Mauritanie : la stratégie d'un ex-futur maillon faible

07/2013

Autant que le Niger et peut-être même davantage, la Mauritanie joue une partition délicate dans le conflit malien. Mais pour l’ex-futur maillon faible du Sahel, la gestion de la première partie de la crise a été satisfaisante, malgré les craintes initiales et les potentialités de contamination future qui demeurent réelles.

La position des autorités de Nouakchott reste délicate dans la situation actuelle. De longue date, elles avaient compris la nécessité d’une implication militaire internationale contre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et mesuraient les menaces réelles que représentait la situation au nord pour le pouvoir central de Bamako (surtout après la chute de Qaddafi). Aussi, le président Ould Abdel Aziz était en bonne posture face aux partenaires régionaux et internationaux concernés : le Niger, l’Algérie, la France, les Etats-Unis et même le Sénégal. Mais il y a seulement quelques années, la situation aurait été tout autre. En effet, on se souvient que la Mauritanie était alors le candidat initial et bien involontaire à une déstabilisation durable par les djihadistes saharo-sahéliens. Le pays avait d’ailleurs eu un long tête-à-tête avec le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, GSPC-AQMI, avec lequel le régime d’Amadou Toumani Touré ne semblait que vaguement compatir. Les responsables mauritaniens ne manquaient d’ailleurs aucune occasion de faire grief au régime déchu au Mali de sa passivité et de sa « complaisance intéressée» avec la montée d’un danger terroriste sur son territoire. La Mauritanie était alors frappée de plein fouet par le terrorisme dans des dimensions dont on avait peu pris conscience à l’époque, mais dont l’évocation actuelle est édifiante. C’est aussi cette période qui explique la posture du régime mauritanien d’aujourd’hui.

La Mauritanie : victime privilégiée du terrorisme saharo-sahélien ?

D’abord attaquée par des raids meurtriers du GSPC contre des garnisons isolées, la République Islamique avait également subi plusieurs offensives terroristes en plein centre de Nouakchott entre février 2007 et février 2011.

Le 24 décembre 2007, quatre touristes français étaient assassinés aux environs d’Aleg, à 250 kilomètres à l’est de Nouakchott. Les principaux auteurs du crime étaient arrêtés en Guinée-Bissau et extradés vers Nouakchott en janvier 2008. Le 27 décembre 2007, une attaque causait la mort de 3 personnes, près d’Al Ghallawiya, à l’extrême nord-est du pays. La concomitance des deux opérations était frappante.

Le 1er février 2008, un groupe armé attaquait l’ambassade d’Israël à Nouakchott ainsi que le restaurant-discothèque mitoyen. En avril 2008, un assaut des forces de l’ordre contre une cachette de terroristes localisée en plein quartier résidentiel de Nouakchott se soldait par trois morts (un officier de police et deux djihadistes) et donnait lieu à une course-poursuite avec échanges de coups de feu nourris en fin d’après-midi. En septembre 2008, douze militaires trouvaient la mort dans une attaque d’AQMI contre une patrouille positionnée à Tourine, toujours à l’extrême nord du pays (à 80 kilomètres au nord de la ville de Zouérate). Parmi les assaillants, il y avait, semble-t-il, au moins une dizaine de Mauritaniens1. Pour AQMI, il s’agissait sans doute de démontrer que la junte militaire qui avait renversé le 6 aout 2008 le régime « élu » de Sidi Ould Cheikh Abdallahi en dénonçant sa «faiblesse» face au terrorisme, ne pouvait guère mieux protéger l’immense territoire national (un million de kilomètres carrés). D’ailleurs, l’opération terroriste suivante devait constituer un véritable défi à la résolution affichée par les nouvelles autorités.

Le 23 juin 2009, en milieu de matinée, un ressortissant américain, l’évangéliste et humanitaire Christopher Legget, était assassiné près du marché du Ksar, au cœur même de la capitale. La chasse pour capturer les auteurs fut aussitôt lancée et aboutit à l’arrestation de plusieurs complices dont certains portaient des ceintures explosives. Par la suite, aux dires de la police, plusieurs cellules avaient été démantelées et le nombre de détenus « salafistes » ne devait cesser de croître au fil des enquêtes.

Le 29 novembre 2009, un convoi d’humanitaires catalans composé de quinze voitures était attaqué en pleine journée sur la principale route nationale du pays située entre la capitale politique, Nouakchott, et la capitale économique, Nouadhibou. Trois otages espagnols étaient enlevés et acheminés au nord du Mali. En décembre suivant, au sud-est, près de la frontière avec le Mali, un couple d’Italiens, Sergio Cicala, 65 ans et Philomène Kaboré, 39 ans, était enlevé, là encore, sur un axe routier important.

En février 2010, intervint la libération de Pierre Camate (enlevé au Niger), en échange de la libération par le Mali de quatre terroristes d’AQMI. Les autorités mauritaniennes et algériennes, dont des ressortissants activement recherchés avaient bénéficié de l’échange, critiquèrent vertement le régime malien pour avoir accepté la transaction. Qualifiant de "surprenante" la décision malienne de "remettre à une partie terroriste des Mauritaniens réclamés par la justice", le ministre des Affaires Etrangères jugea que "cette mesure non cordiale (...) porte atteinte aux relations séculaires existant entre les deux pays"2. Il est vrai que les Mauritaniens libérés, Hammada Ould, Ahmed Khairou et Idiis Ould Mohamed Lemine, étaient jugés « dangereux », à juste titre, puisque le premier fondait plus tard le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et que le second commettait l’attentat à la voiture piégé à l’extrême est du pays (voir infra).

