n° 56 | Art chinois | Estelle Bories

Estelle Bories qui a fait sa thèse de doctorat à Sciences Po sur la question revient pour nous sur le contexte historique dans lequel l’art chinois contemporain a émergé. Elle s’intéresse aux origines de l’avant-garde chinoise, au mouvement de la gravure sur bois et à une vision internationaliste adoptée par l’écrivain Lu Xun dans les années 1930, tout cela dans le souci de compréhension des questions de références et d’égalité qui se posent depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui.

Laurence Bertrand Dorléac
Séminaire de la Fondation Hartung Bergman, juin 2012

Différents aspects de la passion égalitaire dans l'art moderne et contemporain chinois

Estelle Bories

La question de l’égalité dans l’art moderne et contemporain chinois est souvent associée au renversement du rapport de force qui avait fait de la modernité une affaire d’occidentalisation du monde. Récemment, le collectionneur suisse d’art contemporain chinois, Uli Sigg, a fait savoir qu’il léguait au futur musée Hongkongais, le M+, près de 1 500 œuvres. L’édification de cette structure muséale d’envergure, qui se veut l’égale du MoMA, a pour finalité d’offrir une place d’égale importance aux avant-gardes chinoise et occidentale et d’imposer  une nouvelle historiographie.

http://leapleapleap.com/2010/12/woodcuts-in-modern-china-1937-2008/
Song Guangxun, Brave chinese women (portrait of Lu Xun), 1974, woodcut printed with oilbased ink, 43,2×54,3cm.

Afin de comprendre ce mouvement, il nous faut revenir sur ce que Tang Xiaobing  nomme « les origines de l’avant-garde chinoise » à savoir le mouvement de la gravure sur bois, et sur la vision internationaliste adoptée par l’écrivain et essayiste Lu Xun dans les années 1930[ref]X. B. Tang, Origins of the Avant-Garde : the Modern Wood cut Movement, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 2000.[/ref]. La réflexion autour de l’internationalisation des références sera d’une importance considérable tout au long du XXe siècle et conditionnera les débats autour de l’égalité. Deux artistes contemporains exilés (Huang Yongping et Cai Guoqiang) transcenderont le sentiment de décalage et d’inégalité de traitement vis-à-vis de l’avant-garde occidentale, pour le premier, en rejouant la filiation taoïste du mouvement Dada et, pour le second, en élaborant une différenciation culturelle structurante.

Lu Xun et le Mouvement de la gravure sur bois : la prise de conscience des inégalités

http://www.spencerart.ku.edu/exhibitions/radicalism/liyitai.shtml
Li Yitai, Marxism is the Most Lucid and Lively Philosophy, Portrait of Lu Xun, 1974, woodcut, oil based ink on Chinese paper, Spencer Museum of Art, The University of Kansas.

L’écrivain et essayiste Lu Xun reste une référence incontournable dans l’historiographie de l’art moderne et contemporain chinois[ref]Lu Xun (1881-1936), originaire du Zhejiiang, est issu d’une famille d’enseignants affiliés à la dynastie Qing et qui a souffert de disgrâce à la fin de leur règne. Malgré des études de médecine qu’il poursuit lors de son séjour au Japon, en 1902, c’est vers la littérature qu’il s’oriente. A son retour du Japon, il occupe différents postes dans l’éducation (époque de renouvellement des institutions par Cai Yunpei) et il s’implique dans le mouvement du 04 mai 1919. Il arrive à Shanghai en 1927 et s’associe à la création de la Ligue des écrivains de l’aile gauche (zhongguo zuoyi zuojia lianmeng). En sus de ses activités de traducteur, d’enseignant, d’écrivain et d’essayiste, il édite des revues. L’un des épisodes qui marquera une rupture entre Lu Xun et le Parti communiste chinois se déroule à la fin de sa vie. A la suite de l’invasion japonaise, le Parti communiste chinois veut établir un front uni en accord avec les directives du Komintern. Sous la houlette de Wang Ming et Zhou Yang qui s’occupent du secteur de la culture, les cadres du Parti veulent un front uni dans l’optique de développer une littérature pour la défense nationale. Lu Xun et ses camarades  de la ligue des écrivains de gauche s’opposent à une décision qui irait dans le sens d’une uniformisation idéologique. Après différentes manigances orchestrées par Zhou Yang – que Lu Xun critique vigoureusement – la Ligue des écrivains de l’aile gauche est dissoute. Certains des disciples de Lu Xun feront l’objet de répressions.[/ref].  Figure clé de l’évolution de la modernité au début du XXe siècle, il a  été célébré par le président Mao comme emblème de l’engagement de l’art dans l’ordre social[ref]B. S. McDougall, « Introduction: The Yan’an ‘Talks’ as Literary Theory », Bonnie S. McDougall, trans., Mao Zedong’s “Talks at the Yan’an conference on literature and art.”, Ann Arbor: Center for Chinese Studies, University of Michigan, 1980.[/ref]. Son utilisation n’a pourtant pas été unilatérale : la réhabilitation de certains de ses compagnons de route a coïncidé avec la dénonciation des excès du maoïsme, après la mort du grand Timonier, en 1976[ref]T. H. Chang, « Two images of socialism : woodcuts in Chinese Communist Politics », Comparative studies in society and history, Cambridge University Press, vol.39, n°.1, Janv.1997, pp.34-60.[/ref].

