Gayatri Jai Singh Rathore

Le secteur indien des déchets électroniques a connu un processus de formalisation ces dernières années, grâce à la mise en oeuvre de règles de gestion des déchets électroniques (2016), ce qui a conduit à la création de ce que nous appelons le « régime de recyclage ». De fait, les classes moyennes et supérieures, les ONG et les acteurs de l’industrie, qui sont les premiers à avoir réfléchi aux politiques en matière de déchets électroniques en Inde, ont été poussés par une double motivation : le désir de voir émerger une ville de « classe internationale », propre et non polluée, et la saisie d’opportunités commerciales par l’accaparement de la valeur des déchets électroniques. Ne se substituant pas à l’Etat, ces acteurs l’ont toutefois coopté afin qu’il légifère en faveur de la protection de l’environnement et qu’il s’attaque aux problèmes de toxicité et de santé liés aux déchets électroniques. Le régime de recyclage repose sur des processus de formalisation intégrés dans de multiples technologies – technicité, installations couteuses, certifications, autorisations et licences – qui fonctionnent ensemble pour exclure le secteur « informel » du système de gouvernance de ces déchets électroniques. Les technologies de recyclage agissent comme des « technologies de domination » qui contribuent à mettre à l’écart le travail « informel » des ferrailleurs ou des e-kabadis, qui se trouvent déjà en marge de la société en raison de leur appartenance à la communauté musulmane. En définitive, toutefois, le régime de recyclage ne parvient pas à protéger l’environnement car les déchets électroniques finissent par retomber dans le secteur informel par l’intermédiaire d’acteurs autorisés.

Olivier Dabène (Dir.)

Amérique latine - L’Année politique 2020 est une publication de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) du CERI-Sciences Po. Elle prolonge la démarche du site www.sciencespo.fr/opalc en offrant des clés de compréhension d’un continent en proie à des transformations profondes.

Depuis les années 1980, les questions de droits humains, notamment économiques, sociaux et culturels, se sont progressivement imposées dans l'étude des causes de la pauvreté et des mesures qui permettraient de la réduire. Pourtant, force est de constater que les cas de non-respect, dénis et violations des droits humains n'ont pas sensiblement diminué. Les abus entraînés par le phénomène des acquisitions massives de terres agricoles dans les pays les plus pauvres de la planète en fournissent une bonne illustration. Dans ce contexte, les limites des principes volontaires sautent aux yeux, mais la revendication et la protection d'un droit contraignant, tel le droit à l'alimentation, offre des opportunités plus intéressantes pour les communautés locales et les acteurs qui les soutiennent.

La situation de la Russie a beaucoup évolué depuis l'époque de l'URSS et à la suite des réformes socioéconomiques menées en Russie au cours des vingt dernières années. Le système paternaliste étatique a été remplacé par un régime libéral dans lequel l'implication sociale de l'Etat est minime. Alors qu'à l'époque soviétique, l'écart était faible entre les plus hauts et les plus bas salaires et revenus, les inégalités sont aujourd'hui criantes et beaucoup plus accentuées que dans les autres pays européens. La pauvreté a également considérablement augmenté. Le minimum vital et les allocations sociales prévues par la législation sont aujourd'hui insuffisantes pour lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités.

La pauvreté est un phénomène qui se pose avec acuité au Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle, du Welfare State et de la contre-révolution néolibérale thatchérienne. L'article examine les approches utilisées pour mesurer la pauvreté, dresse un profil des populations les plus touchées, pour ensuite s'intéresser aux principales conséquences et aux réponses apportées par les pouvoirs publics depuis une quinzaine d'années. Plus récemment, la mise en œuvre d'un plan d'austérité draconienne sous le gouvernement de David Cameron accentue le phénomène de paupérisation en entraînant une augmentation de l'endettement des ménages les plus démunis. Cette situation a suscité un réveil des mouvements contestataires qui placent la lutte contre la pauvreté au cœur de leurs revendications.