La guerre entre la Mauritanie et AQMI entrait alors dans une phase décisive, où les affrontements directs avec l’armée et les prises d’otages occidentaux se banaliseront. En août 2009 et en août 2010, deux attentats suicides perpétrés par des nationaux membres d’AQMI frappaient respectivement l’ambassade de France et le camp militaire de Bassiknou près de la frontière malienne. En février 2011, un autre attentat était déjoué de justesse en face d’une autre garnison près de la capitale.

Une bénédiction déguisée ?

Pour l’armée mauritanienne, la menace terroriste perpétuelle a été une sorte de bénédiction déguisée puisqu’elle a amené les autorités à l’équiper, l’entraîner et la moderniser, en étroite collaboration avec les alliés occidentaux, France et Etats-Unis en tête.

Il est vrai, que contrairement à d’autres, et du moins depuis l’accession au pouvoir de Ould Abdel Aziz, la Mauritanie n’a jamais sous-estimé les potentialités conflictuelles de la situation au nord du Mali. De plus, elle est indirectement partie prenante dans les négociations sur l’avenir du pays. Outre qu’elle a été l’allié de la France dans ses raids de 2010 sur des camps d’AQMI pour libérer l’otage Michel Germaneau puis pour démanteler une base installée dans la forêt du Wagadu, Nouakchott conserve aussi de solides réseaux politiques et tribaux au-delà de la frontière. Des relations historiques existent entre les tribus «arabes » du Mali et le gouvernement de « la grande patrie des Maures ». Les liens avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), comme avec ses « ancêtres » des rébellions touarègues maliennes, sont anciens. Le nombre de réfugiés maliens en Mauritanie est certes impressionnant (on parle de cent dix mille personnes !) mais une bonne partie d’entre eux est constituée de politiciens arabo-berbères, touaregs et même songhaïs, qui font de Nouakchott leur refuge ultime conformément à une tradition remontant aux années 1970. Melainine Ould Badi, négociateur « arabe » décédé d’une crise cardiaque lors des pourparlers entre Maliens à Ouagadougou, était connu en Mauritanie davantage comme avocat local respecté que comme réfugié politique.

Un problème de politique intérieure

Si la crise malienne est une menace, elle a aussi été une ressource politique pour les autorités de Nouakchott. Dans toutes les phases de son déroulement, elle a permis au président Ould Abdel Aziz de se construire une image d’ennemi impitoyable du terrorisme et d’allié fiable des puissances occidentales. Et même si son opposition lui a reproché de chercher à mener une guerre « par procuration » pour le compte de l’Occident, sa position prudente dans le conflit et sa réticence (au demeurant toute nouvelle) à engager officiellement des troupes au Mali a définitivement corrigé cette image.

Si la Mauritanie s’est stabilisée au moment même où le Mali sombrait, c’est en partie explicable par l’impossibilité pour AQMI d’ouvrir plusieurs fronts en même temps, mais c’est aussi explicable par l’absence d’une rébellion mauritanienne, dans un contexte où les attaques préventives contre AQMI vont de pair avec les réformes engagées dans la politique de sécurité et qui ont porté leurs fruits. Par ailleurs, il faut rappeler que le pays a engagé un programme de dé-radicalisation entre 2009 et 2011. Des dizaines de jeunes salafistes auparavant emprisonnés ont bénéficié de ce programme, au demeurant modeste, mais qui a créé un choc psychologique sur la scène animée du radicalisme islamique. Les islamistes locaux du parti Tawassoul aussi bien que les dirigeants de la tendance salafiste locale, pourtant férocement opposés au pouvoir en place, n’a pas eu d’autre choix que d’y prendre part. Cela a permis de conduire une opération de réhabilitation des jeunes radicalisés et d’isoler les prisonniers coupables de crimes de sang. Mais, par-dessus tout, cela a ouvert une scène de débats sur la légitimité de la violence et sur la crise de la jeunesse ou le rôle de l’armée dans la société.

A la fin du mois de juin 2013, certains responsables mauritaniens laissaient entendre que le pays allait contribuer à hauteur de mille huit cent hommes à la force multinationale en cours de mise en place au Mali. A la même période, le Chef de l’Etat major des armées et le Premier ministre effectuaient une visite à Bamako dont l’objet n’a pas été précisé aux médias. Cette présence accrue est le signe ultime que la Mauritanie, jusqu’ici officiellement réservée quant à une implication directe de son armée dans conflit malien, ne peut plus nier le poids réel qu’elle est naturellement appelée à jouer dans un conflit qui menace toujours de se régionaliser.

Zekeria Ould Ahmed Salem, professeur à l’université de Nouakchott et chercheur associé au CERI, vient de publier Prêcher dans le désert, Islam politique et changement social en Mauritanie (Karthala, 2013).

  • 1. La Tribune, n°464, du lundi 10 août 2009.
  • 2. Cité dans «Le Mali libère quatre islamistes réclamés par Al-Qaida», Lemonde.fr /AFP, consulté le 22.02.2010.
Retour en haut de page