Bien que n’ayant pas adhéré au Parti Communiste Chinois, créé en 1922, Lu Xun reste associé à l’histoire de l’Aile gauche de Shanghai pendant les années 1930[ref]La ligue des écrivains de l’aile gauche intégrait des communistes.[/ref]. Le développement de thématiques comme la lutte contre l’oppression et le renouvellement des possibilités graphiques offertes par la gravure sur bois (effets de dramatisation) structure la rénovation formelle théorisée par Lu Xun.

L’objectif était alors moins d’imposer une nouvelle phase d’harmonisation culturelle que de pointer les éléments problématiques. Si Lu Xun s’est évertué à valoriser les racines chinoises de la gravure sur bois (Zhongguo banhua), pratiquée dès l’époque des Tang (618-907) et qui connaît son heure de gloire sous les Ming (1368-1644), il a également mis en exergue l’importance du rôle des graveurs allemands (Käthe Kolwitz, Carl Meffert), belges (Frans Masereel), américains (William Siegel), russes (Aleksandr Serafimovich) ou japonais (Uchiyama Kakechi) qui concilient à ses yeux réalisme social et expressionnisme[ref]Outre les graveurs, la référence aux peintures de Constantin Meunier (1831-1905) atteste de son intérêt pour les figures d’artistes militants. Huang Mengtian, Lu Xun yu meishu (Lu Xun et les Beaux-arts), Daguang chubanshe, 1972. Esprit cosmopolite, Lu Xun collectionna également de la gravure japonaise et plus particulièrement la gravure créative (Sosahu hanga). Il ne délaissait pas les gravures sur bois exposées pour la nouvelle année, symboles de prospérité et de chance (nianhua), encore implantées dans les campagnes chinoises. A partir de 1933, Lu Xun s’intéresse à la gravure soviétique. Il organise notamment des expositions dans des appartements vacants. Voir sur ce point Tang Xiaobing, Op.cit. 1023.[/ref]. Pour Lu Xun, le renouvellement de la gravure sur bois en Chine participait d’un phénomène artistique international fondé sur l’implication d’artistes de gauche[ref]Rappelons à ce propos que Lu Xun s’est rendu au consulat allemand de Shanghai le 13 mai 1933 pour protester contre la violence du gouvernement chinois. Voir Tang Xiaobing, Op.cit.[/ref]. C’est sans doute l’un des points saillants du développement de la gravure sur bois au début des années 1930 en Chine et la clé de sa fortune critique : sans rompre avec l’héritage national, la gravure sur bois permettait d’inscrire une partie de l’art chinois dans un mouvement de dénonciation des inégalités[ref]Li Hua a écrit un texte intitulé : « L’influence de l’émotion : quelques expériences de l’enseignement de l’art de Kollwitz ».[/ref]. Lu Xun s’appliquait à donner une assise populaire à l’art chinois dont le cœur de cible était, dans un premier temps, le prolétariat urbain. Ni hermétique ni vulgaire, la gravure sur bois semblait être le chemin le plus court pour impulser l’esprit de changement[ref]J. F. Andrew, K. Y. Shen, (ed.) A Century in Crisis, Modernity and Tradition in the  Art of Twentieth Century China, New York, Guggenheim Museum, 1998.[/ref]. A l’opposé des célèbres images léchées des affiches publicitaires shanghaiennes, reflet de l’embourgeoisement et de l’occidentalisation du mode de vie citadin, la gravure sur bois, avec son « âpreté » technique, rendait éloquents les stigmates de l’injustice[ref]La période lors de laquelle Lu Xun vit à Shanghai coïncide avec les différentes purges dont les communistes furent victimes depuis le contrôle exercé par Chang Kai Check sur le Parti national (guomintang). Sa volonté d’empêcher les communistes de prendre le contrôle du Parti le conduit à organiser des massacres et de violentes  attaques dans des usines, en 1927.[/ref]. Une partie de la gravure sur bois produite à Shanghai au début des années 1930 a pris pour thèmes la répression du monde ouvrier (Jiang Feng), la protestation face aux bombardements puis à l’invasion japonaise de 1937 (Liu Xian, Hu Yichuan) et l’épuisement à la tâche (Chen Baozhen). Toujours plus en phase avec une vision internationaliste de la lutte du prolétariat, Lu Xun alimentait une documentation sur la gravure sur bois en dehors de Chine[ref]L’écrivain Rou Shi, proche de Lu Xun, était également très actif dans la recherche de nouvelles références à même de stimuler l’impact de l’art dans les luttes révolutionnaires.[/ref]. Pourtant, cette phase exploratoire devait s’avérer plutôt inopérante  pour éveiller les consciences de la classe populaire[ref]F. Dal Lago, « Les racines populaires de l’art de la propagande communiste en Chine : des gravures sur bois du Mouvement pour la nouvelle xylographie aux nouvelles estampes du nouvel an. », Art Asiatique, janvier 2012.[/ref].

