Jevad Tabrizi (mort en 2006). Tous sont Iraniens, et tous, sauf Ali Sistani, vivent en Iran. Les jeunes et influentes autorités religieuses azerbaïdjanaises, tels que Haji Ilgar ou Elshan Mustafaoglu, se sont formées et ont acquis leur légitimité dans ce pays. Toujours sensibles au positionnement des autorités chiites de Téhéran, ils soutiennent donc le régime de  Bachar el-Assad, plus pour des motifs politiques qu’en raison d’une éventuelle une proximité religieuse avec les alaouites de Syrie.


Les perspectives d’évolution

 


Affecté à un moindre degré que ses voisins immédiats par la crise en Syrie, l’Azerbaïdjan en subit néanmoins les retombées, ce qui n’est pas sans inquiéter le régime en place qui craint que les révolutions arabes, et même la situation en Syrie où une victoire de l’opposition pourrait ouvrir la voie aux forces qui réclament le changement à Bakou, pourraient inspirer l’opposition. Selon un sondage réalisé en septembre 201213, seuls un tiers des Azerbaïdjanais (35%) pense que leur pays va dans la bonne direction. Un autre tiers (33,9%) se déclare favorable à une révolution du type printemps arabe. 14% des personnes interrogées se disent mécontentes du régime d’Ilham Aliev mais qui s’en accommodent pour préserver la paix et la stabilité dans un pays encore marqué par les conflits des premières années de son indépendance.
La sensibilité des communautés religieuses azerbaïdjanaises à la situation syrienne inquiète également les autorités de Bakou, qui maintiennent à grand-peine un semblant de cohésion entre les différents groupes religieux du pays. La confessionnalisation du conflit syrien renforce les antagonismes entre chiites et sunnites qui se positionnent principalement par rapport à des leaders étrangers. L’enlisement de la crise syrienne, devenue aujourd’hui une véritable guerre civile et confessionnelle, conforte le régime azerbaïdjanais, et tous les régimes autoritaires de l’ex-URSS, dans l’idée que seul un pouvoir fort peut assurer la paix et la cohésion nationale, a fortiori dans les nations multiethniques et multiconfessionnelles. Pourtant, les intérêts géopolitiques de l’Azerbaïdjan pourraient profiter de la chute du régime de Bachar el-Assad. Celle-ci constituerait une défaite diplomatique pour ses voisins russe et iranien et ouvrirait la voie à une montée en puissance de Bakou sur la scène régionale. Entre la peste et le choléra, l’Azerbaïdjan hésite, se souciant toutefois plus de ses propres intérêts que du sort des populations civiles syriennes.

  • 1. Sur l’historique des relations entre l’Azerbaïdjan et la Syrie, voir le site officiel du ministère des Affaires étrangères azerbaidjanais : http://www.google.az/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCQQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.mfa.gov.az%2Ffiles%2Ffile%2FSuriya.pdf&ei=QkUFUeHRLe670QHTy4CwBA&usg=AFQjCNGVkE00HIKk4KlunN-qfm23I15gqw&bvm=bv.41524429,d.dmQ
  • 2. Voir aussi Marianna Grigoryan, « Armenia: Syrian Refugees Resettling in Nagorno-Karabakh », Eurasianet, January 24, 2013, http://www.eurasianet.org/node/66446
  • 3. Bayram Balci, Altay Goyushov, « Changing Islam in Post-Soviet Azerbaijan and its impact on the Sunni-Shia cleavage », in Maréchal, Brigitte & Zemni, Sami, Contemporary Sunni-Shia relationships, London, Hurst & Co Publishers Ltd, 2012.
  • 4. Entretien avec l’attaché auprès de l’ambassade de Turquie en Azerbaïdjan pour la coopération religieuse avec l’Azerbaïdjan, Bakou, décembre 2012.
  • 5. Entretien avec Elchin Eskerov, vice-président du Comité d’Etat pour les affaires religieuses, Bakou, décembre 2012.
  • 6. Association de défense de la liberté religieuse et de conscience, fondée et dirigée Ilgar Ibrahimoglu qui publie la revue électronique Deyerler (Valeurs) (http://www.deyerler.org/)
  • 7. Entretien avec Haji Ilgar Ibrahimoglu, Bakou 22 décembre 2012.
  • 8. Entretien avec Elshan Guliev et Elshan Mustafaoglu, Bakou, décembre 2012.
  • 9. Entretien en ligne avec Elshan Mustafaoglu, janvier 2013.
  • 10. Ibid.
  • 11. Moosa Matti, Extremist Shiites: The Ghulat Sects, Syracuse, Syracuse University Press, 1987.
  • 12. Entretien avec Kenan Rovshanoglu, Bakou, 21 décembre 2012.
  • 13. Sondage effectué par le Center for Economic and Political Research, à Bakou, résultats fournis et commentés par son vice-directeur, Hikmet Hajizade.
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