Cet article se fonde sur l'ouvrage La disqualification sociale publié en 1991 et évalue les transformations majeures intervenues depuis cette date dans le champ de la pauvreté et de la précarité. Trois évolutions sont prises en compte : 1) le phénomène de la pauvreté touche désormais non plus seulement les personnes éloignées du marché de l'emploi et prises en charge au titre de l'assistance, mais aussi les salariés précaires dont il convient d'analyser la situation au regard des transformations des formes de l'intégration professionnelle ; 2) le rapport social à la pauvreté a aussi considérablement changé. Alors qu'il existait dans les années 1980 et 1990 un consensus sur l'impératif de s'acquitter de la dette nationale à l'égard des plus pauvres, les années 2000 ont été marquées par la montée de l'intolérance à l'égard des assistés, souvent considérés comme des paresseux et des profiteurs des aides sociales ; 3) la transformation du RMI en RSA a contribué enfin à instaurer ce que l'on peut appeler un nouveau régime de précarité assistée. En dépit de ces changements, il est possible de conclure que la pauvreté disqualifiante est désormais en France, comme dans d'autres pays européens, une configuration sociale durable.

Depuis la décennie 1980 et plus encore durant les années 1990, la transformation du champ de la lutte contre la pauvreté et l'affirmation de la société civile et des organisations non-gouvernementales (ONG) comme figures privilégiées de l'aide au développement a eu un impact significatif sur les objectifs poursuivis, les stratégies empruntées et les répertoires d'action des acteurs du développement. A partir d'une étude de ses promoteurs et de ses relais, cette contribution se propose d'explorer la rationalité politique du recours aux ONG et à la société civile comme double formule de développement et de démocratisation.

Malgré la montée en puissance de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud sur la scène internationale, et de leur catégorisation comme puissances émergentes, la lutte contre la pauvreté reste une priorité nationale dans chacun de ces pays. Dans ce cadre, plusieurs politiques et initiatives sont mises en oeuvre à la fois au niveau national et international : le forum IBSA qui regroupe ces trois émergents en est un exemple. Né en 2003, cette nouvelle coopération Sud-Sud (Inde, Brésil, Afrique du Sud) se fait le relais des priorités nationales et des intérêts communs de ses membres pour la résorption de la pauvreté au niveau interne mais aussi international. Leur coopération passe par des échanges trilatéraux et la conduite de projets de développement communs dans d'autres pays en développement via le fonds IBAS pour la lutte contre la faim et la pauvreté. Malgré ses limites, elle participe à l'affirmation et à la quête d'autonomie et à la légitimation de ses membres comme nouvelles puissances.

Les programmes sociaux de transferts monétaires conditionnels ont modifié la politique sociale du Brésil. Cet article analyse l'évolution des politiques publiques contre la pauvreté ainsi que les défis que devra affronter le pays à l'avenir. La première décennie du XXIe siècle a été marquée par la diminution de l'inégalité et de la pauvreté ; il est désormais essentiel d'améliorer la qualité des services publics pour que les bénéfices de la croissance du Brésil profitent à tous les Brésiliens.

Cette contribution propose une visite guidée des principaux axes de la recherche économique sur les relations entre éducation, inégalités et pauvreté: la théorie du capital humain comme cadre analytique et les principales estimations empiriques auxquelles elle a donné lieu; les inégalités constatées dans l'accès à l'éducation et les problèmes de discrimination; le rôle du marché du travail et enfin, le lien entre éducation et croissance économique. Les exemples que nous utilisons sont tirés principalement de l'expérience des pays en développement et des pays dits émergents. Une bibliographie relativement fournie permet de poursuivre l'exploration de cette question.

Tous les indicateurs socio-économiques de ces dernières années montrent que la pauvreté aux Etats-Unis n'est plus un phénomène qui touche essentiellement les minorités et les mères célibataires, confinées dans des ghettos urbains. Beaucoup de familles, paisiblement installées dans les banlieues huppées, se sont retrouvées marginalisées par le chômage et la saisie immobilière. La politique sociale, dont les orientations globales avaient été définies par le président Clinton (par la réforme de 1996) et par le président W. Bush (avec ses Faith-Based Intitatives), est aujourd'hui incapable de faire face à des problèmes sociaux d'une ampleur sans précédent depuis les années 1930. Le président Obama, de son côté, s'est attaqué à la question du chômage, des saisies immobilières et de la santé mais les mesures qu'il a prises ont un effet plutôt marginal sur la nature et l'étendue de la pauvreté. Par ailleurs, les pauvres ont disparu du discours officiel laissant accroire qu' Obama, par peur de perdre l'électorat blanc, ne souhaite pas devenir le candidat des pauvres et des Africains Américains.