Après la mort de Lu Xun, le mouvement de la gravure sur bois va participer à l’élaboration, à Yan’an, d’un art révolutionnaire reniant l’héritage critique légué par l’écrivain[ref]Le forum de Yan’an sur la littérature et les arts de 1942 a posé le socle des grandes orientations artistiques à venir. Yan’an a été, pendant l’épisode de la longue marche, la principale base communiste après le retrait du soviet du Jiangxi (zhonghua suweiai gongheguo), en 1934, qui initia le début de la longue marche. C’est également à Yan’an que les premières attaques directes contre des intellectuels se sont produites. Voir sur ces questions : Z. D. Mao, « Talks at the Yan’an Forum on Literature and Art » in Selected Works, Vol. 3, Pekin, Foreign Languages Press, 1967 ; Apter, D. E., « Le discours comme pouvoir : Yan’an et la révolution chinoise », Cultures & Conflits, 13-14, printemps-été 1994. En ligne, URL : http://conflits.revues.org/index205.html. Cf. également Goldman, China’s Intellectuals : Advise and dissident, Londres, Harvard University Press, 1981.[/ref]. Les références à des personnalités artistiques de gauche cèdent alors la place à l’héritage national populaire et au réalisme socialiste. L’impasse de la gravure sur bois serait alors imputable à son incapacité à trouver une assise populaire. La modernisation de l’art chinois avait abouti finalement à une démarcation nette entre, d’une part, le renouvellement formel et, d’autre part, la revendication d’un art mettant en lumière sa vocation sociale et sa capacité d’être compris par le plus grand nombre.

Rectifications historiographiques et passions égalitaires

L’historien de l’art Gao Minglu affirme, dans plusieurs de ses écrits, le fait que l’avant-garde chinoise n’est pas une avant-garde esthétique, à l’inverse de l’avant-garde occidentale et de ses « bourgeois bohèmes » décrits parfois de manière assez caricaturale[ref]M. L. Gao, Zhongguo dangdai meishushi, 1985-1986 (L’art contemporain chinois), Shanghai, Shanghai People’s Press, 1991 ; M. L. Gao, Zhongguo dangdai meishu yanjiu xilie : Zhongguo qianwei yishu (série de recherches sur l’art contemporain chinois : l’avant-garde en Chine), Nanjing, Jiangsu meishu chubanshe, 1997 ; M. L. Gao, Total Modernity and the Avant-Garde in Twentieth-Century Chinese Art, Cambridge, MIT Press, 2011.[/ref].
Le réalisme socialiste à la Chinoise avait jeté un voile de fumée sur la profusion des débats autour d’une modernité jugée auparavant uniquement sous l’angle de l’apport occidental. Les expérimentations conduites à partir d’éléments de la culture chinoise ont été plus fécondes que les tentatives utilisant des formes étrangères pour refléter le changement de nature de la société chinoise[ref]Ralph Croizier dans un article analyse l’évolution de l’historiographie portant sur l’art moderne et contemporain chinois. R. Croizier, « Art and Society in Modern China–A Review Article », The Journal of Asian Studies, 49, n°3, Août 1990, p. 586-602.[/ref]. L’influence de l’art occidental, aussi bien dans ses manifestations techniques (introduction de la peinture à l’huile) qu’artistiques (réalisme académique, connaissance des mouvements avant-gardistes occidentaux) n’a pas eu, en définitive, les effets escomptés.

