Malgré la montée en puissance de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud sur la scène internationale, et de leur catégorisation comme puissances émergentes, la lutte contre la pauvreté reste une priorité nationale dans chacun de ces pays. Dans ce cadre, plusieurs politiques et initiatives sont mises en oeuvre à la fois au niveau national et international : le forum IBSA qui regroupe ces trois émergents en est un exemple. Né en 2003, cette nouvelle coopération Sud-Sud (Inde, Brésil, Afrique du Sud) se fait le relais des priorités nationales et des intérêts communs de ses membres pour la résorption de la pauvreté au niveau interne mais aussi international. Leur coopération passe par des échanges trilatéraux et la conduite de projets de développement communs dans d'autres pays en développement via le fonds IBAS pour la lutte contre la faim et la pauvreté. Malgré ses limites, elle participe à l'affirmation et à la quête d'autonomie et à la légitimation de ses membres comme nouvelles puissances.

Ce texte analyse les dynamiques des mouvements sociaux dans les revendications liées à la lutte contre la pauvreté en Afrique. Il montre comment l'accroissement de l'activisme des organisations n'a eu qu'un impact direct limité au cours de ces dernières décennies sur la lutte contre la pauvreté. L'internationalisation de des revendications des mouvements sociaux a fait progressivement émerger une société civile internationale extrêmement active sur le terrain de la lutte contre la pauvreté et à laquelle les organisations africaines ont pris une part de plus en plus grande. Cette participation renouvelle les idées et les modes d'action sur les terrains d'intervention à l'échelle locale. L'article établit un état des lieux du militantisme des mouvements sociaux, s'intéresse à la lutte contre la pauvreté, thème qui émerge que lentement au sein de ces organisations à la faveur du déplacement et du renouvellement des terrains en lien direct avec leur implication dans les luttes qui prennent forme dans les arènes internationales.

Rehana Ebrahim-Vally, Denis-Constant Martin

L’apartheid fut édifié sur la base de perceptions du corps justifiant leur classification hiérarchique. Il visait à séparer les personnes porteuses d’apparences physiques différentes de manière à préserver la pureté de la « race blanche » et sa domination en Afrique du Sud. Le corps, par conséquent, offre une entrée pertinente pour comprendre les changements qui se sont déroulés en Afrique du Sud depuis 1990 en tâchant d’aller audelà de la surface des phénomènes observables, en essayant de faire surgir les représentations de ces changements que se sont forgées les Sud-africains. Cette étude présente une enquête expérimentale visant à comprendre les représentations de la « nouvelle » Afrique du Sud qui ont cours parmi les jeunes Sud-africains au commencement du 21ème siècle. Elle part du principe que la mise au jour et l’analyse des représentations sociales exige, au moins au stade initial, l’utilisation d’entretiens de groupe non-directifs ; elle montre que les images du corps telles que projetées dans des publicités télévisuelles peuvent servir de consignes efficaces pour démarrer des entretiens portant sur l’état de la société sud-africaine au début des années 2000. Quatre clips publicitaires diffusés à la télévision sud-africaine en 2003 furent sélectionnés pour les besoins de cette enquête et utilisés comme « consigne » pour lancer trois entretiens collectifs avec des jeunes Sud-africains, auxquels fut ajouté un entretien de contrôle avec des étudiants français. Ces publicités furent analysées en s’inspirant des méthodes de la sémiologie du cinéma ; les transcriptions des entretiens, à l’aide des méthodes proposées par Guy Michelat et ses collègues du CEVIPOF (FNSP, Paris). Les résultats de cette expérience indiquent que, si les transformations qu’a connues l’Afrique du Sud depuis 1990 sont, chez les jeunes interviewés, unanimement considérées comme positives, elles sont perçues avec ambivalence et éveillent parfois des sentiments contradictoires. L’avenir de l’Afrique du Sud est, dans le même temps, envisagé avec beaucoup d’optimisme et d’angoisse ; les relations entre Sud-africains sont à la fois décrites comme harmonieuses et vécues dans une grande tension. Ce sont ces ambivalences et tensions que permet de mieux faire émerger l’utilisation d’entretiens de groupe non-directifs démarrés par la projection de publicités télévisuelles.