Les enjeux liés à la politique de cohésion se sont multipliés ces dernières années. Cet article s'attache à montrer la contribution du Fonds social européen à la cohésion européenne mais également ses limites. Il analyse en effet dans quelle mesure l'Union européenne peut peser et accompagner le développement social inclusif des territoires alors même que les compétences en matière sociale relève du niveau national et que la construction de l'Union s'est avant tout fondée sur des considérations économiques. Le texte interroge la valeur ajoutée du Fonds social européen et la question de la gouvernance entre les différents niveaux d'intervention.

La mise sur agenda de la lutte contre la pauvreté à la Banque mondiale et au PNUD s'inscrit dans le temps long des politiques de coopération depuis les années 1970. Après deux décennies d'ajustements structurels et de programmes de désendettement (1996 et 1999), l'efficacité de l'aide a été amplement remise en cause. En réaction, les Objectifs du millénaire et l'insistance des bailleurs de fonds pour une plus grande efficacité de l'aide ont transformé les programmes de développement en programmes de lutte contre la pauvreté. Cet article analyse le développement des indicateurs, instruments d'analyses et modèles entourant les programmes de lutte contre la pauvreté. L'émergence de ces instruments techniques n'a pas marqué de réelle rupture dans l'élaboration des politiques mises en œuvre. Les soi-disants fondements démocratiques aux programmes ne favorisent guère le débat politique sur les causes de la pauvreté et des inégalités.

Ce texte analyse les dynamiques des mouvements sociaux dans les revendications liées à la lutte contre la pauvreté en Afrique. Il montre comment l'accroissement de l'activisme des organisations n'a eu qu'un impact direct limité au cours de ces dernières décennies sur la lutte contre la pauvreté. L'internationalisation de des revendications des mouvements sociaux a fait progressivement émerger une société civile internationale extrêmement active sur le terrain de la lutte contre la pauvreté et à laquelle les organisations africaines ont pris une part de plus en plus grande. Cette participation renouvelle les idées et les modes d'action sur les terrains d'intervention à l'échelle locale. L'article établit un état des lieux du militantisme des mouvements sociaux, s'intéresse à la lutte contre la pauvreté, thème qui émerge que lentement au sein de ces organisations à la faveur du déplacement et du renouvellement des terrains en lien direct avec leur implication dans les luttes qui prennent forme dans les arènes internationales.

Erigée en « championne des Objectifs du millénaire pour le développement » de par sa contribution majeure au recul de l'effectif de population en situation de grande pauvreté dans le monde, la Chine est plus que jamais confrontée à d'importants défis sociaux : chômage, condition des migrants ruraux, application de standards minimaux de travail décent, mise en place d'un système de protection sociale couvrant l'ensemble de la population... Il y a trente ans, « permettre à quelques-uns de s'enrichir en premier » avait été encouragé dans l'espoir de créer un effet d'entraînement susceptible de produire les conditions d'une prospérité générale. Face à l'aggravation des inégalités, l'accent a été mis sur le rééquilibrage du modèle de développement chinois et la « construction d'une société harmonieuse », passant notamment par la mise en œuvre de nouvelles politiques sociales, voire par la collaboration entre les autorités locales et le « tiers secteur ».

Les deux dernières décennies ont marqué l'extension d'un débat public global sur la pauvreté qui a fait naître de nouvelles définitions et constructions politiques et sociales. Ce texte aborde cette discussion en considérant la dimension géopolitique de la pauvreté et de la construction de programmes alternatifs et de résistances. Il analyse notamment le concept de souveraineté alimentaire, sa viabilité et sa visibilité rendue possible par l'internationalisation croissante des mouvements sociaux paysans, principaux acteurs dans ce processus.

L'Inde est à la fois un des pays où le taux de croissance est le plus élevé au monde et celui où le nombre de pauvres est le plus important. Ce paradoxe - dont les termes varient suivant les critères que l'on adopte pour définir la ligne de pauvreté - s'explique par le caractère très inégalitaire d'une trajectoire en forme de croissance sans développement. Cette pauvreté de masse frappe moins les villes (où les musulmans en sont toutefois parmi les premières victimes) que les campagnes en général et les Dalits (ex-intouchables) et les Adivasis (aborigènes) en particulier, notamment dans une vaste zone située au Nord et à l'Est de l'Inde. Dans cette région, lorsqu'en,outre, les aborigènes sont victimes de l'exploitation des ressources minérales dont regorgent leurs territoires, le mouvement maoïste s'étend. A ce titre - entre autre - la pauvreté constitue un immense défi politique pour la démocratie indienne.