Huang Yongping et la distorsion référentielle : Dada, Duchamp, Fluxus, le Tao et le bouddhisme chan.

Huang Yongping :
http://visualarts.walkerart.org/oracles/details.wac?id=2265&title=Works

Si ce courant de rééquilibrage référentiel se développe dans la première moitié du XXe siècle, la naissance, en Chine, d’une nouvelle vague (xin chao) artistique, entre 1985 et 1989, va réamorcer la question du dépassement des avant-gardes historiques occidentales. L’introduction, dans les années 1980, du mouvement Dada est considérée aux yeux de nombreux historiens d’art comme le détonateur d’une phase d’expérimentations formelles sans précédent dans le pays[ref]D. W. Fei, 85’s xinchao : Zhongguo diyici dangdai yishu yundong (La nouvelle vague de 85 : premier mouvement d’art contemporain chinois), Shanghai, Century Group, UCC, 2007.42.[/ref].

Cette filiation est clairement revendiquée par Huang Yongping l’un des artistes majeur de la Nouvelle vague de 1985[ref]Huang Yongping met souvent en avant le caractère très parcellaire de sa connaissance des avant-gardes occidentales. Il dira avoir connu John Cage par l’intermédiaire de la traduction de  l’encyclopédie « Une introduction à la musique du XXe siècle » de Peter S. Hansen. Concernant Rauschenberg, une exposition de l’artiste américain dans le cadre de son projet Roci avait eu lieu en 1985, à Pékin, à la galerie nationale, permettant d’accélérer la diffusion des œuvres de l’artiste à travers la Chine. Huang Yongping dira également avoir connu le travail de Marcel Duchamp par le biais d’une mauvaise traduction chinoise d’un livre d’entretien.[/ref]. Il évoque, dans l’un des textes fondateurs, l’importance du développement en Chine de l’esprit dada, sans se référer nécessairement aux œuvres dadaïstes. En ce sens, il a fait preuve d’une tenace volonté de transcender les limites des nations et de scruter l’héritage de l’internationale dadaïste et de fluxus. La série sur le thème des roulettes (« zhuanpan xilie »), de 1985, est l’occasion d’utiliser un disque de géomancie chinoise inspiré du Livre des transformations (yijing ou yiking) tout en évoquant parallèlement l’œuvre de Duchamp, de Cage et de Rauschenberg. Ainsi, une passerelle entre la pensée chinoise et la pensée occidentale peut être posée dans l’élaboration d’une vision s’écartant d’un principe ordonnateur du monde régi par des facultés infaillibles de jugement.

« L’utilisation que Rauschenberg fait de toutes sortes d’éléments sur lesquels il tombe et sa juxtaposition de divers objets dans ses peintures sont en écho avec l’idée taoïste de l’égalité et de la coexistence de toutes les choses. Marcel Duchamp est plus proche de la théorie de Laozi (« cacher la brillance, faire apparaître le terne »)  de sa contemplation et de sa sagesse que n’importe quel asiatique »[ref]Huang Yongping, “Xiamendada Postmodern”, P. Vergne (éditeur), House of Oracle, Minneapolis, Walker Art Center, 2005, p. 75.[/ref]

Huang Yongping n’est pas entré dans une relation d’altérité, il a su, à l’inverse, repérer les similitudes des approches menant à expérimenter la contingence.

Cai Guoqiang et l’affirmation d’une supériorité culturelle

Cai Guoqiang : studio à New York pour la demande de reproduction.
http://www.caiguoqiang.com/projects/borrowing-your-enemys-arrows-1998-new-york-ny-usa

Les références aux ouvrages fondamentaux de la culture chinoise forment également le socle de l’univers que développe Cai Guoqiang. Exilé aux États-Unis, il est souvent perçu comme le plus éminent représentant d’un art globalisé[ref]Cai Guoqiang est né 1957 à Quanzhou, dans la province du Fujian. Il vient lui-même d’une famille de lettrés. Son père était un peintre traditionnel sur rouleau.  Il a étudié le design à la Shanghai Drama Institute de 1981 à 1985. Il part vivre au Japon en 1986 et arrive aux États-Unis en 1995. Il s’est, dans un premier temps, fait connaître pour ses œuvres utilisant des explosifs.[/ref]. Il revendique pourtant la perte de l’influence occidentale et l’importance d’un continuum culturel qui guide l’évolution de l’art chinois. Selon lui, son art n’est pas relié à un nouvel état formel mais renvoie davantage à la recréation d’un monde préexistant.