Ivan Crouzel

En Afrique du Sud, la transition négociée qui vise à la construction d’un ordre politique postapartheid a conduit à une transformation radicale de l’Etat. Un enjeu central de cette refondation était relatif à la forme territoriale du nouvel Etat. Les négociations constitutionnelles se sont traduites par la production d’un système hybride de type fédéral qui consacre un renforcement marqué de la sphère du gouvernement local, notamment pour en faire un contrepoids aux neuf provinces. Dans le même temps, un mode plus fluide de relations intergouvernementales a été introduit avec le principe du « gouvernement coopératif ». En rupture avec le système centralisé de l’apartheid, le gouvernement local est consolidé par un nouveau statut constitutionnel, qui lui garantit notamment une « part équitable » du revenu national. Il permet également la représentation des municipalités au niveau central à travers une organisation nationale du gouvernement local qui participe à différentes structures de relations intergouvernementales. Le nouvel espace d’autonomisation ainsi accordé au gouvernement local se heurte cependant à la pratique centralisatrice des relations intergouvernementales. Dans le contexte sud-africain, le gouvernement coopératif se révèle être un vecteur de consolidation du pouvoir national. Cette logique est également accentuée par la configuration du système de parti sud-africain. La position dominante de l’ANC à tous les échelons de gouvernement a ainsi un impact centralisateur sur la gestion des relations centre-périphérie. Pourtant, cette dynamique résulte en partie d’une centralisation « par défaut » liée à la faiblesse institutionnelle des gouvernements sub-nationaux. L’utilisation par les municipalités de leur nouvel espace constitutionnel dépend donc étroitement des capacités dont elles disposent, traduisant ainsi une dynamique d’autonomisation asymétrique. Faute de ressources propres, les municipalités rurales demeurent fortement dépendantes du gouvernement central. Au contraire, les métropoles parviennent à renforcer leur pouvoir et à se positionner en concurrentes de certaines provinces, devenant des acteurs centraux des relations intergouvernementales.

Denis-Constant Martin

Les mouvements politiques qui ont animé récemment l'Europe de l'Est et l'Afrique sub-saharienne posent une fois encore la question des conditions et des modalités du changement politique. Ils soulèvent notamment le problème du rapport entre des phénomènes qui perdurent, manifestant une continuité des sociétés en certains de leurs traits au moins, et d'autres phénomènes qui bouleversent, faisant éclater dans l'immédiat le changement. Les interprétations présentées, d'un côté, en termes de "retour à une identité bafouée", de "retrouvailles" avec le passé ou, de l'autre, sous l'angle du "tribalisme" ou du "réflexe clanique" n'aident guère à comprendre mieux comment interagissent phénomènes de longue durée et phénomènes éphémères.
Ce texte propose quelques pistes pour tenter de dépasser leur opposition, pour éviter d'en privilégier certains au détriment d'autres. Il suggère que l'imprégnation culturelle des systèmes, des pratiques et des représentations politiques peut être reconstruite analytiquement dans le concept de "culture politique". Celui-ci fait une large place aux dynamiques (impulsant l'innovation politique) tout en prenant en compte la complexité des transmissions (assurant la continuité). Il suppose que la continuité nourrit l'innovation en s'attachant plus particulièrement à l'étude de trois couples de forces : la dialectique des dynamiques du dehors et des dynamiques du dedans, la dialectique de l'affectivité et de la rationalité, la dialectique de la tradition et de l'innovation ; couples de forces dont le jeu doit être observé aussi bien dans les "lieux officiels" du politique que dans les lieux apparemment non politiques, mais qui peuvent être "investis" par le politique

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