Les révoltes qui secouent le monde arabe depuis la fin 2010 illustrent le sentiment d'injustice au sein des sociétés de cette partie du monde. Alors que leur population a triplé lors du dernier demi siècle, les pays du Maghreb, pétroliers ou non, ont été incapables de produire un système politique susceptible de prendre en charge les doléances sociales. Avec la fermeture des frontières, l'émigration ne peut plus remplir sa fonction d'exutoire, aussi les plus jeunes - diplômés ou non - sont contraints pour améliorer leur sort de prendre la parole et de dénoncer la concentration des richesses au profit d'une minorité, la corruption et la précarité dans laquelle ils se trouvent. La question sociale constitue au Maghreb un enjeu politique fondamental et la victoire des partis islamistes confirme le besoin, dans la région, d'une plus grande attention aux doléances sociales.

Pourquoi partent-ils ? A cette question, tout un chacun répond généralement parce qu'ils sont pauvres et/ou qu'ils n'ont pas de travail. La pauvreté joue sans doute un rôle déterminant dans les migrations internationales mais est loin de suffire à les expliquer. Par ailleurs, l'importance des montants des transferts de fonds émanant des émigrés vers leur pays d'origine laisse à penser aux institutions internationales et aux Etats qu'ils pourraient participer au développement. L'exemple des ressortissants maliens en France analysé dans cet article appelle à repenser les notions de pauvreté et de richesse au-delà de leur acception économique.

Les campagnes françaises sont aujourd'hui très majoritairement peuplées d'actifs peu qualifiés ouvriers et employés (7% d'agriculteurs seulement) et de non actifs modestes. Le taux de pauvreté rurale dépasse 15% dans plus du tiers des départements. Compte tenu de services sociaux et de transports déficitaires, la recherche d'emploi y est très difficile, notamment pour les jeunes et les femmes ; de véritables « trappes à pauvreté » et « zones de relégation » apparaissent. Le développement rural n'est guère favorisé par l'arrivée à la campagne de nombreux ménages modestes ou pauvres, rejetés hors zones urbaines notamment par le coût du logement.

En Colombie, l'élection présidentielle de 2010 a suscité une polémique sur l'effet des programmes sociaux sur le comportement électoral. Des voix venues de l'opposition et de la société civile ont accusé le gouvernement d'utiliser ces programmes de manière clientéliste au profit du candidat soutenu par le président sortant (et vainqueur du scrutin), Juan Manuel Santos. L'hypothèse d'un biais introduit par le programme Familias en Acción au profit de Santos peut être soutenue mais celui-ci n'a cependant pas été déterminant au point d'expliquer le résultat final de l'élection présidentielle. Il n'en reste pas moins que ce type de politiques publiques d'aide sociale conditionnée, de plus en plus populaires en Amérique latine, doit être sérieusement encadré pour éviter son utilisation à des fins électorales.

Le texte propose tout d'abord une description du positionnement du Nordeste dans les inégalités nationales. Les Etats qui composent cette région présentent les indicateurs de pauvreté les plus élevés, les plus faibles niveaux de développemen et les inégalités les plus importantes au sein du Brésil. La suite de l'article est consacrée à l'analyse du positionnement du Nordeste dans les rapports de pouvoir, les équilibres économiques nationaux, les circulations humaines et les imaginaires nationaux brésiliens. L'attention est portée, dans un premier temps, au processus de construction historique de la position périphérique de cette région, marquée, d'une part, par la force des oligarchies conservatrices et une riche histoire de mobilisations contestataires et d'autre part, par les politiques d'aménagement du territoire menées depuis la capitale fédérale. Dans un second temps sont abordées les continuités et transformations des rapports de domination propres à cette région, avec une mise au point sur les politiques actuelles de lutte contre la pauvreté et quelques éléments de débats sur la redéfinition participative des politiques de développement.

Deux catégories de population pauvre existent en Chine : celle des zones rurales, la plus démunie et la plus vaste, et celle des villes, constituée principalement de migrants. Ceux-ci, paysans venus chercher du travail et une opportunité d'améliorer leurs conditions de vie en zone urbaine, représentent aujourd'hui entre un quart et un tiers de la population des grandes villes chinoises et près de 20% de la population totale du pays. Les différences de revenu et de mode de vie existent dans toutes les sociétés urbaines, développées ou en développement. Mais le cas chinois est particulièrement marquant pour deux raisons : l'ampleur du décalage et le nombre de personnes concernées. Les migrants constituent une part significative de la population active et vivent différemment des autres citadins. Avec eux émerge une nouvelle catégorie sociale qui n'existe nulle part ailleurs, résultat d'un exode rural massif dans le pays le plus peuplé du monde.