« Les critiques d’art occidentaux peuvent situer mon travail dans leur goulot d’étranglement, ils peuvent évidemment l’expliquer par je ne sais quelle esthétique participative. Mais ces questions n’ont peut-être rien à voir avec notre histoire de l’art. Et nous pouvons tout à fait  contourner ce point de vue »[ref]D. W. Fei, Cai Guoqiang, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Arles, Actes sud, 2000, p.28.[/ref]

« Opérateurs de croyance », agents de passages  ou rappels de proximité ?
Les choses veillent en voyage, en sentinelles de l’imaginaire.

Connu pour ses œuvres utilisant des explosifs (de la poudre à canon, qui, rappelons-le, est une invention chinoise), il s’est par la suite tourné vers la réalisation d’installations imposantes, insérant des symboles clés de la culture chinoise.

Dans une installation intitulée Borrowing your enemy’s arrows, il présente la carcasse d’un bateau de pêcheur transpercé de flèches. La référence à L’histoire des trois royaumes (sanguo zhi) est évidente. A court de projectiles, le général Zhuge Liang trompe l’ennemi en envoyant un bateau vide. L’armée adverse, pensant affirmer sa supériorité militaire, tire une salve de flèches qui servira à reconstituer les réserves de l’adversaire. Pour Cai Guoqiang, le renversement des forces, symbolisé dans cette installation, montre deux manières antithétiques d’envisager l’adversité : du côté occidental (les lanceurs de flèches), une confrontation brutale et, du côté chinois (la coque transpercée), une approche subtile aboutissant à une inversion de la relation d’agression[ref]« To describe it in basic terms, in western boxing if the opponent is hit in the face hard enough he falls, so it’s easy to decide who’s won. In chinese martial arts it’s much more complex, more internal. The exchanges are more subtle, often using the opponent’s own force to defeat him, », S. H.Lu, Chinese modernity and global biopolitics: Studies in literature and visual culture,  Honolulu, University of Hawaii Press, 2007, p.102.[/ref]. La présence du drapeau chinois placé à l’intérieur de l’embarcation accentue l’approche résolument ironique de cette œuvre.

Si la critique des agressions du monde occidental en Chine au XIXe siècle peut aisément être comprise grâce à un jeu de revalorisation de stratégie militaire, un malentendu persiste sur l’attitude de Cai Guoqiang vis-à-vis de la politique chinoise contemporaine. Il la justifie en détachant le caractère subversif de son œuvre de sa portée contestataire. Le mouvement d’accomplissement culturel se greffe au politique au point qu’un affrontement entre les deux sphères serait improductif. C’est en recourant à cette explication qu’il a justifié sa participation en tant que concepteur des effets spéciaux aux jeux Olympiques de Pékin, en 2008.


Bibliographie

ANDREW, J.F., SHEN, K.Y., (ed.) A Century in Crisis, Modernity and Tradition in the  Art of Twentieth Century China, New York, Guggenheim Museum, 1998.

CLARK, J., Modernity in Asian Art, Honolulu, University of Sydney East Asian Studies 7, University of Hawaii Press, 1993.

GALIKOWSKI, M.Art and Politics in China 1949-1984, Hong Kong, Chinese University Press, 1998.

HOLMS, D., Art and Ideology in Revolutionary China, Oxford, Oxford University  Press, 1991.

LU. X., Lu Xunquanji (Complete works of Lu Xun). 16 vols, Pékin, Renmin wenxue, 1995.

SULLIVAN, M.Art and Artists in twentieth century China, Berckeley, University of California Press, 1996.

TANG, X.B., Origins of the Avant-garde : The Modern Wood cut Movement, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 2000.

WANG, H., « Contemporary Chinese Thought and the Question of Modernity », Zhang Zudon, Whither, China, Intellectual Politics in Contemporary China, Londres, Duke University Press, 2001.

YAN, C., L’Eveil de la Chine. Les bouleversements intellectuels après Mao, 1976-2002, La Tour d’Aigues, Edition de l’Aube, 2002.


Estelle Bories est Docteur de Sciences Po Paris. Elle a soutenu sa thèse en novembre 2011. Son sujet de recherche portait sur l’art contemporain en Chine et la question de la modernité. Ses principales publications se sont focalisées sur la construction de l’identité des artistes, l’évolution de la littérature critique chinoise et les mutations de la production artistique contemporaine à Pékin. Elle enseigne actuellement à l’université Paris 3.

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2 Comments
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    septembre 10, 2018

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