L'article rappelle d'abord les méthodes de mesure des inégalités économiques dans le monde. Il donne ensuite les principaux résultats des recherches les plus récentes visant à mesurer ces inégalités et leur évolution. Puis il pose les termes du débat qui se déploie depuis vingt ans sur les liens entre la globalisation, la pauvreté et les inégalités. Pour finir, il aborde plus en détail la question de la désindustrialisation en Europe et de ses effets inégalitaires

L'article parcourt six décennies d'aide au développement et de lutte contre la pauvreté, montrant le passage d'une appréhension globale des « pays pauvres » à une prise de conscience croissante des disparités entre pays et des stratifications et inégalités sociales au sein de chacun d'entre eux. Sont couvertes des périodes aussi différentes que les débuts de la guerre froide et de la décolonisation, les grandes décennies du développement des années 1960 et 1970, sous influence des idées keynésiennes, jusqu'à l'hégémonie du néolibéralisme et finalement la proclamation des Objectifs du millénaire pour le développement en 2000. Cette lecture révèle la récurrence de débats sur le volume de l'aide, son efficacité, ses critères de ciblage, les effets d'opportunisme des pays donateurs comme des bénéficiaires et le maintien dans la dépendance des pays « en développement ». Ce parcours conduit à s'interroger sur la fonction de l'aide au développement dans les relations internationales : instrument performant de lutte contre la pauvreté ou de contrôle de menaces réelles ou imaginaires en provenance des pays pauvres et ainsi du maintien de la paix et du statu quo entre puissants ?

Cet article s'intéresse à la façon dont la pauvreté a été historiquement abordée par les sciences sociales. Il apparaît que les recherches existantes peuvent se classer selon quatre types d'approches. Il s'agit d'abord de définir la pauvreté. Savoir qui est pauvre est une question théorique et politique de première importance. Ensuite, l'analyse de la pauvreté semble intimement liée à celle de l'assistance. Toutes deux ont souvent été étudiées de concert. Le troisième type d'approche, plus débattu, observe la pauvreté sous le prisme de la culture qu'elle engendre et qui l'engendrerait. Enfin, la sociologie de la pauvreté s'accompagne toujours d'une sociologie générale et d'une théorie du rapport entre les groupes sociaux.

Malgré les progrès des statistiques internationales et la priorité affichée des organisations internationales à lutter contre la pauvreté, la quantification de la pauvreté demeure difficile. Cet article étudie la composition des principaux indicateurs relatifs à la pauvreté, analyse le contexte de leur élaboration et compare leur pertinence. Les fréquents usages détournés des indicateurs les plus notoires (PIB et RNB, IDH) masquent leur véritable nature : des comptes ou des valeurs moyennes calculées au niveau de l'habitant qui ne donnent qu'une évaluation trop partielle. Par ailleurs, des indicateurs plus spécifiques sont élaborés : certains ne retiennent que la composante monétaire (seuils de pauvreté, absolus ou relatifs) tandis que d'autres tentent de synthétiser en un seul indicateur les multiples dimensions des privations (IPM). Les tableaux de bord d'indicateurs distincts (ou dashboards dont les OMD s'inspirent), s'ils permettent de conserver l'exhaustivité des nuances de la pauvreté, rendent difficiles toute vision globale et toute interprétation.

Introduction du Ceriscope Pauvreté, publication scientifique en ligne du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) réalisée en partenariat avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po.

Le mouvement maoïste s'est développé en Inde à partir de la fin des années 1960 à la faveur du recentrage du Communist Party of India (Marxist) qui lui a ouvert un espace politique en abandonnant le combat révolutionnaire. Les maoïstes, également appelés naxalistes, ont été victimes au début des années 1970 d'un factionnalisme intense et d'une répression sévère qui a conduit les militants à se replier sur la zone tribale de l'Andhra Pradesh et du Bihar, les deux poches de résistance du mouvement dans les années 1980. Cette stratégie explique non seulement la transformation de la sociologie du maoïsme indien (qui, d'abord porté par des élites intellectuelles est devenu plus plébéien) mais aussi son retour en force à partir des années 1990. Cette décennie marquée par la libéralisation économique voit en effet la mise en valeur agressive des ressources minières de la zone tribale en question au mépris des droits de ses habitants. L'essor du maoïsme dans les années 2000 s'explique toutefois aussi par un retour à l'unité, sous l'égide du Communist Party of India (Maoist) créé en 2004. Face à ce phénomène qui touche maintenant la moitié des Etats indiens, le gouvernement de New Delhi tend à opter de nouveau pour la répression alors que les maoïstes se veulent les défenseurs d'un Etat de droit plus juste.

Irène Bono

Au Maroc, la « participation » renvoie aux prétendues vertus de la « société civile » et est implicitement perçue comme une panacée. Le lancement en 2005 de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), programme de lutte contre la pauvreté qui entend intégrer toute la population, représente le symbole de ce phénomène participatif. Fondée sur une analyse des normes et styles d’action, la démarche suivie ici entend reconstituer la logique interne du « phénomène participatif » et, simultanément, le remodelage du politique qu’il engendre. La promotion de certains styles par la mobilisation de techniques issues des politiques publiques dites participatives transforme les critères et les processus de légitimation politique en faisant apparaître de nouveaux clivages sociaux. La valeur morale attribuée à la participation permet en outre d’euphémiser, de sublimer, voire de justifier la violation d’autres normes sociales, économiques et politiques. La mise en oeuvre de l’INDH à El Hajeb met en lumière l’appareil idéologique complexe sur lequel se base la construction des sujets de la participation, ainsi que leur rôle actif et créatif dans les configurations politiques qui tirent leur légitimité de la valorisation de la participation.

Damien Krichewsky

La stratégie de développement post-interventionniste, adoptée dès le milieu des années 1980 par le gouvernement indien, a permis aux entreprises d’accroître considérablement leur participation à la croissance économique du pays. Cependant, les bénéfices de la croissance sont très inégalement répartis, alors même que les externalités sociales et environnementales des entreprises pèsent de plus en plus lourd sur la société indienne. Dans ces conditions, face à un régulateur public qui allège les contraintes juridiques sociales et environnementales susceptibles d’entraver une croissance rapide des investissements, de nombreuses organisations de la société civile renforcent et multiplient leurs actions de régulation civile des entreprises, tout en plaidant pour un rééquilibrage de l’action publique en faveur d’une plus grande protection des groupes sociaux affectés par les entreprises et une préservation plus effective de l’environnement. En réponse, les grandes entreprises indiennes révisent leurs stratégies et pratiques de RSE (responsabilité sociale d’entreprise), afin de protéger leur légitimité sociale et de préserver l’attitude conciliante des pouvoirs publics. A travers une analyse détaillée des enjeux et des dynamiques qui animent la régulation publique, la régulation civile et l’autorégulation des entreprises, la présente étude rend compte d’une recomposition des relations et des rapports de force entre les acteurs du marché, l’Etat et la société civile sur fond de modernisation du pays.

La crise du Darfour a permis de mettre en lumière des crises irrésolues sur ses frontières au Tchad et en République centrafricaine. Le point commun de ces différents conflits est sans doute l’existence de mouvements armés transnationaux qui survivent et se recomposent dans les marges qu’autorisent les dynamiques étatiques dans la région, ainsi que les apories des politiques de résolution des conflits de la communauté internationale – apories redoublées par les choix de certaines grandes puissances. Une analyse de la conjoncture en Centrafrique et de l’histoire de certains mouvements armés, inscrits dans cet espace régional, plaide pour une approche moins conventionnelle des politiques de sorties de crise. Elle met en exergue une zone centrée sur la Centrafrique et ses frontières avec les pays voisins comme véritable site d’analyse du factionnalisme armé depuis les indépendances, ainsi que des trajectoires spécifiques de construction étatique.

Chloé Froissart

Le hukou est un système d’enregistrement et de contrôle de la population instauré à l’époque maoïste pour servir le projet de développement socialiste. Il a créé une division durable entre les villes et les campagnes et donné naissance à un système de statuts en contravention avec la Constitution chinoise qui stipule l’égalité des citoyens devant la loi. Son maintien en dépit de la réintroduction du marché explique la formation d’une nouvelle catégorie sociale : les travailleurs migrants qui représentent une réserve de main-d’oeuvre qui tire la croissance chinoise. L’habileté avec laquelle cette institution communiste a été adaptée pour répondre aux mutations socio-économiques du pays contribue largement à expliquer le maintien du PCC au pouvoir. Le hukou permet de gérer le développement en maîtrisant l’urbanisation et en favorisant une industrialisation rapide au moindre coût pour l’Etat. Dans la mesure où l’accélération des réformes dont il a fait l’objet ces dernières années maintient l’inégalité des citoyens, le hukou continue de servir la stratégie du Parti qui consiste à diviser pour mieux régner. Ces réformes remettent cependant en cause le système de statuts codifié à l’époque maoïste et, tout en instaurant une plus grande mobilité sociale, contribuent à rallier les élites au pouvoir. Ce système constitue donc toujours la clé de voûte d’un régime autoritaire dont il sert les deux priorités : maintenir la stabilité sociale et un fort taux de croissance.

Zuzanna Olszewska

Si l’émigration afghane est le fruit de la conjoncture sociopolitique – sècheresses, changements de régime, guerres – et de la structure économique – pastoralisme, cycles saisonniers des activités productives –, elle s’inscrit dans un continuum historique de mouvements récurrents de populations à l’échelle de la région. De nombreux Afghans, notamment mais non exclusivement hazara, ont fait souche en Iran depuis la fin du XIXe siècle. Leur présence dans ce pays s’est intensifiée dans les années 1970, à la suite du boom pétrolier iranien et de la sècheresse en Afghanistan, puis des bouleversements politiques que ce pays a connus depuis 1978. La politique de la République islamique à l’égard des Afghans a été à la fois changeante et incohérente ; elle s’est désormais donné pour but leur rapatriement, dans un climat de xénophobie à la fois officielle et populaire. Pourtant, la présence afghane sur le sol iranien semble irréversible : elle satisfait des besoins économiques, exprime l’intensité des échanges commerciaux entre les deux pays, constitue une réalité sociale transfrontalière complexe. Enfin, elle nourrit un débat public et juridique sur la définition de la citoyenneté et paraît inhérente à l’idée nationale iranienne elle-même..

Anne Rulliat

Durement touchée par les restructurations des entreprises d’Etat dès le début des années 1990, la municipalité de Shanghai est à l’avant-garde des politiques de lutte contre le chômage à tel point que l’on désigne souvent ses réussites par l’expression « le modèle de Shanghai » (Shanghai moshi). La ville connaît un chômage multiforme depuis le début des années 2000 : il ne concerne plus seulement les ouvriers des entreprises d’Etat, mais toutes les catégories de la population et notamment les jeunes. Partant de l’expression de « modèle de Shanghai », cette étude décrit la genèse du chômage à Shanghai et l’origine des mesures adoptées depuis plus de dix ans. Du chômage structurel massif des années 1996-1997 au chômage plus conjoncturel de ces dernières années, la municipalité a développé tout un arsenal de programmes en évolution constante. Parmi eux, on distingue des mesures propres au cas chinois, et adaptées à l’organisation de la société, mais aussi un grand nombre de mesures similaires à celles adoptées dans les pays de l’OCDE. Contredisant le discours libéral de marchandisation du travail, ces mesures témoignent d’un volontarisme étatique fort dans les politiques de l’emploi. Le maintien de la stabilité sociale joue ici le rôle de « mètre étalon » pour évaluer l’efficacité des politiques publiques.

François d'Arcy

S'interrogeant sur les chances de réussite du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, cette étude part de l'idée que le principal obstacle réside dans la structure du système politique brésilien. Faute de pouvoir le réformer, le président Lula a su, non sans habileté, s'y adapter, au prix cependant d'alliances hétérogènes. Respectant par ailleurs ses engagements de campagne, qui lui avaient permis d'être élu après trois échecs consécutifs, il a maintenu une politique de lutte contre l'inflation et de stricte discipline budgétaire, ainsi que de respect des contrats concernant tant la dette publique que les entreprises issues des privatisations. Cette politique macroéconomique, dans la continuation de celle de Fernando Henrique Cardoso, a dominé la première année de son gouvernement, retardant la mise en place de nouvelles politiques sociales ou de développement durable. Telles que celles-ci se dessinent, elles sont davantage marquées par la continuité que par la rupture, ce qui est sans doute le gage de leur réussite.

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